Intervention de Patrick Boissier

Réunion du 7 décembre 2016 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Patrick Boissier, président du groupement des industries de construction et activités navales :

Je voudrais commencer par remercier, au nom du GICAN, cette commission pour sa disponibilité, son écoute et la qualité des recommandations issues de ses travaux. Nous avons eu l'honneur de vous accueillir au salon Euronaval il y a quelque temps. Nous vous avons régulièrement reçus sur les stands des pavillons France organisés par le GICAN dans des salons étrangers et DCNS vous reçoit aussi régulièrement sur ses sites.

Le GICAN couvre le naval de défense, sujet qui nous intéresse aujourd'hui, mais aussi la construction navale civile, la réparation navale, les énergies marines renouvelables et l'exploitation des océans. Il représente 165 adhérents, dont plus de 80 % sont des PME et ETI. La filière navale, civile et défense, en France, ce sont plus de 500 sociétés en tenant compte des filiales et des structures de regroupement, c'est un chiffre d'affaires de 8,5 milliards d'euros, dont 4,5 milliards, soit plus de la moitié, pour la défense, et c'est 45 000 emplois directs, dont plus de 20 000 directement dans la défense.

Le naval de défense représente environ 30 % des exportations françaises d'armement. J'ajoute que 90 % des emplois sont localisés en France. L'industrie d'armement naval pèse plus de 10 % des emplois industriels dans quatre régions en dehors de l'Île-de-France : la Bretagne, la Normandie, les Pays-de-la-Loire et la région PACA. Elle est le principal employeur dans de nombreux bassins d'emplois : à Brest, à Cherbourg, à Lorient et à Toulon.

Si l'on tente de dresser un bilan de la législature et de la LPM, on peut dire que vous avez construit une LPM équilibrée et qui a été tenue jusqu'à aujourd'hui. C'est suffisamment rare pour être signalé. Cette LPM était sans doute le meilleur équilibre entre les nécessités de la marine et la capacité budgétaire. La réduction de la part des ressources exceptionnelles, remplacées par des crédits budgétaires, est par ailleurs rassurante.

Cette LPM, et notamment son actualisation en 2015, marque la fin de la chute libre du budget de la défense. Face à un monde de plus en plus imprévisible et à la permanence des menaces, une nouvelle phase commence avec l'augmentation nécessaire de notre effort de défense.

Ces quatre dernières années ont été marquées par des commandes ou des livraisons d'équipements majeurs sur les programmes suivants : les frégates multi-missions (FREMM), les patrouilleurs légers pour la Guyane (PLG), les bâtiments multi-missions (B2M), les bâtiments de surveillance et d'assistance hauturiers (BSAH), les Barracuda, sans oublier le NH90, qui, sans dépendre de l'industrie navale, fait tout de même partie de l'équipement de la marine – et je signale qu'Airbus est un adhérent du GICAN. Par ailleurs, la rénovation des frégates légères furtives (FLF) et l'anticipation du programme de frégates de taille intermédiaire (FTI) auront marqué cette LPM.

Au plan de l'exportation, je tiens à saluer le soutien de la Représentation nationale et du ministre de la Défense dans les grands prospects grâce aux relations stratégiques établies ou renforcées entre la France et les grands pays clients et partenaires. Je salue également le soutien de la direction générale de l'armement (DGA) et de la marine nationale. Il faut que chacun de ces soutiens perdure car ils sont essentiels pour nos exportations ; quand ces soutiens et la coordination avec les industriels ont manqué, nous avons connu des échecs. Je note également l'étroite collaboration entre le GICAN et la marine nationale afin de soutenir nos industriels, grands groupes, ETI et PME, notamment lors des missions de soutien aux exportations, « soutex », organisées durant les escales des FREMM et des bâtiments de projection et de commandement (BPC).

Néanmoins, s'il fallait pointer deux regrets pour cette LPM, ce seraient, d'une part, l'étalement des livraisons et la réduction de cible des FREMM, qui entraîne mécaniquement l'augmentation du coût unitaire de ces navires, impose la prolongation de navires anciens et entraîne des risques de rupture capacitaire, et, d'autre part, la non-sélection des programmes BATSIMAR et FLOTLOG dans cette LPM.

Aujourd'hui, nos voisins augmentent leurs budgets de défense, la Russie développe sa flotte, aux États-Unis le président élu, M. Trump, souhaite un réarmement naval massif, et les pays asiatiques s'arment. Dans ce contexte, pour faire face au financement des programmes en cours, dont celui de la dissuasion, et aux renouvellements d'équipements à venir, il faudra trouver des ressources financières nouvelles, ne serait-ce d'ailleurs que pour honorer la demande de l'OTAN de porter à 2 % les budgets consacrés à la défense, dont 20 % dédiés aux équipements.

Nous avons une industrie navale forte mais il faut préserver notre outil industriel de défense par une politique dynamique de commandes nationales et de soutien à l'export. C'est indispensable si nous voulons maintenir nos compétences et nos emplois. Atteindre, pendant le prochain quinquennat, un budget de 2 % du PIB, hors pensions, pour la défense est obligatoire. Seul un tel budget permettra de faire face aux besoins nouveaux résultant de l'augmentation des effectifs, de la nécessité de financer de nouveaux équipements qui remplaceront les systèmes actuellement en service et de consolider le financement des programmes majeurs déjà lancés.

Notre industrie a besoin de visibilité et donc d'une politique industrielle inscrite dans la durée, moins coûteuse qu'une politique de stop and go et qui répond aux objectifs d'autonomie stratégique. Car l'horizon temporel d'un programme d'armement est de plusieurs décennies. Les FLF ont été conçues il y a vingt-cinq ans, les premières études du Barracuda ont commencé il y a quinze ans, pour un programme dont les navires seront en service dans la seconde moitié de ce siècle, et il faut plus de dix ans pour réaliser un porte-avions. Nous travaillons sur le temps long.

Mais même l'objectif de 2 %, surtout si cela inclut les pensions, ne suffira pas à couvrir tous les besoins. Il faut donc hiérarchiser les priorités capacitaires. J'en vois huit, que je citerai sans ordre de prééminence.

La première est la modernisation de la dissuasion, et les études du sous-marin nucléaire lanceur d'engins (SNLE) de troisième génération.

La deuxième est la continuité du financement des programmes en cours : les FREMM, le Barracuda, la modernisation des ATL2, le NH90, le système de lutte anti-mines du futur (SLAMF). Le calendrier des FREMM, notamment, ne doit subir aucun retard, sous peine pour la marine de connaître une rupture de capacités importante. Le glissement du calendrier de livraison et la réduction de cible ne sont jamais une solution. On a vu les conséquences de telles décisions par le passé ; cela se traduit par une inflation du coût unitaire des matériels et une rupture temporaire de capacités. Les étalements ou reports de programmes ont des conséquences néfastes en coût, en performance et en compétences.

La troisième priorité est le lancement de programmes futurs : la FTI, FLOTLOG, BATSIMAR, la rénovation des FLF, AVSIMAR, l'hélicoptère de la marine future, et l'accélération de l'équipement de la marine en drones. BATSIMAR est particulièrement important : notre marine manque de moyens pour surveiller notre zone économique exclusive (ZEE) qui s'est étendue de 500 000 kilomètres carrés et pourrait encore gagner un million de kilomètres carrés. Le nombre de nos patrouilleurs en service est à peu près l'équivalent de deux voitures de police pour surveiller le territoire de la France. Nos moyens d'action de l'État en mer doivent nous permettre de surveiller et de faire respecter la souveraineté française sur cette vaste zone. À défaut, nous allons nous laisser piller nos ressources et contester notre souveraineté. Le programme BATSIMAR est donc essentiel.

Le programme FLOTLOG est également indispensable en raison de l'ancienneté des trois pétroliers ravitailleurs en activité, qui ne seront bientôt plus capables de remplir leurs missions. Plus largement, une structure conjointe de coordination, associant la DGA et les groupements professionnels, pour identifier les besoins futurs et fixer les moyens pour y parvenir, devrait être mise en place. La réactivation du plan prospectif à trente ans (PP30) constitue une option à explorer de ce point de vue.

La quatrième priorité est le lancement des études pour un deuxième porte-avions. Je l'ai dit, il faut au moins dix ans pour faire un porte-avions ; il n'est pas trop tôt pour y penser. Le Charles–de-Gaulle sera retiré du service vers 2040. Il faut commencer à travailler sur le porte-avions du futur, si nous ne souhaitons pas perdre les compétences de DCNS et des équipementiers pour réaliser un porte-avions.

La cinquième priorité est la préparation de l'avenir pour faire face aux nouvelles menaces et notamment la cyber-menace. C'est un enjeu crucial. Il y a dix ans, personne ne savait ce qu'était la cyber-sécurité. En 2005, il y avait 500 millions d'adresses IP, en 2015 il y en avait sept milliards et, en 2020, il y en aura entre 30 et 50 milliards. On voit se développer l'internet des objets, le big data, la digitalisation des entreprises et la digitalisation de la guerre. Ces évolutions offrent des potentiels considérables mais elles supposent aussi une très grande sécurité des systèmes numériques. Les plateformes doivent être protégées, en opération comme en période d'entretien, car tout est aujourd'hui informatisé.

Le GICAN mène un gros travail de sensibilisation auprès de ses adhérents sur le sujet. Lors de rencontres avec les acteurs de la cyber-sécurité, les entreprises du secteur maritime ont pu appréhender des problématiques spécifiques : protection des matériels conçus sans protection contre les cyber-attaques, conception « secure by design » pour les nouveaux matériels, protection des systèmes d'information et des systèmes embarqués, hygiène informatique...

Sixième priorité : il faut poursuivre nos efforts à l'export. Les exportations ne peuvent se substituer aux commandes nationales pour maintenir notre industrie, nos emplois et nos compétences, c'est-à-dire pour assurer la pérennité de notre base industrielle et technologique de défense (BITD), mais l'export permet de conserver un outil industriel sans peser sur le budget national, en compensant en partie les périodes creuses des commandes nationales. Il permet également d'amortir les coûts de développement et d'élargir la cible pour alimenter et mieux rentabiliser la chaîne de fabrication.

Cependant, il faut souligner notre dépendance encore forte vis-à-vis d'un petit nombre de pays clients : le Brésil, l'Inde, la Malaisie, Singapour, l'Arabie saoudite, l'Égypte. Les contrats en Australie aujourd'hui et demain, nous l'espérons, au Canada et en Norvège permettront d'élargir le portefeuille pays de notre industrie.

Les actions du GICAN pour soutenir ses adhérents, notamment les ETI et PME qui vont à l'export, grâce à l'organisation de « soutex » avec la marine et de séminaires bilatéraux avec la DGA, comme le récent séminaire franco-norvégien, sont à souligner. Pour la première fois depuis fort longtemps, l'effectif employé dans la construction navale militaire a cessé de baisser, et il peut augmenter de nouveau grâce à l'export et aux commandes nationales.

Septième priorité, il nous faut avoir un budget de R&D suffisant pour préserver les compétences et maintenir une avance technologique nécessaire si nous souhaitons vendre à l'export et tout particulièrement quand nous opérons des transferts de technologie. Nos clients achètent la technologie d'aujourd'hui et non celle d'hier. Pour vendre la technologie d'aujourd'hui, il est impératif de préparer la technologie de demain, de conserver un coup d'avance sur ceux avec qui nous faisons du transfert de technologie.

Le conseil des industries de défense françaises (CIDEF) et la DGA recommandent de passer le niveau des programmes d'études amont (PEA) à un milliard d'euros. Cela me paraît un minimum. Jusqu'à aujourd'hui, le naval de défense a été le parent pauvre des PEA. On paie cette faiblesse aujourd'hui et on fait la course pour rattraper notre retard, notamment sur les systèmes de combat. Je demande que l'on préserve une part navale conséquente dans les futurs PEA, en focalisant par exemple sur l'acoustique navale, la détection, les systèmes de combat.

Il ne faut pas perdre de vue que nous faisons face à des ruptures technologiques, et l'effort de R&D doit être renforcé en conséquence. Nous devons nous préoccuper en particulier des drones, aériens et sous-marins, en termes de recherche puis d'équipement.

Concernant les programmes RAPID, nous nous réjouissons de leur succès. Néanmoins, ils sont limités en montant et en nombre et ils sont par ailleurs réservés aux applications duales. Des PME du GICAN ont aujourd'hui des projets 100 % défense innovants sans financement ; il faut trouver un moyen de les soutenir de la même manière.

La huitième priorité est la préservation des compétences. La construction navale reste une activité cyclique et si, dans les périodes de bas de cycle, on n'a pas les moyens de maintenir un minimum d'activités pour les compétences, en particulier les compétences d'ingénierie et les métiers spécifiques, on ne sera pas capable de faire face au prochain cycle. Le naval de défense fait appel à des compétences de très haut niveau technologique et dont beaucoup sont spécifiques. Sans aller jusqu'à rappeler le programme Astute des Anglais, nous faisons face à un certain nombre de problèmes avec le programme Barracuda, liés au fait que nous avons perdu des compétences entre la génération du Terrible et celle du Barracuda.

Pour former les jeunes et pérenniser les compétences, le GICAN a créé le Campus Naval France sous l'impulsion de DCNS avec le plein soutien de l'union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) pour valoriser et développer des formations en adéquation avec les besoins de la filière navale. Ce campus réunit les organismes de formation et les entreprises de la filière. Il vise également à promouvoir les métiers de la filière navale auprès des jeunes par le biais d'un site internet, d'outils de communication et de sa participation à des salons comme Pro&Mer en Bretagne.

Le GICAN anime parallèlement un atelier compétences réunissant ses entreprises adhérentes. Il travaille à l'élaboration de formations pour la filière : création d'un BTS « construction navale », création d'une licence professionnelle « métiers des industries navales et maritimes » en apprentissage, issue des deux licences professionnelles existantes. Nous avons également le projet de créer un Naval Campus à l'image de l'Aérocampus de la filière aéronautique. Le maintien des compétences ne concerne pas que la construction navale à proprement parler, mais aussi la cyber-défense, la dissuasion, les drones.

Les crédits de MCO (maintien en condition opérationnelle) seront nécessairement croissants, afin de compenser les changements de génération de matériel et permettre la prolongation de matériels anciens afin d'éviter les ruptures temporaires de capacités. Les matériels nouveaux, de plus en plus technologiques, nécessitent un MCO de plus en plus complexe.

Il faut, enfin, lancer une réflexion sur le contrôle des investissements stratégiques, afin de conserver notre autonomie dans un secteur doté d'industries critiques. Nous constatons en effet une perte de compétences technologiques sur certains créneaux d'équipements que l'on ne fabrique plus en France ou dont la fabrication est contrôlée par des sociétés étrangères, comme les moteurs et les turbines à vapeur. Le projet de création d'un fonds d'investissement est une bonne idée. En ayant pour tâche d'identifier des sociétés stratégiques et d'entrer à leur capital afin de soutenir et guider leur développement, il nous prémunira d'une prise de contrôle étrangère de celles-ci.

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