Intervention de Hervé Guillou

Réunion du 7 décembre 2016 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Hervé Guillou, vice-président du GICAN :

Au point où nous en sommes, il importe peu que l'on construise le deuxième porte-avions en 2020 ou en 2025 : la rupture interviendra avant. Elle est assurée au deuxième semestre 2018 – c'est demain ! – pour tout ce qui concerne les installations d'aviation. Le projet de la chaufferie nucléaire du Barracuda est achevé ou en cours d'achèvement ; les essais à la mer se dérouleront en 2018 ou 2019. Les équipes d'architecture d'Areva TA n'ont donc plus de projet, à l'exception d'un hypothétique SMR – small and medium reactor ; il s'agit d'un réacteur compact destiné à la fourniture électrogène – sur lequel nous travaillons dur avec nos collègues du commissariat à l'énergie atomique et d'Areva TA.

À supposer que le deuxième porte-avions prenne le relais du premier, c'est-à-dire qu'il soit en service en 2033 ou 2035, cela suppose de débuter les études en 2020-2022. Mais il faut tenir d'ici là ! Voilà pourquoi je souhaite que, dès cette LPM, des flux d'activités soient prévus, qui ne doivent pas se limiter à la réalisation d'études papier : il y va de notre capacité à construire des objets complexes aux normes de sûreté modernes. Le désastre d'Areva dont la presse se fait quotidiennement l'écho vient du fait que l'entreprise n'a pas construit de centrale depuis vingt ans : le personnel est très compétent, mais, pour le rester, il faut faire des choses. Ce n'est pas en 2020 ou en 2022 qu'il faudra se poser cette question ! Si nous ratons la fenêtre de 2018, nous nous exposerons à de gros problèmes par la suite. C'est le point critique.

En ce qui concerne les catapultes, nous sommes en train de discuter avec la DGA. Il faut en particulier réfléchir à ce qu'impliquent les évolutions américaines s'agissant des catapultes électriques : qu'impliquent-elles pour l'architecture d'un porte-avions ? Quelles sont les conséquences de leur utilisation sur l'évolution des avions eux-mêmes, dont nous parlons avec nos amis de Dassault et qui laisse présager un gros travail ? Qu'implique du point de vue technologique l'intégration d'une catapulte électrique dans un navire ? Je songe aux moyens de stockage et de régénération de l'énergie. Quant au nucléaire, qu'est-ce que cela peut signifier de refaire aujourd'hui une architecture de propulsion nucléaire de porte-avions, après Fukushima et les problèmes du Creusot et d'Areva en général, et compte tenu de tous les nouveaux standards de la sûreté nucléaire, qui élèvent encore le niveau d'exigence ?

S'agissant de l'Australie, je laisserai les Australiens se prononcer. La France a toujours été plutôt ouverte, notamment vis-à-vis des pays de l'OTAN. À la fin des années 1980 et au début des années 1990, nous avions proposé au Canada des sous-marins nucléaires d'attaque. La décision dépend donc entièrement de l'Australie. Plusieurs think tanks ont publié des études que nous regardons avec attention, mais l'initiative ne peut pas être française. Et, si elle vient de l'Australie, il faudra vingt ou trente ans avant que le projet ne se concrétise. Lorsque j'étais chez Technicatome, j'avais envoyé mes premiers « missionnaires » au Brésil en vue d'une assistance technique en 1996 ou 1997 ; vingt ans plus tard, le réacteur se construit, mais il n'a pas encore divergé !

À propos de la consolidation européenne, je suis entièrement d'accord avec Patrick Boissier. Dans les années 1990, on coopérait en Europe par idéalisme et on lançait une foule de grands programmes, alors qu'il n'y en a pas eu un seul depuis dix ou quinze ans, du fait d'un repli sur soi politique. Aujourd'hui, de la consolidation de nos ressources dépend la survie de l'industrie, sa capacité à résister aux nouveaux entrants. La logique à l'oeuvre n'est plus du tout la même qu'à l'époque où on a construit MBDA en s'appuyant sur de grands programmes, où nous tentions de nous associer à la Grande-Bretagne et à l'Italie pour réaliser la frégate Horizon. La perspective est beaucoup plus défensive.

La liste des acteurs européens n'est pas immense. Je commencerai par TKMS. Depuis qu'en 2007 un projet très avancé – auquel j'ai participé côté allemand, étant alors chez EADS – a explosé en vol à la suite de deux fuites simultanées dans Les Échos et dans La Tribune, on est plantés ! Je ne perçois aujourd'hui aucun signe d'ouverture. Le cas de la Norvège va de nouveau poser une question existentielle : allons-nous nous lancer dans une lutte à mort pour la Norvège, puis pour la Pologne ? Il ne faut pas hésiter à ouvrir le débat, de manière totalement dépassionnée ; mais, je le répète, il n'y a aujourd'hui aucun signe de redémarrage.

À ce propos, n'oublions pas que le TKMS actuel n'a plus rien à voir avec celui de 2007 : dans l'intervalle, le groupe a vendu presque toutes ses capacités en bâtiments de surface. De ce fait, l'équilibre entre DCNS et TKMS ne saurait être le même en 2017 ou 2025 qu'à l'époque.

Vient ensuite Fincantieri, qui a pris une place très importante après d'énormes efforts de restructuration et de productivité et qui est entré en Bourse il y a deux ou trois ans. Très faible en ce qui concerne les sous-marins, pour la construction desquels il dépend d'un transfert technologique, il dispose en revanche d'une gamme très étendue de bâtiments de surface. C'est contre lui que nous avons perdu le contrat qatari. Là aussi, on a tué nos marges !

Le troisième acteur est le hollandais Damen, une société familiale qui s'est considérablement développée à l'international. Moins présente dans le domaine des bateaux militaires de premier rang, elle est associée aux États-Unis, les Pays-Bas ayant choisi les systèmes de combat américain. C'est un concurrent très sérieux à l'export.

Ces différents acteurs ont déjà une forte présence internationale : TKMS dispose de quinze à vingt implantations industrielles, tandis que Fincantieri et Damen en ont plus de vingt-cinq. De notre côté, il nous était interdit de nous développer jusqu'en 2004 ; grâce aux immenses efforts que nous avons consentis depuis, nous nous sommes dotés de six implantations, mais nous avons encore de très gros progrès à faire pour répondre aux besoins.

Dans ce contexte, nous sommes ouverts, et ma position est très claire : je discute avec tout le monde, car mon expérience à EADS m'a convaincu que les pièces du puzzle ne s'assemblent jamais de la manière escomptée. Les fenêtres d'exécution – car la stratégie est d'abord un art d'exécution – étant très restreintes si l'on veut tenir compte des échéances politiques, des durées de vie des PDG, des échéances commerciales ou de programmes, il faut avoir plusieurs options à disposition, suffisamment approfondies pour pouvoir être mises en oeuvre très rapidement dès que l'alignement des astres le permet.

En ce qui concerne les FTI, le major général de la marine a fait une présentation très intéressante à la presse il y a une quinzaine de jours. On oublie souvent que, pour dix performances opérationnelles sur seize, la FTI a l'avantage sur la FREMM. La FTI n'est pas du tout un sous-bateau, c'est un super-bateau ! Grâce aux technologies modernes et aux travaux en plateau intégré, avec la DGA mais aussi Thales et MBDA, nous avons réussi à réaliser dans les cycles amont beaucoup plus de boucles d'optimisation du navire qu'avec les méthodes, très séquentielles, qui étaient utilisées auparavant. Nous avons fait tourner au moins six ou sept maquettes avant de parvenir à stabiliser le projet. Je le répète, c'est un superbe bateau par sa valeur militaire et commerciale.

Pourquoi est-il petit, du moins plus petit que la FREMM ? Le général de Villiers a dû vous le dire, il fallait tenir compte de deux contraintes dont nous avons fait deux opportunités. D'abord, afin que la FTI soit abordable pour la France, ses coûts devaient être significativement inférieurs à ceux de la FREMM, ce qui est le cas – même s'il ne m'appartient pas de dévoiler des chiffres précis – grâce à de considérables efforts de productivité. Ensuite, je l'ai dit, nous devons regagner des parts de marché à l'export sur les bateaux de surface. On a donc visé les alentours des 4 000 tonnes, ce qui correspond à un marché de quarante à soixante frégates au cours des dix à quinze prochaines années. La marine, l'état-major des armées et la DGA ont parfaitement joué le jeu. Cela nous assure un bon bateau de premier rang destiné à la marine française, mais aussi une offre très attractive à l'export. C'est dans cette optique qu'ont été prises des dispositions inédites en matière de flexibilité du design.

S'agissant du missile de croisière, toutes les évolutions sont possibles, mais nous n'avons pas jugé utile de l'intégrer à l'ensemble des bateaux compte tenu des contraintes de coût et de la priorité qu'accorde la marine à la lutte ASM (anti-sous-marine). Le missile de croisière sera installé sur nos huit FREMM, mais ce choix purement opérationnel n'a rien à voir avec la taille du bateau. La frégate que nous avons proposée au Qatar avait à peu près le même tonnage que la FTI et était dotée d'un missile de croisière.

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