Intervention de Stanislas Cazelles

Réunion du 6 décembre 2016 à 17h00
Délégation aux outre-mer

Stanislas Cazelles, sous-directeur des politiques publiques à la Direction générale des outre-mer :

Monsieur le président, je me propose de vous donner quelques éléments sur la négociation en cours sur les aides d'État, qui sont sans doute le sujet le plus actuel. Je pourrai revenir ensuite, si vous le souhaitez, sur les fonds européens et sur une séquence importante prévue en mars prochain.

On appelle « aides d'État » l'ensemble des aides aux entreprises qui sont interdites par l'Europe, dans la mesure où la construction européenne s'est faite sur l'idée d'un marché qui se régule. Bien sûr, le droit européen prévoit des exceptions à cette interdiction globale. Voilà pourquoi le travail de fond du ministère de l'outre-mer consiste à faire rentrer dans les catégories d'exceptions qui existent toutes les aides que nous accordons à nos entreprises ultramarines. Et pour qu'il y ait une exception, il faut, grosso modo, soit une contrainte spéciale, soit un motif d'intérêt général.

On peut invoquer un motif d'intérêt général quand on aide le logement social, la création d'entreprises ou la conservation du patrimoine, etc. Outre-mer, on a plutôt tendance à invoquer, pour justifier les interventions de l'État, les contraintes spéciales que supportent les entreprises. Dans les régions ultrapériphériques, les contraintes mises en avant sont celles qui figurent à l'article 349, à savoir la petite taille des marchés, l'éloignement, l'insularité, le climat, et d'autres éléments de cette nature.

Le raisonnement paraît simple, d'autant plus que l'on explique que nos outre-mer sont aujourd'hui dans une situation de moindre développement que le reste de la moyenne européenne et qu'il est donc nécessaire de les aider durablement. Ce contexte a d'ailleurs permis la conclusion, à l'été 2015, d'un accord politique entre le Président de la République et le président de la Commission européenne sur le maintien, dans la durée, des 2,5 milliards d'intervention de l'État dans les économies. Mais autant cet accord politique a été relativement facile à expliquer et à obtenir, autant sa traduction juridique constitue une difficulté lourde, quotidienne, depuis maintenant un an et demi.

J'ai identifié quatre sources de difficulté, que je me permets de vous citer pour organiser le propos.

La première, c'est la multiplicité des acteurs dans les négociations européennes. Il y a bien sûr la Commission, mais derrière elle, il y en a beaucoup d'autres. Il y a bien sûr la France, mais il y a aussi l'Espagne et le Portugal avec lesquels nous essayons toujours d'arriver groupés pour être plus forts dans la discussion. Il nous faut donc comprendre les mécanismes des Açores, de Madère et des Canaries, ce qui est une source supplémentaire de complexité. Il y a bien sûr les entreprises et leurs représentants – soit leurs représentants organisés à Bruxelles, soit leurs représentants dans les fédérations. Sans oublier le niveau interministériel, où tout le monde ne tient pas forcément un discours convergent.

La deuxième source de difficulté, c'est une sorte de méfiance réciproque et des sentiments un peu ambivalents.

Du côté de l'Union européenne, il y a ce que l'on pourrait appeler, de façon assez atroce, « d'autres pauvres » que les régions ultrapériphériques : les « territoires faiblement peuplés » ; un certain nombre d'États qui sont rentrés dans une deuxième ou troisième vague d'élargissement, dont les niveaux de développement sont plus bas par rapport à la moyenne européenne ; enfin, de nombreuses petites îles de la Méditerranée : Malte, Chypre, toutes les petites îles de la Grèce et les Baléares. La crainte est que, dès l'on accorde quelque chose aux régions ultrapériphériques, d'autres demandent les mêmes dérogations.

Il y a aussi la méfiance des paradis fiscaux, méfiance absurde et sans fondement quand on connaît l'histoire de nos outre-mer, mais qui est très présente dans les vérifications que la Commission fait de façon permanente.

De notre côté, il peut être difficile de comprendre l'enjeu européen, pour les échanges intra-communautaires comme pour les libertés fondamentales évoquées par Claude Girault, de certaines vérifications pointilleuses. Par exemple, dans les douze derniers mois, la Commission a lancé deux vérifications un peu approfondies : la première portait sur le dispositif de continuité intérieure à la Guyane, et donc sur les subventions aux billets d'avion entre le fond de la forêt guyanaise et Cayenne ; la seconde portait sur la tarification des bouteilles de gaz à la Réunion. (Marques d'étonnement) C'est compliqué pour nous, car il nous faut entrer dans le raisonnement de l'autre et accepter sa façon de penser.

La troisième source de complexité, à mon avis la plus importante, est qu'il nous faut expliquer que nos systèmes de soutien aux entreprises sont des systèmes de masse, et non des systèmes précis et ponctuels.

Quand on aide les tissus économiques ultramarins, on aide une économie dans sa globalité à être plus riche en emplois que ce qu'elle pourrait spontanément être du fait des complexités que l'on a évoquées. On n'aide pas l'équivalent de la desserte entre Marseille et la Corse ou du développement de telle vallée perdue des Alpes ou des Pyrénées, on aide un secteur global de l'économie. On ne peut donc pas connaître et mesurer tous les effets de cette aide de façon aussi chirurgicale que les effets des aides d'État auxquelles la Commission est habituée. Celle-ci a spontanément une approche très individualisée, parcellisée, chiffrée, calculée, qui, en pratique, n'est pas adaptée à un régime de masse.

On peut considérer, de façon rustique, que les aides aux entreprises ressortent à peu près de dix régimes différents, et s'adressent à environ 150 000 entreprises, soit l'équivalent d'1,5 million de décisions individuelles d'aide chaque année. Aussi bien, ce système ne peut-il pas être contrôlé de façon individuelle, ni par aide, ni par entreprise. Il n'y a que les aides à finalité régionale, dans les régions ultrapériphériques, qui soient aussi massives. Ainsi, la Commission n'a pas de cadre pré-pensé dans lequel elle puisse prendre en compte notre complexité.

Pour répondre à cette complexité, nous avons innové avec elle, en lançant une étude qui a été confiée à un cabinet extérieur à l'administration, avec un comité de pilotage et des universitaires – afin de se prévaloir de la crédibilité d'un regard extérieur. Il s'agissait de montrer comment nos régimes de masse ne favorisaient pas plus les économies que les surcoûts liés aux handicaps structurels de l'article 349.

Cette étude qui associait des socio-professionnels, des universitaires, des représentants des collectivités à travers la Commission nationale d'évaluation des politiques de l'État outre-mer (CNEPEOM) et l'ensemble des administrations concernées, a duré un an. Elle a conduit à un rapport, que l'on pourra vous remettre si vous le souhaitez, et qui tente, au plan macroscopique, de faire cette démonstration que nous ne pouvons pas faire au plan microscopique, entreprise par entreprise.

La quatrième source de complexité est que derrière la Commission européenne, il y a plusieurs réalités. Il y a bien sûr la DG Concurrence, mais il y a aussi la Direction générale Fiscalité et union douanière. Et les systèmes sont « à double clé ». Cela signifie qu'il faut à la fois l'accord de l'une et l'autre directions. Et parfois, comme dans toute organisation humaine, même si tout le monde tire dans le même sens, la discussion avec les uns et la discussion avec les autres n'est pas la même. Et puis, comme dans les organisations classiques, interviennent à la fois l'échelon administratif et l'échelon plus politique, autour des commissaires. Ce jeu à plusieurs est encore une source de difficulté.

On retrouve ce système de double clé à deux niveaux extrêmement sensibles pour les économies ultramarines :

En premier lieu, l'année 2014 et l'année 2015 ont été consacrées à l'autorisation de l'octroi de mer par la Commission au titre des mesures fiscales ; puis l'année 2016 et l'année 2017 l'ont été à l'autorisation de l'octroi de mer au titre des mesures d'aides aux entreprises. Cela peut sembler paradoxal, mais cela représente quatre ans de travail, avec les administrations bruxelloises, autour d'un dispositif qui a été voté par les parlementaires en 2014, et qui est mis en oeuvre au quotidien par les entreprises et par les directions des douanes sur le territoire.

En second lieu, le système de fiscalité réduite sur les exportations de rhum des DOM dans le commerce hexagonal a fait l'objet d'une autorisation au titre de la fiscalité et d'une autorisation au titre des aides d'État. De la même façon, la demande de révision qui est en cours est soumise à ce double système.

On retrouve ce système des doubles clés quand on aide l'agriculture ou la pêche. Or les règles de fonctionnement de la Direction générale de l'agriculture et du développement rural, ou celles de Direction générale des affaires maritimes et de la pêche, sont différentes de celles de la DG Concurrence.

Dans un certain nombre de cas, il nous faut donc faire face à des règles dont la complexité est liée à la construction juridique européenne.

Où en sommes-nous aujourd'hui ?

Dans un double souci de simplification administrative et de consolidation durable des 2,5 milliards d'euros d'aide aux entreprises, la Commission européenne a proposé de passer d'un régime d'autorisation à un régime de déclaration. Ce n'est donc plus l'État français qui demande à la Commission d'autoriser ces régimes d'aide aux entreprises : il les déclare dans un système d'exceptions préexistant, le fameux règlement général d'exemption de notification.

Neuf régimes vont ainsi pouvoir être déclarés par la France dans le cadre de ce règlement. Le principal d'entre eux est le régime d'exonération de charges sociales patronales, qui représente environ 1 milliard d'euros, donc une part très importante des aides. De son côté, le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) majoré pour l'outre-mer représente plusieurs millions d'euros.

Le dixième régime, celui de l'octroi de mer, est notifié au titre des aides de l'État. La notification a eu lieu le 25 novembre dernier, et le processus d'autorisation, sur lequel nous avons obtenu un certain nombre de garanties administratives et politiques, devrait conduire à une approbation formelle par la Commission d'ici la fin du premier trimestre 2017.

Globalement, la négociation sur les aides d'État sera achevée d'ici à la fin du premier trimestre 2017. Mais, rien n'étant jamais définitif avec la Commission européenne, car toutes les réglementations connaissent une « date de péremption », elle reprendra pour la période commençant en 2020.

Les fonds européens, qui représentent une masse financière considérable investie par nos concitoyens dans les outre-mer, ne peuvent qu'être considérés de façon positive au regard de leur importance. En effet, seul l'effort conjoint des vingt-huit États membres de l'Union européenne permet d'atteindre un tel niveau financier.

L'effort de gestion demeure toutefois très lourd, car, de façon systématique, on travaille sur trois régimes de fonds européens simultanés.

L'application du régime de ces fonds pour la période 2007-2013 est en cours d'achèvement, mais elle ne cessera véritablement qu'à la fin de l'année 2017, après une clôture dont, au demeurant, les opérations se passent plutôt bien. Notre seule inquiétude a porté sur un risque de reprise de 60 millions d'euros de fonds alloués par le fonds européen de développement régional (FEDER) en Guadeloupe et à la Réunion, du fait d'une règle de gestion contraignante imposant l'équilibre entre les aides au fonctionnement et les aides à l'investissement. Or, l'aide à l'investissement avait bien été exécutée telle que programmée, mais l'aide au fonctionnement avait fait l'objet d'une moindre réalisation.

Du fait de la difficulté de la mise en route de l'aide au fret, dispositif créé en 2009, et qui se trouvait alors en cours de cycle, la Commission européenne a dans un premier temps considéré que, le fonctionnement n'ayant pas été réalisé à 100 %, il fallait rabaisser l'investissement afin de ramener les deux au même niveau. Il nous était demandé de niveler l'investissement au niveau de la partie du tableau pour laquelle nous avions été le moins performants. Au terme d'une âpre bataille, nous avons toutefois obtenu gain de cause au mois de novembre dernier.

S'agissant du régime 2014-2020, le premier moment de vérité interviendra au premier trimestre 2017, lorsque nous ferons, à mi-parcours, le bilan des trois premières années. Nous nourrissons quelques inquiétudes : d'une part, l'État ne maîtrise plus tous les leviers, ce qui crée une difficulté supplémentaire dans le suivi ; par ailleurs, certaines pesanteurs dans la mise en route – rencontrées aussi par les régions métropolitaines – ont conduit à des taux d'exécution inférieurs à 20 %, ce qui est nettement insuffisant pour la période considérée.

Nous avons commencé à travailler sur le troisième cycle, « post 2020 » selon le jargon bruxellois, à cet égard notre grande inquiétude est que la tentation de faire toujours plus vert, plus bleu, plus intelligent, plus moderne et vertueux, fasse oublier à tout le monde que nos outre-mer ont encore besoin d'un certain nombre d'équipements de bases qui font défaut, du fait du développement de leur démographie, plus particulièrement à Mayotte ou en Guyane, ou d'un problème d'accès à l'eau, comme en Guadeloupe.

L'enjeu majeur à nos yeux est de prévenir un décrochage conduisant les fonds européens à ne plus se préoccuper que d'innovation, de nouvelles technologies ainsi que d'économie intelligente et non polluante, au lieu de répondre à nos besoins de base.

À l'échelon interministériel ainsi qu'avec nos interlocuteurs espagnols et portugais, nous préparons un évènement politique important, qui aura lieu au mois de mars prochain à Bruxelles : le forum d'échanges entre les États membres, les RUP et la Commission. Cet évènement donnera lieu à une communication de la Commission, qui devrait intervenir au mois de septembre 2017, et orienter son travail pour plusieurs années.

Enfin, comme l'a dit Claude Girault, la première destination du ministère de l'outre-mer est Bruxelles. Nous sommes fiers d'avoir obtenu que nos amis des services bruxellois se rendent outre-mer, où se tiennent beaucoup de réunions intéressantes, car la mise au contact avec la réalité du terrain est importante. La Direction générale de la politique régionale et urbaine, qui possède la culture des territoires, s'est ainsi déplacée. Nous avons par ailleurs réussi à faire venir à Paris la Direction générale de la concurrence pour évoquer concrètement les questions fiscales et douanières, et nous espérons bien les faire venir outre-mer un jour ; mais des frontières psychologiques importantes restent à franchir.

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