Intervention de Jean-François Delfraissy

Réunion du 6 décembre 2016 à 17h00
Commission des affaires sociales

Jean-François Delfraissy :

Professeur de médecine, je me considère fondamentalement comme un médecin, mais je suis aussi un chercheur, qui a commencé sa carrière à l'INSERM dans le domaine de l'immunologie. Lorsque je suis rentré des États-Unis, dans les années 1983-1984, je suis tombé dans le monde du virus de l'immunodéficience humaine (VIH), et je viens de passer trente-deux ou trente-trois ans de ma carrière à construire et à coordonner la recherche sur l'infection au VIH.

J'ai exercé d'abord comme praticien, puis comme chef de service dans les hôpitaux de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), plutôt en banlieue, à l'hôpital Antoine-Béclère et à l'hôpital de Bicêtre. J'ai été notamment chef d'un service des urgences pendant trois ans. Compte tenu de cette expérience, j'ai une vision assez complète de la relation médecin-patient.

Le travail sur le VIH a transformé la vie de nombreux médecins et chercheurs, notamment la mienne. La première leçon que j'en tire est qu'il faut prendre en charge le patient non pas « allongé », mais « debout », considérer qu'il est au coeur de la réflexion sur la relation médecin-malade, y compris dans le domaine de la recherche. Cela m'a aidé ensuite, à la tête de l'ANRS, à ménager une véritable place aux patients, à les écouter, à construire la recherche avec eux et, parfois, à confier aux associations de patients certaines questions de recherche, notamment sur des aspects de santé publique. C'est le point essentiel que je retiens de ce que j'ai pu faire au cours de ma carrière : il faut construire en tenant compte de la vie des citoyens. J'ai essayé de former une série de jeunes collaborateurs et chercheurs à cette approche.

L'âge venant, on se voit confier des missions un peu inattendues. On m'a ainsi confié la direction de l'ANRS et le soin de défendre, au niveau international, la vision de la France à propos du VIH et des hépatites. Puis, en octobre 2014, en pleine crise de fièvre Ebola, dans la mesure où j'étais un spécialiste des virus, le Premier ministre m'a nommé coordinateur interministériel de la lutte contre Ebola. Il s'agissait de coordonner tous les aspects – diplomatiques, médicaux, de recherche, d'organisation sur le territoire français – de la réponse française à cette crise.

Vous m'avez demandé, madame la présidente, pourquoi j'ai postulé au poste de président du CCNE. Je me suis posé cette question à moi-même. Nous avons tous des temps différents au cours de notre vie. Pendant des années, j'ai été – passez-moi l'expression – un cow-boy de la recherche : il m'a fallu, en permanence, construire et coordonner dans des conditions d'urgence, répondre immédiatement à des situations délicates, réfléchir un peu sur le moyen terme, mais jamais sur le long terme, parce que nous n'en avions pas le temps et qu'il y avait d'autres enjeux. J'arrive à un moment de ma vie personnelle où j'ai envie de prendre un peu le temps de réfléchir et d'écrire sur des questions relatives à l'éthique.

Ces questions m'interpellent depuis de nombreuses années. J'ai été concerné très tôt, alors que j'étais jeune chef de clinique, par la question de la fin de vie des patients atteints du sida, mais aussi par celle de la tolérance à l'hôpital : la réponse que l'on a donnée lorsque les homosexuels et les toxicomanes sont arrivés à l'hôpital était, on l'a oublié, inappropriée au départ.

Ensuite, l'ANRS a été la première agence à élaborer une « charte d'éthique de la recherche dans les pays en développement ». Nous nous sommes interrogés sur la manière de mener des travaux de recherche avec les pays du Sud et avons abordé les grandes questions d'éthique qui peuvent se poser à cette occasion.

Plus récemment, dans le cadre du groupe de travail sur le virus Ebola – la recherche se poursuit après la crise sanitaire –, nous nous sommes posé une série de questions éthiques : quelle est l'acceptabilité des soins venant du Nord ? Peut-on mener un essai randomisé dans une situation extrême ?

En ce qui concerne le CCNE lui-même, c'est une instance qui tourne, et je souhaite d'abord observer ce qui se passe, écouter et comprendre avant d'agir. Donc, je n'ai pas de plan pour le CCNE. En tout cas, son positionnement est particulièrement intéressant, notamment dans la phase actuelle, son rôle étant d'émettre des avis et de formuler des recommandations. À cet égard, il convient de préserver un certain équilibre, en donnant une série d'informations aux responsables politiques et au public dans son ensemble, et en se mouillant un peu de temps en temps, pour émettre une ou deux recommandations lorsque les choses deviennent assez claires.

Néanmoins, je souhaite faire quelques remarques à propos du CCNE, qui rejoignent mes propos précédents.

Premièrement, le CCNE m'apparaît comme un organe très élitiste, composé de gens très brillants à tous points de vue. C'est une bonne chose, mais je n'y retrouve pas totalement la place du citoyen, à plus forte raison sur les questions sociétales. Bien sûr, les citoyens sont écoutés en tant que tels, mais l'avis de la base manque un peu à cette élite intellectuelle, dont l'intervention est certes très pertinente. Or les événements récents ont montré que l'avis des citoyens et celui des élites pouvaient parfois diverger.

Deuxièmement, le CCNE s'est emparé, à ce stade, de trois grands sujets : la procréation médicalement assistée (PMA) au sens très large du terme – Jean-Claude Ameisen a beaucoup avancé sur la rédaction d'un document qui aborde la question dans sa globalité –, la fin de vie, les neurosciences et les aspects cognitifs. À côté de ces trois piliers majeurs, il conviendrait, selon moi, de prendre davantage en compte certains sujets sociétaux qui pourraient devenir d'actualité, ou d'anticiper la réflexion sur ces sujets. Je mentionne, sans prétendre à l'exhaustivité : le vieillissement et l'accompagnement pour bien vieillir ; les innovations thérapeutiques, leur coût et l'accès à ces innovations ; la révolution des données massives – big data – et la manière dont elle va changer notre vie à tous égards ; la santé des migrants ; l'arrivée des organes bio-artificiels imprimés en 3D – on commence à en fabriquer surtout en Asie, mais aussi un peu en France, avec l'implication d'un certain nombre de grandes biothèques et de structures issues des investissements d'avenir.

Une révision de la loi bioéthique est prévue en 2018. Compte tenu des événements politiques, il est possible qu'elle ne soit pas considérée comme prioritaire et qu'elle soit décalée. En tout état de cause, nous devrons organiser, au préalable, des états généraux de la bioéthique, ce qui n'a pas été fait depuis longtemps. C'est un exercice lourd et difficile, mais, tout mandarin que je sois – c'est ce que disent certains et c'est vrai dans une certaine mesure –, j'attache une très grande importance à l'avis des citoyens sur la santé, sur un certain nombre de problèmes connexes, et, au-delà, sur les questions d'éthique.

Enfin, j'ai également envie de m'intéresser à l'action internationale du CCNE. D'abord, il est essentiel de développer une vision plus européenne que celle que l'on a pu avoir auparavant. Est-il logique que l'on fasse certaines choses différemment en France et en Belgique ? On pourrait prendre d'autres exemples. Ensuite, il y a une action à mener à l'échelle des pays francophones. À l'ANRS, nous avons monté, avec l'ensemble de mon équipe, une série de collaborations avec des sites de recherche africains, notamment dans le domaine des maladies infectieuses, et nous avons travaillé avec plusieurs ministres de la santé des pays concernés. Dans ce cadre, des questions nous ont été posées en matière de bioéthique, notamment par le comité bioéthique de Guinée. Lorsque j'étais plus jeune, j'ai aussi participé à la relance d'un comité d'éthique et au lancement d'un premier essai thérapeutique au Cambodge, après les événements qu'avait connus ce pays. Au-delà même du rôle joué par le CCNE, la maison France a, selon moi, une carte à jouer, une vision à défendre et un message à porter en matière d'éthique, une politique propre à mener pour aider nos amis des pays du Sud à réfléchir à ces problèmes majeurs.

Le poste de président du CCNE n'est pas cumulable avec celui de directeur de l'ANRS, qui sera confié à une personne plus jeune. Je resterai directeur de l'institut de microbiologie et des maladies infectieuses de l'INSERM pendant un trimestre afin de faire la jonction avec mon successeur. Ensuite, je consacrerai tout mon temps à la présidence du CCNE. Cela se justifie pleinement, car je tenterai d'être à la hauteur des grands noms qui m'y ont précédé.

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