Intervention de Jean-François Delfraissy

Réunion du 6 décembre 2016 à 17h00
Commission des affaires sociales

Jean-François Delfraissy :

Je m'en expliquerai après avoir remercié les commissaires de leurs questions ; elles témoignent de l'intérêt que les femmes et les hommes politiques portent aux grands problèmes sociétaux. Comme vous l'avez souligné, madame la présidente, je ne préside pas à ce jour le CCNE ; c'est donc l'avis que je porte à titre personnel sur plusieurs sujets que certains d'entre vous ont demandé à connaître. De plus, si j'étais le président du Comité, je serais le coordonnateur de ses travaux et le porte-parole de l'ensemble de ses membres. Mes idées auraient bien sûr leur place dans le débat, mais elles ne devraient pas le dominer. Telle est en tout cas ma vision de la présidence de l'organisme. J'ai eu, à l'ANRS, l'expérience de faire travailler ensemble des personnalités d'horizons très variés, ce qui apporte une grande richesse ; nous avons abouti sinon à un consensus du moins à un résultat dont le président de l'organisme n'est que le porte-parole. Pour cette raison, je ne répondrai pas à toutes vos questions.

Je considère essentiel, je vous l'ai dit, que le CCNE s'empare de questions sociétales en faisant la part plus belle à la vision qu'en ont les citoyens. L'instance, très bien construite, est un peu élitiste. C'est une bonne chose, puisque cela signifie que de grands intellectuels réfléchissent à des thématiques très différentes, mais il m'apparaît indispensable de revenir en permanence à ce que nos concitoyens pensent de ces questions complexes. C'est ce que j'ai voulu à l'ANRS pour ce qui a trait au VIH, et cette démarche m'importe au plus haut point. L'activité du CCNE peut probablement progresser sur ce plan si l'on organise des réunions citoyennes régionales, tous débats quelque peu mis en veilleuse ces trois ou quatre dernières années. J'y tiens beaucoup, et cela me guidera sûrement.

Nous avons eu l'occasion, monsieur Bapt, de discuter en d'autres circonstances du grave sujet qu'est le coût des médicaments et de l'innovation. Cette question précise n'est pas du ressort du CCNE, mais une réflexion s'impose en effet sur l'accès aux soins et aux thérapeutiques innovantes en oncologie, en infectiologie et, à l'avenir, pour les maladies neurodégénératives dont le coût des traitements va beaucoup augmenter. J'ai déjà dit mon inquiétude au sujet des nouveaux médicaments contre l'hépatite C, plaidant en faveur d'un juste prix et d'une juste prescription ; une réflexion globale est nécessaire.

Il y a dans les données de santé un enjeu capital. Un équilibre doit être trouvé car il faut maintenir l'indispensable protection des données personnelles mais aussi permettre leur utilisation par la recherche française. Parce que ces données sont très fortement protégées, l'accès des chercheurs y est à ce jour très restreint, alors même que la France dispose, grâce à la CNAM, de la plus grande banque de données qui soit sur une série de pathologies. Une réflexion s'impose donc, pour parvenir à concilier la nécessaire protection des données personnelles et la faculté donnée à nos chercheurs de s'en servir pour participer à la compétition internationale – c'est-à-dire pour mieux soigner. Nous y travaillerons. Ce n'est pas facile, mais nous progresserons en recueillant le point de vue d'économistes de la santé, une profession probablement insuffisamment représentée au sein du CCNE.

J'ai pour partie répondu à vos questions relatives au débat public, dont je vous ai dit d'emblée combien il m'importe. Des états généraux doivent être convoqués, préalablement au réexamen de la loi de bioéthique prévu en 2018 ou indépendamment de cette révision puisque les statuts du CCNE prévoient qu'« en l'absence de projet de réforme, le comité est tenu d'organiser des états généraux de la bioéthique au moins une fois tous les cinq ans ». Des états généraux bien préparés permettent de tenir compte du point de vue des citoyens, et il me tient à coeur que ces débats, aussi difficiles soient-ils, ne restent pas des débats d'experts ou de politiques, mais qu'ils traduisent une réflexion partagée. J'y tiens vraiment.

Vous avez souhaité connaître mon avis sur la fin de vie. Je ne vous répondrai pas là-dessus, car un groupe de travail du CCNE est engagé dans une réflexion à ce sujet. Mon opinion a d'ailleurs évolué entre le moment où j'étais jeune chef de clinique et celui où j'en suis venu à m'occuper de la pandémie de sida. Je l'exprimerai en temps voulu devant le groupe de travail concerné. Mais, je le redis, les avis du CCNE sont construits en groupe, le président de l'organisme étant son porte-parole, chargé de transmettre ses messages.

À cet égard, je vous ai indiqué être favorable à ce que, selon la question posée, aussi difficile soit-elle, et le contexte, le CCNE s'autorise de temps en temps à formuler des recommandations un peu plus fortes que le seul état des lieux destiné à éclairer la décision politique.

Le CCNE n'ayant pas constitué de groupe de travail relatif aux prématurés, il conviendra de nous saisir formellement à ce sujet. C'est un domaine où la France est plutôt en avance, et il faut rester très ouvert. Lorsque j'ai commencé ma carrière de médecin qui vient maintenant à son terme, l'idée de sauver des grands prématurés pesant entre 500 et 600 grammes était inimaginable. Grâce aux progrès de la biotechnologie et de la médecine, on le peut maintenant, et certains des enfants considérés sont maintenant âgés d'une dizaine d'années. Particulièrement sensible à ce sujet pour des raisons familiales, j'insiste sur le fait que ce qui importe de manière primordiale n'est pas l'état de grande prématurité, mais l'état cérébral du nouveau-né et la capacité de porter un jugement sur ce qu'il est. J'ai bien pris note de votre demande, madame Le Callennec.

Vous m'avez demandé, Monsieur Arnaud Richard, si je m'occuperai de la neuvième Conférence scientifique sur le VIH qui aura lieu en juillet 2017 à Paris. Je me pose également la question… A priori, je pense que oui, mais avant d'en décider formellement, je veux connaître l'avis de mes collègues du CCNE. Je n'ai pas de lien d'intérêt industriel avec cette conférence ; je crois important que la voix de la France y soit portée et mon nom est connu internationalement dans ce domaine de recherche ; mais si cela pose problème, je me retirerai et passerai le flambeau. J'évoquerai la question sinon lors de la première réunion du CCNE en ma présence, du moins au cours de la suivante pour que mes collègues m'aident à me déterminer. Ma réponse est encore incomplète, mais il ne me semble pas que mon implication dans cette conférence puisse susciter un conflit d'intérêts particulier.

Comment le CCNE peut-il, tout en jouant son rôle d'organisme consultatif, des discussions qu'il peut avoir, y compris avec l'Office parlementaire, avoir une plus grande visibilité et partager ses avis avec les citoyens ? Il ne s'agit plus de science ni dans la construction politique : il s'agit en somme de savoir comment on fait tourner la boutique et, en l'espèce, je pense qu'il faut faire mieux. Les sujets dont traite le CCNE suscitent un fort intérêt des citoyens, ce qui s'explique très bien : il ne faut pas être savant pour avoir une opinion ; il faut d'abord y avoir réfléchi, souvent à partir d'un problème ressenti personnellement. Un service de presse un peu étoffé, des réunions organisées avec des jeunes et des conseils de région devraient permettre d'accroître la notoriété du CCNE. Il ne s'agit évidemment pas de renforcer la visibilité de la structure elle-même, ce qui n'aurait pas grand intérêt, mais de partager davantage la réflexion et de donner à nos concitoyens l'appétit de débattre des problèmes éthiques.

Y a-t-il une vision internationale autour des problèmes d'éthique ? Oui. Les comités d'éthique nationaux se réunissent lors d'un sommet tous les deux ans. Vous avez rappelé que la France a été le premier pays à créer un Comité national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé ; il en existe maintenant soixante-cinq dans le monde. Leurs statuts sont différents mais ils sont dans leur immense majorité construits sur le modèle français d'une instance non décisionnelle et par le fait indépendante. Tous les ans, les comités d'éthique nationaux des pays européens se réunissent pour essayer de faire progresser l'Europe sur ce plan. Leurs statuts sont également hétérogènes : ainsi, le comité d'éthique britannique – mais les Anglais sont toujours un peu différents – n'est pas financé par l'État mais par le Wellcome Trust ; cette manière de procéder semblerait aberrante en France. Nous pousserons évidemment la réflexion au niveau européen. Enfin, je vous ai dit considérer qu'il y a matière à développer une démarche plus globale avec nos amis africains et dans l'espace francophone, où la France a une réelle visibilité, y compris sur les aspects de réflexion et de coordination.

Le médecin que je suis peut vous dire que de grands progrès ont été accomplis dans l'offre de soins palliatifs. Il est beaucoup moins difficile que ce ne fut le cas dans le passé d'obtenir une place dans un service spécialisé – même si des difficultés peuvent persister dans certaines régions, ou l'été. Autrement dit, sur le plan quantitatif, la réponse a globalement beaucoup progressé. Ce qui pose encore des difficultés, c'est l'aspect qualitatif, autrement dit la capacité des soignants à engager le dialogue avec les familles pour faire accepter la décision délicate du passage de leur proche en service de soins palliatifs. Quand elles sont partagées, ces décisions se prennent plus facilement.

Pour conclure, mon intention est de développer, un peu plus qu'elle n'existe actuellement, la participation citoyenne aux réflexions du CCNE, et donc une communication qui aille en ce sens, en traitant de sujets sociétaux intéressant une plus grande partie de la population que ceux qui ont été traités jusqu'à présent.

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