Intervention de Pascal Saint-Amans

Réunion du 7 décembre 2016 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscales de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) sur la coopération internationale en matière de lutte contre l'érosion des bases fiscales :

Je vais regrouper vos questions autour de quelques thèmes.

S'agissant du rôle des États-Unis, M. Lellouche a eu raison de dire qu'ils ont imposé unilatéralement et extra-territorialement la législation FATCA. Leur poids économique est tel que les mesures de rétorsion qu'ils ont prévues à l'encontre des banques qui ne respecteraient pas leur réglementation ont incité les pays européens à s'adresser à l'OCDE pour protéger leurs banques en donnant l'information eux-mêmes, plutôt que d'exposer leurs établissements bancaires. C'est ce qui a été négocié, sans une réciprocité complète.

Par ailleurs, en matière d'échange de renseignements à la demande, les États-Unis ont quelques défaillances. Notamment, dans l'État du Delaware, il n'existe aucune obligation de déclarer le bénéficiaire effectif d'une société unipersonnelle à responsabilité limitée –single limited liability partnership. Les États-Unis ne pratiquent donc qu'une réciprocité partielle. Mais cela concerne l'échange de renseignements bancaires, qui est différent du reporting pays par pays dont vous êtes saisis aujourd'hui.

Concernant l'échange de renseignements bancaires, les États-Unis pratiquent une forme de réciprocité, notamment avec la France. L'OCDE souhaite que cette réciprocité devienne complète, ce n'est pas le cas aujourd'hui. En tout cas, grâce à la législation FATCA, la France va obtenir les informations de la Suisse. L'Union européenne n'ayant jamais été capable de parler d'une seule voix à ce sujet, il a fallu l'intervention des États-Unis pour mettre fin au secret bancaire absolu dans certains États.

Que l'on y croie ou non, les faits sont là : 500 000 contribuables ont déclaré des comptes à l'étranger, dont 48 000 en France. Il est toujours possible de dire qu'il ne se passe rien et que les paradis fiscaux continuent à exister, il faut regarder les faits, et ne pas s'en tenir à des représentations.

En ce qui concerne le reporting pays par pays, les États-Unis sont dans le circuit, ils ont adopté les réglementations qui leur permettent d'obtenir l'information et ils utiliseront les conventions fiscales bilatérales pour le faire. Il n'est donc pas nécessaire de passer par le multilatéral, le bilatéral peut suffire. Je crois que la future administration ne modifiera pas la pratique en vigueur jusqu'alors : les États-Unis échangeront les informations, mais de manière bilatérale, pas dans un cadre multilatéral.

Les États-Unis ont donc adopté les mesures réglementaires nécessaires pour commencer à échanger les informations, avec six mois de retard. Néanmoins, pour les États-Unis et les autres – la Suisse a dix-huit mois de retard – nous avons mis en oeuvre un mécanisme de déclaration volontaire des multinationales. Si leur gouvernement n'échange pas les renseignements, elles peuvent déposer leurs déclarations dans les pays où elles opèrent. Nous le verrons en 2017, ce mécanisme sera très largement utilisé, car les entreprises prennent cela au sérieux, dans la mesure où notre dispositif prévoit que si l'échange ne prend pas place, les États peuvent demander l'information unilatéralement, comme dans FATCA. Cette mesure de rétorsion incite les entreprises à déclarer dans le pays où elles opèrent, même si l'État de siège n'est pas prêt à faire de l'échange de renseignements. Cette mesure a été sécurisée dans l'accord pour éviter les asymétries du type FATCA.

Plusieurs d'entre vous ont mentionné la Chine. Elle soutient totalement ces travaux, et applique les mesures décidées. Hong Kong est une juridiction séparée. Techniquement, c'est une région administrative spéciale de la Chine, indépendante d'un point de vue fiscal. Hong Kong et Singapour sont donc partie aux travaux, et ont pris tous les engagements. Les cent un pays pratiquant l'échange automatique de renseignements incluent naturellement toutes ces places financières. Je ne dirais pas que nous avons toutes les places financières s'il manquait Singapour ou Hong Kong.

L'Allemagne joue un rôle clé, notamment par la présidence du G20. Le ministre des finances Wolfgang Schäuble a été extrêmement actif et apporte son poids politique.

Naturellement, la question des GAFA et de l'économie numérique reste entière. Ayez en tête que le volet TVA est en train d'être appliqué. C'était un sujet majeur, notamment pour les distributeurs qui n'étaient pas référencés dans les recherches de prix sur internet car ils facturaient la TVA tandis que leurs compétiteurs ne le faisaient pas. La règle a été clarifiée : la TVA doit être acquittée dans l'État de consommation. Cela permet non seulement de récupérer de l'impôt mais aussi de mettre fin à cette inégalité de traitement entre les différents acteurs, car le fait de ne pas être référencé ou de n'apparaître qu'à la cinquantième page fait perdre des clients.

La concurrence fiscale existe, c'est un problème qui n'a pas été résolu. Je n'ai pas à me prononcer sur l'harmonisation européenne. Je vous invite juste à réfléchir sur le sens de l'harmonisation fiscale, car il y a un déficit de réflexion sur ce point. Harmoniser, mais quoi ? L'impôt sur les sociétés, l'impôt sur les personnes physiques, la TVA ? Harmoniser pourquoi ? Harmoniser la base, les taux ? Les taux de prélèvements obligatoires ne sont pas les mêmes dans l'Union européenne, donc si l'on souhaite harmoniser la fiscalité, il faut regarder les dépenses.

Je fais beaucoup d'auditions, dans beaucoup de pays, et j'ai beaucoup de respect pour les représentants de la nation, quelle que soit la nation. Lorsque je vais en Irlande, je suis dans un pays souverain, face à des représentants souverains qui estiment que leur souveraineté leur permet de fixer un taux d'imposition des sociétés à 12,5 %. J'entends la France qui estime que sa souveraineté lui permet de fixer un taux à 35 %, mais comment articule-t-on ces différentes souverainetés ? Je ne suis pas contre l'harmonisation, mais il ne suffit pas de dire qu'il faut harmoniser, il faut une véritable réflexion, en profondeur.

Ainsi, l'Union européenne s'apprête à dresser la liste de pays qui n'ont aucune fiscalité, estimant que ce n'est pas normal. Cela paraît de bon sens, mais si nous inscrivons les Bermudes ou les Bahamas – qui n'ont aucune fiscalité – que devront faire ces États pour sortir de la liste ? Mettre en place un impôt sur les sociétés ? Sur quelle base, à quel taux, et qui fera la police ? Le problème n'est-il pas plutôt que l'Union européenne n'a pas de frontières extérieures ? Il a été mis fin aux frontières intérieures, il n'y a pas de retenue à la source sur un dividende qui part en Irlande, et l'Irlande n'a pas de retenue à la source lorsque le flux part aux Bermudes. N'est-ce pas là le problème, plutôt que de dire que ces États ont tort de ne pas avoir de fiscalité ? Après tout, ce sont aussi des États souverains, et aux Bahamas et aux Bermudes, j'ai été auditionné par des ministres et des parlementaires qui ne souhaitent pas se faire dicter ce qu'ils doivent faire. Il est facile d'appeler à agir, mais je trouve qu'il manque aujourd'hui une réflexion, et vous avez un rôle clé à jouer à cet égard.

La concurrence fiscale existe aujourd'hui. Avant l'adoption de BEPS, elle permettait juste, par arrangement contractuel, de placer de l'argent aux Bermudes avec un taux d'imposition nul. Ça, c'est vraiment terminé. Vous évoquez le rythme des chars à boeufs, mais modifier toutes les règles de fiscalité en deux ans, avec l'accord de quarante-quatre pays membres, en respectant les procédures législatives, c'est plutôt rapide. Mais la concurrence fiscale qui va en résulter sera encore plus âpre. Si l'on plaçait auparavant des profits aux Bermudes à un taux d'imposition de 0 %, il faudra demain placer des activités pour bénéficier de ces taux, ce qui entraîne une pression à la baisse de l'impôt sur les sociétés. Du fait de la souveraineté des États, nous n'avons pas encore de réponse à cette question qui porte sur l'avenir de l'impôt sur les sociétés.

Vous m'avez interrogé sur le seuil retenu –750 millions d'euros de chiffre d'affaires – pour la déclaration pays par pays. Il est effectivement relativement élevé, mais il sera revu en 2020. Notre préoccupation principale était de le voir fonctionner, et lorsque l'on entre dans le détail, c'est extrêmement complexe. Demander à de plus petites entreprises de l'appliquer faisait courir le risque d'une mise en oeuvre peu harmonisée. Nous ne souhaitons pas maintenir ce seuil à ce niveau, mais commencer à mettre le dispositif en oeuvre avec des acteurs avec lesquels nous pouvons discuter avant de faire baisser ce seuil. C'est une approche pragmatique.

Sur le calendrier, nous sommes plutôt confiants sur l'entrée en vigueur de ces mesures, et pour les pays en retard, des déclarations volontaires seront faites. L'accord qui vous est soumis est un accord multilatéral, mais ensuite, la France devra dire avec quels autres pays elle activera l'accord multilatéral. Elle devra indiquer à l'OCDE la liste des pays avec lesquels elle compte mettre en oeuvre l'échange d'informations, les autres pays feront de même, et nous mettrons ces déclarations en relation pour faire entrer l'accord en vigueur. Nous sommes confiants quant au fait que tous les pays signataires vont se nommer les uns les autres, du fait de l'existence du dispositif anti-abus : les États ont la possibilité de demander unilatéralement, c'est une incitation forte. Il n'y a pas de réciprocité systématique car certains États n'ont pas d'impôt sur les sociétés.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion