Monsieur le président, je voudrais d'abord m'associer à l'hommage que vous avez rendu, ce matin, à Rémy Pflimlin, lors de l'audition de Delphine Ernotte. Je le connaissais personnellement puisqu'il a présidé pendant de longues années le conseil d'administration de TV5 Monde. Sa disparition a été un choc collectif et je voulais faire part de mon soutien à l'ensemble des équipes de France Télévisions.
La salle dans laquelle nous nous trouvons est, pour moi, une madeleine de Proust, car c'est ici que je me suis présentée devant vous lors de la procédure de nomination en octobre 2012. Je mesure d'autant mieux le chemin parcouru. Le précédent COM nous a permis de réaliser tous nos objectifs en matière de distribution, d'audience et de rénovation des grilles. Pourtant, la situation n'était pas facile. Grâce au COM 2013-2015, nous sommes sortis de la situation de tension que j'ai connue à mon arrivée : importants plans de départ, entreprise à l'arrêt, déménagement interrompu, fusion qui avait eu lieu sur le papier mais pas dans les faits. Il a donc fallu d'abord recréer de la confiance et du dialogue social. Dès novembre 2012, nous avons réuni l'ensemble des équipes sur la base du volontariat, construit un vrai projet d'entreprise et, au-delà du COM qui est arrivé ensuite, un vrai plan stratégique. On peut dire que nous sommes aujourd'hui une société nationale de programme à part entière.
Nous avons développé quatre axes.
Premièrement, nous devions construire un groupe. Il a fallu débloquer le déménagement, ce que nous avons fait en février 2013. Nous avons créé un véritable organigramme qui a permis de mutualiser de nombreuses directions, tout en préservant l'identité de chacun des médias, de chacune des rédactions. Nous avons aussi rétabli des procédures de gestion qui n'existaient pas. Quand je suis arrivée, il n'y avait pas vraiment de procédure budgétaire ni de suivi des plans de départs. Il a donc fallu rétablir un fonctionnement normal. Nous nous sommes symboliquement rebaptisés « France Médias Monde » en juin 2013, au lieu de « Audiovisuel extérieur de la France » (AEF).
Deuxièmement, nous avons voulu marquer la spécificité de notre groupe, dans un paysage audiovisuel mondial qui ne nous attendait pas, notamment en matière télévisuelle. Je me suis rendue compte hier, en célébrant les dix ans de France 24, qu'à la naissance de la chaîne personne ne pensait qu'elle trouverait une place déjà occupée par CNN, BBC World News et Al Jazeera.
Nous avons refondu nos grilles, lancé de nouvelles émissions, élargi les plages de direct, rompu le strict parallélisme des antennes de France 24, coproduit des émissions entre nos médias délocalisés pour aller à la rencontre de nos publics, mis le participatif au coeur de nos émissions, notamment autour des Observateurs, l'émission phare de France 24. Nous avons accentué la dimension culturelle de nos offres, qui est une signature française à l'international.
Et puis nous avons réaffirmé nos valeurs, en particulier quand la France vivait des moments particulièrement douloureux, dans les années 2015 et 2016. Nous avons affirmé, dans quinze langues, la liberté, l'égalité, l'universalité, la laïcité, le respect de l'autre, et notamment des femmes. Nous avons probablement été l'une des rares chaînes anglophones, pour France 24 en anglais, et sans doute la seule arabophone, à montrer la une du « Charlie des survivants », sans ostentation, sans provocation, mais simplement parce qu'il ne suffit pas de décimer une rédaction pour faire disparaître la liberté d'expression.
Nous nous sommes engagés en faveur de l'éducation aux médias et avons signé une convention avec l'éducation nationale.
Nous avons accentué notre réforme pour l'apprentissage de la langue française, avec des méthodes adaptées aux langues africaines.
Nous avons également défendu, à l'intérieur de notre entreprise et sur nos antennes, la parité hommes-femmes.
Nous nous sommes mobilisés pour rendre nos journaux accessibles aux sourds et malentendants et pour mener d'autres actions en direction du handicap.
Nous avons réformé l'ensemble de nos rédactions en langues étrangères. Nous n'en avons que quinze, alors que d'autres grands médias internationaux en ont plus du double. Nos efforts ont été couronnés de succès puisque RFI Rômania a été décorée de l'ordre du mérite culturel pour sa contribution à la démocratie roumaine. Le khmer a également été développé : avec RFI, nous faisons partie des cinq premières radios en khmer. L'anglais a été développé à RFI grâce à France 24. RFI a aussi lancé une nouvelle langue africaine, le mandingue, qui est parlé dans la zone sahélienne.
Nous avons refondu tous nos sites internet et mis l'accent sur une stratégie « mobilité » et les réseaux sociaux. Dans le même temps, nous avons fait un saut technologique en passant à la haute définition pour France 24.
Cette stratégie de priorité à la qualité des contenus a porté ses fruits, tant en linéaire qu'en numérique, puisque France 24 a vu son audience grimper de 22 %, pour atteindre 51 millions de téléspectateurs dans 64 pays mesurés pour 180 distribués. L'audience de RFI, qui compte 40 millions d'auditeurs, a augmenté de 16 % au cours de ce COM, dans 37 pays mesurés pour 150 distribués. Quant à Monte Carlo Doualiya, la radio arabophone, qui compte désormais 7,3 millions d'auditeurs, elle a vu son audience croître de 9 %, malgré des moyens infiniment inférieurs à ceux d'autres concurrents.
En matière de numérique, France 24 et RFI sont premiers sur Facebook avec, respectivement, 17,4 et 11,9 millions d'abonnés. La fréquentation des sites a progressé de 51 % pour France 24, avec 17 millions de visites, celui de RFI de 94 %. Quant au site de Monte Carlo Doualiya, qui n'existait pas à mon arrivée, il recueille désormais 1,3 million de visites.
Au total, au terme de ces quatre ans, notre groupe compte 135 millions de contacts pour l'ensemble du linéaire et du numérique.
Cela a été rendu possible grâce à notre troisième axe de développement. Nous avons multiplié notre présence mondiale. À la fin du COM, en décembre dernier, nous étions à 321 millions de foyers raccordés. Nous sommes maintenant à 325 millions, contre 206 millions en 2012. Nous avons beaucoup progressé en Europe, au Maghreb et au Proche-Orient. Nous avons fait une belle percée en Asie, ainsi que dans les Amériques. Enfin, RFI s'est vu attribuer une nouvelle fréquence FM à Oman pour Monte Carlo Doualiya.
C'est en France seulement que la présence de nos médias n'a pas progressé, même si France 24 est présente en Île-de-France depuis 2014, ce qui a permis 50 % d'audience veille supplémentaire. Pour ce qui est de la radio, l'objectif de développement en France de nos antennes radio fait partie du prochain COM.
Quatrième et dernier axe, nous avons optimisé la gestion de l'entreprise. Notre bilan a toujours été à l'équilibre et nous avons accru nos recettes propres, de manière encourageante, de 15 % pendant la durée de ce COM, pour atteindre presque 8 millions à la fin de 2015.
Ce COM a aussi été marqué par un souci de sécurité croissant pour nos équipes.
Le nouveau COM 2016-2020 s'inscrit dans la continuité du précédent, mais dans un contexte qui a radicalement changé, avec la montée des périls, l'inquiétude au niveau européen, le Brexit, la crise migratoire, la radicalisation, le terrorisme, les conflits. Dans ce contexte, la concurrence est d'une rare violence, tous les grands pays cherchant à développer une diplomatie d'influence, et la révolution numérique est continue.
Dans ce cadre, nous avons fixé trois grands axes pour notre futur COM : des contenus toujours plus référents pour nos médias – c'est le nerf de la guerre –, une présence mondiale renforcée et une gestion toujours rigoureuse.
En ce qui concerne les contenus, notre priorité est le lancement de France 24 en espagnol. Nous avons bien avancé. Notre société est constituée pour avoir une rédaction délocalisée en partie à Paris, en partie à Bogota, adossée à la rédaction hispanophone de RFI à Paris. Nous avons commencé à lancer des appels d'offres techniques.
Nous allons nous investir chaque jour davantage dans Franceinfo, dont nous sommes le plus gros contributeur en termes de volume, non seulement la nuit, mais aussi pendant la journée, avec Les Observateurs, Focus, nos modules de journaux internationaux.
Le numérique est aussi un axe majeur du prochain COM. Nous voulons industrialiser notre rapport au numérique, en mettant notamment l'accent sur toutes les écritures vidéo mobiles, sur l'animation des réseaux et leur modération – qui est essentielle, car on est parfois confronté au pire. Nous voulons montrer que nous avons des missions de service public à remplir dans l'univers numérique, et d'abord en direction des jeunes. C'est pourquoi nous avons créé RFI Savoirs en juin dernier, RFI Musique en novembre, que nous nous sommes associés à Mashable pour lancer le site Mashable en français. Nous avons d'ailleurs franchi plus vite que prévu le cap du million de visites sur ce site, qui atteint bien sa cible, c'est-à-dire les jeunes Français, mais aussi les jeunes francophones.
Nous avons également affirmé notre engagement en matière d'internet citoyen avec RFI Challenge App Afrique ou avec Les Observateurs, qui sont aussi devenus Les Observateurs du climat, Les Observateurs des quartiers, avec l'émission Pas 2 quartier.
Nous nous apprêtons à lancer, en coopération avec la Deutsche Welle et l'agence de presse italienne ANSA, un portail destiné aux migrants et financé à hauteur de 2 millions d'euros par l'Union européenne.
Nous continuerons à affirmer la singularité de chaque média, tout en favorisant les mutualisations. C'est le cas de la chaîne en espagnol, qui sera adossée à RFI. C'est aussi le cas de nos émissions communes, comme Mardi Politique, ou d'opérations spéciales, comme La Nuit américaine, au cours de laquelle radios et télévisions ont travaillé ensemble.
Enfin, nous avons un projet pour renforcer l'africanisation du signal de France 24 en Afrique, qui sera financé par des recettes publicitaires et qui devrait permettre à RFI et France 24 de travailler ensemble.
Deuxième axe : nous comptons renforcer notre présence mondiale en nous appuyant sur les supports numériques. Cela se fera en Europe par le passage à la haute définition et, en Afrique, par des fréquences de télévision numérique terrestre (TNT). En Amérique latine, nous améliorerons notre taux de pénétration avec le développement de France 24 en espagnol. Quant à l'Asie, je vous l'ai dit, les débuts sont prometteurs. Après l'Inde et l'Indonésie, nous entrons au Vietnam. Nous avons des projets en Corée du Sud et au Japon. Reste la Chine, qui ne nous donne pas d'autorisation, mais où nous sommes allègrement piratés, si j'en crois les micros-trottoirs réalisés pour les dix ans de France 24 : nous y sommes donc tout de même très regardés…
Nous devons renforcer notre action en Europe, car le Brexit nous lance un défi, nous bouscule : il faut continuer à défendre cette belle idée qu'est l'Europe.
En France, nous avons eu une bonne surprise puisque le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) nous a indiqué que l'État avait préempté pour RFI des fréquences en radio numérique terrestre (RNT) à Lyon, Strasbourg et Lille. C'est une première pour RFI qui, depuis 1993, n'avait pas eu de diffusion pérenne en France ailleurs qu'à Paris.
Le faire-savoir est également un axe du futur COM parce que cela permet de maintenir nos performances ou d'en développer de nouvelles. Nous accompagnerons ainsi de grands lancements, qu'il s'agisse de France 24 en espagnol ou de notre présence au Vietnam.
Ce COM comporte aussi une nouveauté. L'État souhaite nous rattacher Canal France International (CFI), qui est l'outil de coopération audiovisuelle français. Un avenant fixera sans doute les contours de ce rapprochement, qui nous alignera sur ce que font la BBC ou la Deutsche Welle.
Troisième et dernier axe : l'optimisation de notre organisation et la maîtrise des équilibres budgétaires avec, en premier lieu, la sécurité.
Sur ce point, nous avons renforcé nos procédures de sécurité des équipes sur le terrain par la formation, mais aussi les modalités de surveillance et de protection de nos locaux. Nous avons également veillé à renforcer notre capacité à réagir aux cyberattaques. Elles ont failli remettre en cause l'existence même de la chaîne TV5. Pour vous donner un ordre de grandeur, nous subissons 1 million de tentatives d'intrusion par mois.
Nous allons par ailleurs poursuivre l'optimisation de la gestion des ressources humaines. J'ai oublié tout à l'heure de citer, dans le cadre du bilan, l'accord d'entreprise, signé le 31 décembre 2015, qui entrera pleinement en application le 1er janvier 2017.
Enfin, nous allons continuer à travailler avec nos chaînes partenaires, qu'il s'agisse de France Télévisions ou de Radio France, avec lesquelles le projet de chaîne info a été très fédérateur, de CFI qui va se rapprocher de nous, de l'Institut national de l'audiovisuel (INA) avec qui nous travaillons sur d'autres sujets, comme la sécurité, de TV5 Monde, notre chaîne cousine, ou de l'Agence France-Presse (AFP), avec laquelle nous avons beaucoup de points communs puisque nous couvrons nous aussi le monde, avec soixante bureaux.