Intervention de Marie-Christine Saragosse

Réunion du 7 décembre 2016 à 16h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Marie-Christine Saragosse, présidente-directrice générale de France Médias Monde :

FMM est la seule société nationale de programme dont les comptes sont toujours en équilibre. Si les ressources publiques ont certes augmenté d'environ 2 % entre 2013 et 2015, il faut souligner que j'avais hérité à mon arrivée d'un budget amputé de 6,7 %, soit de 15 millions d'euros. En 2016, pour réaliser tous les projets que j'ai évoqués, le budget du groupe est encore inférieur à celui de 2011 ; il n'atteindra le niveau de 2011 qu'en 2018. Le groupe a remboursé à l'État le coût des deux plans de départs, tout en développant de nouvelles langues, en refondant tous ses sites numériques, en réorganisant ses chaînes, en augmentant son audience de 22 %. Merci de me donner l'occasion de souligner, peut-être davantage que je ne l'avais fait, nos exploits en matière de gestion. Nous avons financé tous ces développements grâce à des redéploiements ; nous avons réduit nos frais de structure de 37 %, afin de dégager des moyens supplémentaires pour les contenus.

Venons-en aux effectifs et à la masse salariale que nos amis québécois appellent un « irritant ». Les effectifs sont trop légers selon les syndicats de la maison et trop lourds selon la représentation nationale. J'en déduis que nous devons avoir trouvé le juste équilibre. Quand nous nous faisons « engueuler » par deux pays belligérants à propos de notre couverture du conflit qui les oppose, c'est en général que nous avons bien travaillé. Je pars du même principe dans le cas qui nous occupe. En tout cas, nous assumons : l'augmentation des effectifs est un choix et non une dérive.

Il y a quatre ans, 250 emplois avaient été supprimés, essentiellement dans les radios, à un moment où la chaîne France 24 était encore un enfant de six ans en pleine croissance. Il y avait des choses à faire. Lorsque j'ai été nommée, l'idée était de fusionner l'antenne Afrique et l'antenne monde de RFI. Tant que je serai là, je ne ferai pas cela. Africaniser toutes les antennes de RFI serait une erreur stratégique majeure. L'Afrique est présente sur la radio que vous écoutez en Île-de-France, mais beaucoup moins que sur l'antenne africaine. RFI est bien plus qu'une radio en Afrique, c'est une institution. Si la France voulait déstabiliser cet outil majeur de son influence, elle fusionnerait les deux antennes de RFI. Je me suis bien gardée de le faire puisque je défends l'influence de la France dans cette zone très importante pour la francophonie. Comme nous ne l'avons pas fait, nous avons recréé quelques emplois.

Quand je suis arrivée, on parlait aussi du « problème des langues de RFI ». En réalité, notre problème est de ne pas avoir assez de langues : nous travaillons dans quinze langues alors que la BBC va bientôt en pratiquer quarante. Durant le COM, l'État va nous apporter 23,1 millions d'euros de plus, et je mesure l'effort que cela représente dans le contexte actuel. Pendant la même période, la BBC touchera 339 millions d'euros, utilisera onze langues de plus, en partant d'un socle déjà bien supérieur au nôtre pour ce qui concerne BBC World, c'est-à-dire la radio seule. Le budget de la BBC est déjà pratiquement le double du nôtre ; à terme, le budget et le nombre de langues utilisées seront trois fois supérieurs aux nôtres.

Nous avons reconstitué des ETP dans les langues, avec un budget toujours en équilibre et par redéploiement, puisque nous avons arrêté d'émettre sur ondes courtes pour tout investir sur le numérique qui représente actuellement 40 % de la fréquentation de nos sites. Et ce n'est pas fini : les langues représentent un immense potentiel et c'est la raison pour laquelle nous voulons émettre France 24 en espagnol.

Nous ne pouvions pas laisser France 24 en l'état si nous voulions rivaliser avec les autres : le taux de rediffusion était trop élevé pour une grande chaîne. Nous avons créé des émissions et augmenté la part du direct, ce qui explique la progression de 22 % de l'audience. Nous sommes une entreprise de main-d'oeuvre. Je ne sais pas commander à une société de production extérieure les journaux de la semaine prochaine ; j'ignore à quel moment j'aurai à faire une édition spéciale. À la radio comme sur une chaîne d'information en continu, la qualité des programmes dépend des hommes et des femmes qui les fabriquent. Quand je vais lancer France 24 en espagnol ou le site destiné aux migrants, je crains de devoir créer des postes, de la même façon que j'en ai créés lors du lancement de la version française du site américain Mashable. Je ne sais pas faire de contenus sans personnel – techniciens et journalistes. France 24 n'aurait pas réalisé ces scores si les effectifs n'avaient pas été mis à niveau.

Qu'en est-il de la sécurisation de certaines fonctions ? Je me félicite moi-même chaque jour d'avoir internalisé, dès 2014, des fonctions numériques clés. C'est par des prestataires que les pirates ont pénétré dans TV5 Monde. En internalisant, nous avons certes créé des postes et donc de la masse salariale, mais nous avons aussi économisé 700 000 euros sur la marge commerciale qui est facturée par les prestataires extérieurs, en sus des salaires de leurs intervenants.

Nous avons mis la masse salariale à un niveau raisonnable pour une entreprise de main-d'oeuvre. Rappelons que la masse salariale représente 60 % des dépenses de Radio France, une entreprise soeur, dont l'activité ressemble beaucoup à celle de RFI. Nous n'avons pas démérité et nous avons géré au plus près. Je passe sur les harmonisations sociales qui ont commencé à produire leurs effets. Quand nous avons signé l'accord d'entreprise, nous avons augmenté le temps de travail des personnels de RFI, mais nous avons aussi allégé des horaires et de la pénibilité à France 24, ce qui s'est traduit par la création d'une vingtaine d'ETP. L'effectif, qui s'établit actuellement à 1 839 ETP, va progresser pour atteindre quelque 1 850 ETP à la fin du plan.

Le problème n'est pas tant d'avoir créé des postes que de ne pas avoir suffisamment anticipé ces créations en raison d'un manque d'outils. Les entreprises n'avaient pas fusionné ; il n'y avait aucun système commun de planification. Il était extrêmement difficile de prévoir l'impact d'une mesure, alors que rien n'était normé en interne. Actuellement, nous avons fait des progrès dans ce domaine et nous pensons que nous maîtriserons la trajectoire de notre masse salariale.

Vous m'avez aussi interrogée sur la précarité. Dans une entreprise qui fonctionne 24 heures sur 24 et qui emploie des personnels de soixante-six nationalités parce qu'elle parle quinze langues, il est très difficile de s'aligner sur les taux de précaires qui correspondent aux normes des médias nationaux. Quand on passe en contrat à durée indéterminée (CDI) des gens qui travaillent de nuit à la pige, ils ont tendance à vouloir travailler le jour. On ne peut pas les en blâmer, parce que le travail de nuit est fatigant. Un pigiste qui travaille la nuit va faire autre chose à un certain moment. En faisant passer tous nos effectifs en CDI, nous créerions une rigidité et serions obligés, au bout d'un certain temps, d'embaucher de nouveaux pigistes. C'est pour cette raison que nous conservons un volant de pigistes raisonnable, mais c'est aussi pour remplacer les journalistes étrangers dont la mobilité est assez forte, car ils peuvent être tentés par les salaires alléchants que leur proposent des chaînes étrangères, arabes ou américaines. Notre volant de pigistes nous permet de connaître des journalistes et de les intégrer en cas de besoin. En faisant un gros effort, nous avons réduit notre taux de pigistes de 32 % à 27 %. Quoi qu'il en soit, nous nous efforçons de les traiter correctement ; ils feront l'objet de mesures spécifiques dans le cadre de l'application de notre accord d'entreprise.

Les dépenses en marketing correspondent aussi à un choix stratégique que j'assume. Certains groupes – la BBC, les chaînes américaines qui dépendent du bureau américain de radiodiffusion (Broadcasting Board of Governors – BBG) ou même la Deutsche Welle dont le budget est supérieur de 50 millions d'euros au nôtre – peuvent se permettre d'investir à la fois dans la qualité des programmes et dans le marketing. Comme nous avions moins de moyens, nous avons d'abord mis l'accent sur la qualité des contenus, et nos résultats démontrent que c'est la meilleure manière d'accroître l'audience. Dans le prochain COM, nous allons aussi investir en marketing et en communication pour maintenir notre audience dans un contexte de concurrence sauvage.

Nos recettes propres avaient augmenté de 15 % au cours des trois années du précédent COM. Il nous semble raisonnable de prévoir le même taux de progression pour les trois ans à venir, même si une chaîne comme la nôtre ne peut pas faire n'importe quoi en matière de publicité. Une chaîne qui s'appelle France 24 et qui défend une certaine idée de la déontologie et de la rigueur de l'information peut-elle diffuser des publireportages ? Personnellement, je n'autorise pas cette pratique, quitte à renoncer à des recettes. Notre réputation n'a pas de prix. En outre, la législation française pose des limites aux chaînes d'information, comme vous le savez dans cette commission qui a beaucoup travaillé sur la déontologie et adopté de nouvelles mesures que nous allons appliquer : il est interdit d'accepter le parrainage de journaux ou de magazines d'information. Des laboratoires pharmaceutiques accepteraient volontiers de sponsoriser des émissions sur la santé, mais certaines pratiques coûteraient plus cher qu'elles ne rapporteraient.

Le développement de nos recettes propres passe aussi par la monétisation de nos offres numériques, domaine où Marcel Rogemont nous trouve trop peu ambitieux. Il y a deux lignes, selon que l'on parle des environnements propriétaires ou de nos environnements propres. Si nous voulons toucher le plus grand nombre de gens, il faut aller les chercher où ils sont et ne pas se contenter d'attendre qu'ils viennent chez nous. Les jeunes, il faut aller les chercher sur les réseaux sociaux, là où se trouvent nos très fortes audiences. Dans le prochain COM, nous doublons nos objectifs en matière de fréquentation des réseaux sociaux. Il y a, en effet, des vases communicants entre ces réseaux en pleine expansion et les environnements dits propriétaires. Sur nos environnements propres, nous sommes plus prudents, mais notre objectif est de monétiser aussi les réseaux sociaux. Nous voulons discuter avec Facebook et avec YouTube : ce sont des commerçants adeptes du gagnant-gagnant, car ils savent qu'à long terme il ne peut pas y avoir un seul gagnant.

Nous comptons aussi sur une révision de notre cahier des charges pour que RFI puisse, à l'instar de Radio France, diffuser de la publicité commerciale sur ses antennes en France, deux petites minutes par jour. Quand la publicité de marque a été interdite sur Radio France, elle l'a également été sur RFI ; puis elle a de nouveau été autorisée sur Radio France, mais l'alignement tarde à venir pour RFI.

Pour garder notre statut exceptionnel en Afrique, nous devons faire preuve d'imagination. Un décrochage élargi aux programmes de France 24 à destination de l'Afrique nous permettrait de répondre à des demandes de parrainage d'émission. Avec le signal unique que nous utilisons actuellement, les parrainages se font à l'échelle mondiale alors que certains annonceurs voudraient cibler l'Afrique. Si nous isolons ce signal, nous pourrons répondre à leur demande et augmenter nos ressources propres, de manière à atteindre l'objectif de 15 % de croissance que nous avons fixé.

En ce qui concerne la chaîne en espagnol, Marcel Rogemont trouve aussi que nos ambitions sont limitées et que le coût – un euro par foyer et par an – est élevé. Il est certes plus élevé qu'ailleurs, mais il s'agit d'un lancement. En fait, je ne pense pas que ce soit si cher que cela.

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