Intervention de Marie-Christine Saragosse

Réunion du 7 décembre 2016 à 16h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Marie-Christine Saragosse, présidente-directrice générale de France Médias Monde :

Notre enveloppe budgétaire est certes contrainte, mais notre mission est mondiale. Si nous nous sommes dotés d'une chaîne anglophone, c'est précisément pour conquérir des territoires comme l'Inde. Nous n'irions pas au terme de la logique propre à la création d'un tel outil si nous ne cherchions pas à être présents en Asie. La France est susceptible d'intéresser le monde entier dans lequel nos médias sont à même de porter une parole singulière. Prendre pied dans 35 millions de foyers indiens signifie que nous touchons un nombre beaucoup plus élevé de personnes ; stratégiquement, le jeu en vaut la chandelle. En tout cas, nos tutelles nous soutiennent dans cette démarche. Avec le budget de BBC World, nous ferions évidemment les choses autrement. Si vous entendez parler d'une enveloppe disponible de 300 millions d'euros, pensez à nous : nous saurons l'utiliser ! En attendant, nous agissons avec les ressources qui sont les nôtres.

Nous consacrons 15 millions d'euros, et cent ETP au numérique – c'est le delta qui s'élève à 1,8 million d'euros. Nous souhaitons que tout le monde puisse profiter d'une forme d'industrialisation nouvelle de l'information. Le projet de chaîne d'information en continu, construit avec France Info et Radio France, a été de ce point de vue extrêmement utile. Nous fournissons en effet, à la demande de France Télévisions, des « vidéos mobiles » qui sont des journaux tout en images, montées avec de nouvelles écritures, qui peuvent être visionnées sur un téléphone portable, parfois même sans le son. Cela rend vraiment l'information accessible à tous.

J'ai été interrogée sur la chaîne d'information en continu. Nous avons créé neuf ETP pour ce projet. Nous étions à flux tendu, et nous ne pouvions pas fournir un travail supplémentaire sans personnels supplémentaires. Nous devions répondre à France Télévisions qui nous demandait non seulement de produire trois fois par jour les « vidéos mobiles » dont j'ai parlé – tâche chronophage qui nécessite de recourir à des logiciels de montage spécifiques –, mais aussi d'assurer cinq duplex quotidiens. Il fallait encore s'impliquer dans le suivi éditorial permanent de la chaîne avec nos partenaires. Toutefois, ces activités et ces personnels ne pèsent pas sur le budget de France Médias Monde, car France Télévisions nous a permis de les financer en annulant les montants que nous lui versions auparavant pour diffuser ses reportages effectués en France. Nous travaillons en ce moment même à la création d'un onglet France 24 sur la version numérique de la chaîne. Les choses évoluent quotidiennement dans une ambiance conviviale. Nous veillons à ce que nos collaborateurs qui travaillent pour la chaîne d'information ne forment pas un groupe à part : tout France 24 tourne pour participer à ce travail.

Comme vous l'avez constaté dans le nouveau COM, il n'est désormais plus question que France 24 soit diffusée en TNT sur tout le territoire national. Grâce à notre partenariat au sein de la nouvelle chaîne Franceinfo, nous avons gagné la légitimité qui nous faisait défaut, car il nous était assez difficile de prétendre porter l'image d'un pays dans lequel nous étions ignorés. En Afrique, je rencontrais des chefs d'État qui me faisaient remarquer que nous demandions à être diffusés sur la TNT dans leur pays alors que nous ne l'étions pas en France. Nous pouvions passer pour une chaîne réservée à l'export qui n'aurait pas été digne d'intéresser les Français. Cette interprétation était fausse, mais le fait de ne pas être diffusés en France pouvait donner ce sentiment. Aujourd'hui, nous sommes présents sur la TNT en Île-de-France et nous plaisons aux téléspectateurs qui nous disent trouver sur France 24 ce qu'ils ne trouvent pas ailleurs.

Nous poursuivons la diffusion de la radio sur le territoire national grâce à la radio numérique terrestre (RNT), car nous sommes certains que nous avons un rôle à jouer en termes de cohésion sociale. La radio permet de parler à l'autre, celui qui vient d'ailleurs, qui parle peut-être une autre langue, dont la culture est différente. Il peut être nostalgique et vouloir retrouver son pays d'origine en allant chercher sur des chaînes étrangères des informations qui véhiculent des valeurs qui ne sont pas celles de notre République. Nous pensons qu'il est préférable de lui proposer une alternative en profitant de stations de radio que nous avons déjà financées, et dont le coût de diffusion en France est marginal. RFI et Monte Carlo Doualiya sont des outils précieux sur le territoire national. C'est pourquoi nous sommes heureux que RFI puisse prochainement être diffusée à Strasbourg, Lyon et Lille grâce à la RNT.

Cette approche n'épuise pas la thématique de la cohésion sociale. Lors de la semaine des médias au sein de l'Éducation nationale, en France, nos journalistes constatent en intervenant dans les classes de zones réputées « difficiles » que les jeunes sont partout les mêmes ; ce sont des jeunes, et c'est tout. Dans l'émission Pas 2 quartier de France 24, ils sont rédacteurs en chef : ils nous racontent leur quartier. Ils en ont assez que les médias ne montrent que les voitures qui brûlent ; ils ont besoin qu'on leur dise que nous les aimons. Nous avons besoin de le leur dire, et nous savons le faire, parce que c'est notre métier de parler à l'autre.

L'idée d'un site destiné aux migrants nous est venue parce que nous étions bouleversés de voir des gens se noyer en Méditerranée. Puis il y a eu l'image du corps sans vie d'Aylan sur une plage de Turquie. Nous avons voulu monter un projet, et nous sommes allés en parler à nos amis de la Deutsche Welle et de l'ANSA, première agence de presse italienne, qui se sont montrés enthousiastes et ont suggéré d'agir pour fournir une information recoupée et fiable. En partant de notre expérience des Observateurs, qui nous permet de faire témoigner des citoyens qui constituent des sources d'information recoupées par des journalistes professionnels, nous avons imaginé que certains des migrants eux-mêmes pourraient faire remonter de l'information sérieuse si l'on mettait à leur disposition une plateforme référente et multilingue. Nous avons donc voulu créer un site internet qui fournirait de l'information, mais qui en recueillerait également. Une partie du site permettra aussi l'apprentissage des langues européennes. Il permettra enfin une forme d'apprivoisement sociétal pour que l'autre connaisse les moeurs des pays qui l'accueillent, le statut des femmes en Europe, la façon dont nous nous disons bonjour… La Commission européenne a aimé ce projet qui devrait être lancé en février : elle nous a attribué 2 millions d'euros.

Des questions relatives à la sécurité de nos personnels en zone de conflit m'ont été posées par plusieurs d'entre vous. Nous avons créé un poste de responsable de sécurité et recruté, pour l'occuper, un jeune colonel retraité qui a fait toute sa carrière à l'international, et qui connaît les zones de crise. Il nous a aidés à mettre en place des procédures extrêmement rigoureuses – elles existaient, mais elles étaient sans doute moins formalisées et moins uniformes. Aujourd'hui, elles s'appliquent avant le départ, pendant le séjour et au retour. Les matériels ont été mutualisés entre les rédactions, et un stage de formation organisé tous les deux mois traite de tous les sujets : les cyberattaques, la dimension psychologique de la peur, la connaissance des armes, le secourisme… Ce stage sans équivalent est ouvert à tous les médias : nous sommes d'autant plus heureux de les accueillir que la présence de nombreux stagiaires permet de financer la formation.

La trajectoire prévue dans le COM ne peut être que sincère, car nous avons prévu un effort dès aujourd'hui, et non en 2020. L'amorce de France 24 en espagnol a lieu dès 2017 avec 2,9 millions d'euros – il en coûtera ensuite 7,3 millions en année pleine. Le budget est bouclé pour 2017 grâce au transfert permis par la taxe Copé.

M. Kert m'interrogeait sans doute implicitement aussi sur la redevance : avec la CAP, disposons-nous du bon outil, du bon taux et de la bonne assiette pour financer un audiovisuel public fort ? Notre assiette n'est probablement pas la plus moderne, et le taux est parmi les plus bas. Une modification de l'assiette permettrait peut-être de ne pas augmenter le taux ou même de le réduire. En tout cas, nous avons besoin d'une assiette dynamique qui suive les dépenses de notre société, sans quoi nous observerons un déphasage préjudiciable. D'autres pays ont pris des mesures en ce sens ; la France agira peut-être au début de la prochaine législature. Je le souhaite, car je crois que nous avons besoin d'un service public fort.

J'ai entendu parler de réformes de structure et d'une « BBC à la française ». J'avoue que je n'aime pas l'idée d'adapter « à la française » des structures étrangères. Je crois que nous avons un génie propre, et que nous n'avons pas besoin de toujours copier ce que font les autres. Nous sommes parmi ceux qui réforment le plus – sans doute faut-il considérer que cette tendance fait aussi partie de ce génie propre. L'audiovisuel public français doit détenir le record du nombre de réformes en Europe alors que la stabilité constitue un atout essentiel. Je me demande si la véritable force des voisins vers lesquels nous regardons parfois n'est pas la stabilité de leurs missions, de leurs sources de financement et de leur direction.

Sur le papier, si l'on regarde un organigramme, je comprends très bien que l'on puisse se dire que tout cela n'est pas rationnel. J'ai moi-même rapproché deux entités très différentes par leur culture et leur histoire : ce n'est pas facile, cela stérilise beaucoup d'énergie, et cela ne fait pas nécessairement gagner de l'argent. Ce qui permet d'en gagner, ce sont les plans de départ, et la rigueur de la gestion qui peut parfaitement s'exercer dans des entités distinctes. J'ajoute que, parfois, plus un organisme est gros, plus il est difficile de le faire évoluer. De plus il n'est pas simple de fusionner deux structures en ne proposant pas à l'entité unique de s'aligner sur les salaires les plus hauts et les temps de travail les moins longs.

Cela dit, il faut voir les choses dans le détail, car, pour ces réformes de structure, le diable se cache dans les détails. Je suis très ouverte pour en discuter de façon approfondie dans un cadre propice, tel un groupe de travail. Il faut en tout cas être prudent : on peut parfois avoir une très belle ambition visant à renforcer le service public ou à éviter les doublons, mais cela ne donne pas toujours le résultat escompté dans les délais espérés. Or, en ce moment, je crois que l'urgence dans notre pays concerne la cohésion sociale, et qu'il faut un service public fort.

J'en viens aux questions relatives à la fusion de nos rédactions. Il y a des mots qui bloquent, et d'autres qui facilitent. Je pense qu'il faut éviter d'utiliser des mots qui font peur. Pour notre groupe, le mot « fusion » a été un épouvantail, un mot qui a fait peur, qui a fait mal aux gens, qui a été synonyme de plan de départ et de crainte de perte d'identité. Quel dommage si nous avions dû perdre nos identités ! Nous avons la chance de réunir des médias très référents avec des marques très fortes. Lorsque l'on fusionne, la question des marques se pose : quelle marque aurions-nous conservée si nous avions dû fusionner ? Comment choisir entre RFI, France 24 et Monte Carlo Doualiya ? Dans l'univers numérique, lorsque nous essayons de créer des sites communs, cela ne fonctionne pas bien parce que la marque France Médias Monde est inconnue. Il faudra peut-être vingt ans avant qu'elle ne soit célèbre internationalement. Lorsque l'on a la chance de disposer de marques aussi connues que RFI, France 24 et Monte Carlo Doualiya, il ne faut pas y toucher. Nous devons faire attention à nos marques !

Il faut aussi savoir que nous travaillons ensemble. RFI a pu doubler ses horaires de diffusion en anglais en reprenant France 24 en anglais. Pour l'espagnol, nous nous adosserons aussi sur la formidable rédaction de RFI en espagnol. Nous faisons des émissions communes. Toutes nos infrastructures numériques sont communes. Nous faisons du marketing et de la communication en commun.

Nous cultivons cependant le fait que nous proposons des formats différents. Il y a bien sûr la différence entre la radio et la télévision, mais pas seulement. Il faut bien comprendre que la chaîne Franceinfo et la radio France Info se rapprochent parce qu'elles font toutes les deux de l'information continue. Cela n'aurait pas été possible entre Franceinfo et une radio au format différent, comme France Inter. De la même façon, RFI et France 24 n'ont pas le même format : la première est une radio généraliste qui propose beaucoup d'informations, la seconde est une télévision d'information continue. Comment « fusionner » des gens qui n'ont pas les mêmes métiers et qui ne travaillent pas du tout de la même façon ? Aujourd'hui, sans fusion, nous parvenons parfaitement à mettre en place des passerelles. Si l'on part de la base, les choses se font en douceur, dans la confraternité, avec l'envie d'agir ensemble. Compte tenu de nos résultats, des économies déjà faites, et des équilibres actuels, je crois qu'il ne faut pas déstabiliser une entité qui fonctionne.

Une question m'a été posée sur le rôle du ministère des affaires étrangères. Il est très présent avec nous, par exemple dans notre conseil d'administration ou dans les négociations de COM, et nous travaillons avec les ambassadeurs partout dans le monde. Les tutelles financières sont ailleurs, mais le ministère de la culture ne fait jamais rien sans être en phase avec le ministère des affaires étrangères (MAE).

Ce dernier joue aussi un rôle majeur en matière de sécurité à l'étranger. Ce matin s'ouvrait au Cameroun le procès d'Ahmed Abba, le correspondant de RFI à Maroua. Il est emprisonné depuis le 1er août 2015 alors qu'il est innocent : il n'en peut plus ! Le MAE joue un rôle essentiel dans ces moments. Il est présent pendant les audiences, il a aidé à l'exfiltration de notre correspondant au Burundi avec sa famille, après qu'il a été battu et emprisonné – il est aujourd'hui réfugié politique en France. Les Affaires étrangères interviennent aussi lorsqu'une correspondante est soudain arrêtée à Kinshasa ou qu'un émetteur est coupé. Nous travaillons étroitement avec eux.

Demain a lieu le repas annuel qui réunit les équipes de direction de TV5, France 24, et RFI. Nous aborderons principalement trois sujets : l'éditorial, les études et la distribution. Pour ce qui concerne l'éditorial, nous venons de faire une interview commune du Président de la République française à Marrakech pour la COP22. Il nous arrive souvent de partager un studio ou un équipement. Il reste que nous n'avons pas du tout le même format. TV5 est une chaîne généraliste qui propose aussi de l'information francophone multilatérale. Elle peut avoir une stratégie de sous-titrage, car elle diffuse des programmes de stock avec du cinéma, des documentaires, de la fiction… Cela n'est pas possible en matière d'information continue, car France 24 fait du direct. Les deux structures ne se cannibalisent pas en termes d'audience. Je ne vois pas pourquoi on les opposerait.

Les pays francophones sont extrêmement attachés à TV5 Monde dont les résultats d'audience sont bons. Ils prennent en charge une grande partie du budget de la chaîne, qui ne repose donc pas uniquement sur la France. Je trouve qu'il est formidable de pouvoir regarder aussi bien TV5 Monde que France 24. Nous n'avons ni le même positionnement ni les mêmes fonctions. Lorsque l'on arrive dans une chambre d'hôtel à l'étranger, quel plaisir de pouvoir immédiatement savoir ce qui se passe dans le monde en regardant France 24 et, un peu plus tard, de visionner un film en français ! N'oublions pas les Français expatriés, qui adorent l'information, sont aussi heureux de voir des films ou une grande émission de France Télévisions reprise par TV5 !

Vous m'avez parlé d'un éventuel rapprochement. Je dirigeais TV5 lorsqu'Alain de Pouzilhac présidait notre conseil d'administration et cela se passait très bien. Cela dit, TV5 a besoin de contenus – fictions, documentaires, films, grands magazines… Il est donc essentiel que les grandes chaînes fondatrices de TV5 restent très proches d'elle pour les lui fournir. Si elle n'en bénéficiait pas, le budget de la chaîne ne suffirait pas à boucler ses programmes. À mon sens, s'il y a une véritable synergie, c'est entre TV5 Monde et France Télévisions. De plus, j'affirme que jamais personne n'a évincé TV5 au profit de France 24 – si quelqu'un vous raconte une chose pareille, ce sera faux. Aujourd'hui, nous fonctionnons bien, et nous nous coordonnons avec TV5. Nous pouvons toujours changer, je reste ouverte à la discussion, mais nous avons surtout besoin de stabilité et d'un peu plus de moyens dans les années qui viennent.

Pour conclure, je souligne que notre travail n'a, à aucun moment, été entravé au Gabon. Nous n'avons jamais été coupés, ni en radio ni en télévision, ce qui n'est pas le cas dans d'autres pays africains. Sur ce point précis, il faut rendre hommage à ce pays.

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