Intervention de Luc Derepas

Réunion du 14 décembre 2016 à 11h00
Commission des affaires sociales

Luc Derepas :

Le poste de président du conseil d'administration n'est pas celui de directeur général de l'Agence, si bien que, n'en ayant pas les compétences, je ne peux pas défendre devant vous des positions sur le travail de fond de l'ANSES. En tant que président du conseil d'administration, je devrai veiller à ce que les orientations stratégiques de l'Agence soient conformes à la mission qui lui est confiée par la loi, ainsi qu'au respect de l'indépendance de l'expertise et de la déontologie des recherches, ces principes figurant dans les textes constitutifs de l'Agence.

Monsieur Ballay, ayant pris le relais d'autres entités, l'Agence travaille depuis plusieurs années sur la pollution et sur la qualité de l'air, et a fourni en permanence au Gouvernement et aux pouvoirs publics les données leur permettant d'agir. L'Agence n'est pas une autorité de police et ne peut donc pas prendre de mesures restrictives pour assurer la santé et la sécurité des citoyens. Elle doit fournir une expertise approfondie permettant à l'autorité administrative et politique de prendre les décisions qui s'imposent. L'ANSES a réalisé de nombreuses études sur la pollution atmosphérique, et le Gouvernement a demandé à l'Agence de poursuivre cet effort pour les années 2015 à 2019.

L'Agence apporte une expertise scientifique sur les critères d'identification des perturbateurs endocriniens. L'appareil juridique européen prévoit que certaines mesures soient prises en cas de matérialisation de certains dangers, mais les critères permettant d'identifier les substances et de les rattacher à une classe de risque n'ont pas été définis. Un travail est actuellement mené pour combler cette lacune, mais la Commission européenne aurait déjà dû rendre ses conclusions depuis plusieurs années. La Commission a probablement procrastiné, mais elle avancera des propositions qui paraissent, vu de France, insuffisamment protectrices. Il revient à l'Agence de proposer des critères alternatifs et une méthode différente d'identification des perturbateurs endocriniens pour garantir que la norme fixée en Europe ne soit pas moins protectrice que la nôtre. Nous devons contester les positions de la Commission et proposer des solutions assurant une protection plus élevée. Cette action s'inscrit dans la diplomatie scientifique d'influence que l'ANSES doit mener pour propager nos idées en Europe.

Monsieur Door, l'ouverture de l'Agence à la société fait partie de son ADN. Le législateur a voulu que l'ANSES agisse en lien avec les forces sociales investies dans la sécurité sanitaire, cette orientation étant déclinée dans les textes constitutifs et internes de l'Agence. Celle-ci se montre soucieuse de partager ses connaissances avec la société civile tout en étant irriguée par elle. Avoir affaire à des groupes de pression et d'intérêt n'est pas un problème, mais il faut de la transparence. L'Agence doit enregistrer tous les avis des acteurs impliqués pour arrêter, en toute indépendance, des positions qui doivent être guidées par le seul intérêt général. L'Agence est parvenue à mettre en place, sous la tutelle du conseil d'administration, des instruments sophistiqués pour que cette architecture fonctionne. Rien ne serait pire qu'une Agence éloignée des besoins de la société.

De nombreuses questions sont traitées en Europe ou à l'échelle internationale, et nous devons y défendre notre vision plus protectrice que celle des autres pays européens. Il s'agit d'une orientation stratégique majeure pour l'Agence.

Madame Orliac, en tant que candidat pressenti pour diriger le conseil d'administration de l'ANSES, je ne peux pas vous répondre sur les relations de l'Agence avec ses homologues européens, car le conseil n'a pas à entrer en relation avec les organismes étrangers. C'est au directeur général et aux services de l'Agence d'être quotidiennement au contact de leurs homologues pour que le consensus européen se fasse sur des positions renforçant la protection de la population. Le conseil d'administration doit veiller à ce que les services de l'Agence puissent déployer cette force d'influence.

La situation actuelle en matière de grippe aviaire montre la réussite du modèle scientifique et d'expertise de l'Agence, puisque celle-ci appuie l'autorité de police, en l'occurrence le ministère de l'agriculture. L'Agence a défini une méthode d'expertise d'identification de la grippe aviaire dans un laboratoire situé à Ploufragran en Bretagne et a transmis des propositions aux pouvoirs publics pour qu'ils puissent lutter contre une crise liée à ce virus. Cette méthode fonctionne, et les pouvoirs publics réagissent rapidement après l'apparition des cas d'épizootie. Les exploitants agricoles peuvent parfois contester les décisions d'interdiction et d'abattage, et il s'avère nécessaire de mieux expliquer les motifs et la portée des mesures de police.

Monsieur Lurton, il ne m'appartient pas de prendre position sur ce qui s'est passé avant l'adoption de la loi définissant les mesures à prendre face aux néonicotinoïdes. Le législateur a mobilisé, selon la conception qu'il jugeait adaptée, le principe de précaution. L'ANSES jouera un rôle déterminant dans la mise en oeuvre de la loi, puisqu'elle sera chargée d'évaluer les alternatives et de mener un travail de proposition de délivrance de dérogation, afin que l'on puisse avoir un corpus applicable aux années 2018 à 2020, reposant sur trois champs séparés : celui où l'interdiction devra rester absolue, celui où il pourra y avoir des dérogations et celui où des alternatives à l'innocuité prouvée pourront être utilisées. Cela représente un travail considérable, que l'Agence a déjà entamé.

L'Agence publiera un rapport sur les compteurs Linky la semaine prochaine.

Monsieur Roumégas, comme vous l'avez indiqué, l'analyse du risque ne peut plus se focaliser sur un danger, un matériau ou une technique, mais doit prendre en compte les interactions avec les autres menaces présentes dans l'environnement. Dans cette tâche, l'Agence fait face à une difficulté de conciliation entre le caractère très spécialisé de l'expertise et la nécessité d'adopter une vision la plus large possible. Elle a bien avancé dans la résolution de ce problème grâce à sa composition plurielle ; en effet, certains experts sont très spécialisés dans un sujet précis, mais l'Agence peut également réaliser des études croisées accueillant des connaissances et des points de vue divers qui peuvent fournir une vision globale aux pouvoirs publics. Le fonctionnement en tuyaux d'orgue reste le plus naturel, mais l'Agence a bien intégré les méthodes de l'étude croisée dans son travail et a développé une appréhension globale des sujets dans plusieurs de ses dernières études. Le conseil d'administration devra veiller à renforcer cette orientation.

L'ANSES étudiant des matières techniques, elle travaille avec un vocabulaire, des raisonnements et un corpus très techniques, et éprouve les difficultés habituelles de ce type d'organismes pour communiquer avec le grand public. Elle redoute en effet d'être mal comprise, et c'est à l'autorité publique, qui tire les conséquences des avis scientifiques de l'ANSES, d'effectuer ce travail de pédagogie. Il serait risqué de confier cette tâche d'explication à l'ANSES car cela pourrait entraîner un affadissement de l'expertise. Il faut maintenir le caractère technique et poussé de l'expertise, mais l'Agence et ses tutelles pourraient élaborer une méthode de transmission de la connaissance et des conclusions des études, permettant à l'échelon politique d'expliquer à la population les données fondamentales des décisions qu'il prend. Il s'agit en tout cas d'un sujet difficile, et il est vrai qu'une décision de police ne peut être acceptée que si elle est bien comprise.

Madame la présidente, le ministère de la santé pilote un exercice d'étiquetage alimentaire dans lequel il a souhaité intégrer l'ensemble des parties prenantes, à l'image du conseil d'administration de l'ANSES. Cet exercice teste en grandeur réelle différents systèmes d'étiquetage alimentaire pour déterminer leur influence sur les consommateurs. Cette entreprise est complexe du fait de la présence d'acteurs ayant des intérêts économiques en la matière. En tant que citoyen, je souhaite que le Gouvernement parvienne à mener cet exercice à son terme de façon satisfaisante et qu'il en retire des conclusions utiles.

Dans le même temps, l'ANSES conduit un travail d'étude et d'évaluation qui lui avait été demandé une première fois au début de l'année 2015 et qui lui a de nouveau été commandé à la fin de cette année. L'étude de l'ANSES, purement scientifique, vise à comparer les différentes méthodes d'étiquetage alimentaire. Ce travail est sur le point d'être achevé et sera rendu au début de l'année 2017 ; il nourrira la réflexion du Gouvernement, aux côtés de l'évaluation conduite en grandeur réelle. Il appartiendra ensuite au pouvoir politique de prendre les décisions qu'il jugera les meilleures.

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