La proposition de loi que nous examinons ce matin est l'aboutissement d'un très long processus parlementaire, puisqu'elle s'inscrit dans la continuité des travaux de la commission d'enquête créée en mars dernier à l'initiative du groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste, auquel j'appartiens. Cette commission d'enquête, que j'ai eu l'honneur de présider et dont M. Jean-Yves Caullet était rapporteur, avait l'ambition de faire la lumière sur les conditions d'abattage dans les abattoirs français, à la suite de la diffusion par l'association L214 de vidéos révélant des actes scandaleux de maltraitance animale.
Elle a procédé à près de quarante auditions ou tables rondes publiques pour un total de soixante heures : elles ont été particulièrement exhaustives et menées, me semble-t-il, sans esprit partisan. Les intervenants ont pu s'exprimer tout à loisir et défendre leurs positions et leurs propositions, parfois avec passion, toujours avec respect. Ouvertes à la presse, elles ont été très suivies sur le portail vidéo de l'Assemblée nationale : la page internet consacrée, sur ce site, à la commission d'enquête fut l'une des plus consultées pendant cette période, signe de l'intérêt des citoyens pour ses travaux.
Parallèlement à ces auditions, la commission a procédé à des visites inopinées dans des abattoirs représentatifs : un abattoir mono-espèce industriel à Feignies dans le Nord, un petit abattoir public multi-espèces à Autun en Saône-et-Loire, un abattoir de volailles à Ancenis en Loire-Atlantique et un abattoir spécialisé dans l'abattage sans étourdissement à Meaux en Seine-et-Marne. Il s'agissait de voir sur le terrain comment fonctionnent concrètement ces « outils », comme on les appelle dans ce milieu, afin de mieux comprendre ce qui était ensuite dit lors des auditions. Il fallait surtout éviter que la commission reste une « commission de salon », éloignée du terrain.
Ces déplacements ont été complétés par de nombreuses visites des membres de la commission dans les abattoirs de leur département, ce qui leur donna l'occasion de rappeler leur attachement à un maillage territorial des abattoirs qui s'est probablement par trop réduit.
À l'issue de ce travail approfondi, la commission a adopté à la quasi-unanimité un rapport de 320 pages, que j'espère complet et qui a été enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 20 septembre dernier. Il contient soixante-cinq propositions précises et concrètes qui ont pu être rassemblées autour de cinq thématiques : faire évoluer les règles ; accroître les contrôles et la transparence ; renforcer la formation ; améliorer les pratiques d'abattage ; moderniser les équipements. Si la grande majorité de ces propositions ne relève pas de la loi, mais plutôt de la pratique ou du pouvoir réglementaire, un certain nombre d'entre elles supposent une modification législative.
C'est tout le sens de cette proposition de loi, signée par des représentants des cinq groupes parlementaires de l'Assemblée nationale, ce qui est la preuve que ce dossier suscite une forte adhésion transpartisane : après avoir exercé son pouvoir de contrôle, le Parlement doit se saisir de sa capacité d'initiative législative pour tirer les conséquences du contrôle effectué.
La proposition de loi s'articule autour de trois titres : le premier est consacré à la transparence, le deuxième au contrôle et le troisième aux sanctions.
Le titre Ier consacré à la transparence contient deux articles. L'article 1er a pour objectif de mettre en place un Comité national d'éthique des abattoirs, ce qui constitue la première proposition du rapport de la commission d'enquête, laquelle constate en effet la nécessité et la volonté collective de faire évoluer les règles, afin qu'elles traduisent mieux le changement en matière d'acceptabilité sociale et sociétale des pratiques de production de viande – notamment l'activité en abattoir –, les connaissances scientifiques, les techniques. Le Comité pourrait rassembler les professionnels du secteur – représentants des éleveurs, associations de protection animale, vétérinaires, chercheurs spécialisés dans le bien-être animal, représentants des cultes, associations de consommateurs, chercheurs (sociologues, juristes, philosophes) et parlementaires.
Toujours dans la thématique de la transparence, l'article 2 propose d'instituer auprès de chaque abattoir un comité local de suivi de site, réunissant les élus locaux, les exploitants d'abattoir, les éleveurs, les services vétérinaires, les bouchers, les associations de protection animale, les associations de consommateurs et les représentants religieux, dans la mesure où il est pratiqué un abattage rituel dans l'abattoir concerné.
La création de telles instances à l'échelon local poursuit deux intérêts : rompre avec le manque de transparence des abattoirs – manque criant souligné à l'unanimité par les membres de la commission d'enquête – et favoriser l'échange entre les acteurs et les parties intéressées par la protection animale en abattoir.
Le titre II a pour objet le renforcement du contrôle dans les abattoirs : si les services vétérinaires y sont déjà présents en permanence, les images révélées par les lanceurs d'alerte ont bien montré que le contrôle était encore insuffisant. Les contrôles diligentés par le ministère de l'agriculture ont montré eux aussi un certain nombre de faiblesses.
L'article 3 propose donc, pour les abattoirs de boucherie de plus de cinquante salariés, auxquels sont affectés plusieurs agents des services vétérinaires, de rendre obligatoire la présence permanente d'un agent des services vétérinaires aux postes d'étourdissement et de mise à mort et, en dessous de ce seuil, de renforcer leur présence à ces postes.
L'article 4 a pour objectif de rendre obligatoire l'installation de caméras dans toutes les zones des abattoirs où des animaux vivants sont manipulés. Il s'agit là d'une proposition fondamentale qui rencontre une très forte adhésion de nos concitoyens. Selon un sondage de l'IFOP conduit il y a quelques semaines, 85 % des Français veulent ce contrôle vidéo – il ne s'agit en aucun cas de vidéosurveillance –, qui paraît nécessaire pour rétablir le lien de confiance entre les consommateurs et les abattoirs, lien qui est aujourd'hui en grande partie brisé. Cet outil de contrôle doit néanmoins être précisé par la loi afin d'en encadrer les finalités et éviter qu'il ne soit utilisé pour surveiller les salariés. Notre proposition respecte donc bien le cadre défini par la loi de 1978 sur l'informatique et les libertés.
L'article 5 prévoit d'autoriser les parlementaires à visiter les établissements d'abattage français de façon inopinée. Lorsque nous avons voulu le faire, nous nous sommes parfois trouvés confrontés à des policiers, qui nous en auraient empêché l'accès si nous n'avions pas indiqué que nous étions membres d'une commission d'enquête parlementaire. Les faits que j'évoque se sont déroulés dans un abattoir public, de surcroît.
Enfin, en ce qui concerne les sanctions, elles avaient été significativement renforcées par la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, mais la mesure a été censurée par le Conseil constitutionnel qui l'a considérée comme un cavalier législatif. La disposition en cause avait été introduite par un amendement du Gouvernement, que j'avais soutenu. En remettant l'ouvrage sur le métier dans cette proposition de loi, nous ne devrions plus nous heurter à cette objection. Au demeurant, il semble nécessaire d'aller plus loin et, en particulier, de modifier l'article 2-13 du code de procédure pénale relatif à la constitution de partie civile des associations afin d'y inclure les infractions pénales relevant du code rural et de la pêche maritime. C'est ce que prévoit l'article 6.
Je ne doute pas que le travail en commission viendra encore enrichir et consolider cette proposition de loi, fruit de six mois de travail de la commission d'enquête, mais aussi d'auditions conduites au sein de la commission des affaires économiques. Sur cette base, j'ai d'ailleurs été amené à formuler des amendements et à proposer des modifications. Signé par des membres de nos cinq groupes parlementaires, ce texte devrait tous nous rassembler.