Madame la présidente, je me réjouis d'être à vos côtés aujourd'hui, pour ouvrir ce colloque qui porte sur les représentations de la femme dans les médias, les jeux vidéo, la culture en général, puisque l'on sait que les images et les mots mènent aux actes.En cette semaine où le Gouvernement lance un nouveau plan de lutte contre les violences faites aux femmes, présenté ce matin même en Conseil des ministres par Laurence Rossignol, il est en effet cohérent de s'attacher à ce que montrent les images.J'en profite pour saluer le travail mené par votre délégation, chère Catherine Coutelle, qui est un travail de suivi, d'avis mais aussi de réflexion, comme nous en avons la preuve aujourd'hui.
L'actualité est riche en exemples, qui nous viennent d'outre-Atlantique ou de Pologne, qui montrent qu'il s'agit d'un combat qui n'a rien perdu de son sens, nulle part. Jusqu'en France, où des maires de droite s'indignent d'une campagne de santé publique parce qu'elle vise des homosexuels, alors qu'ils ne s'indignent pas de la manière dont on utilise l'image de la femme pour vendre tout et n'importe quoi.
C'est enfin un combat pour lequel s'inventent des formes d'action renouvelées quand, le 7 novembre dernier, des associations ont appelé les femmes à cesser le travail à l'heure à partir de laquelle elles n'étaient, symboliquement, plus payées par rapport aux hommes, nous rappelant ainsi que l'égalité professionnelle était un champ parmi d'autres sur lequel il nous fallait demeurer vigilants et volontaires.
Je m'en réfère quant à moi aux mots de Stendhal, qui écrivait déjà, il y a plus de deux siècles : « L'admission des femmes à l'égalité parfaite serait la marque la plus sûre de la civilisation ». Il nous reste donc du chemin à parcourir pour être véritablement civilisés, et nous aurons besoin de toutes nos forces intellectuelles et de toutes les forces de la création pour faire face à ce que l'on peut au mieux qualifier de conservatisme et, au pire d'obscurantisme.
Le combat pour l'égalité entre les hommes et les femmes est un combat éminemment politique. Il suffit pour se le rappeler de parcourir le passionnant livre de Claudine Cohen sur les femmes de la préhistoire, qui démontre à quel point la représentation de la femme comme étant « naturellement » en situation d'infériorité par rapport aux hommes est en réalité une construction sociale et historique, que l'on peut dater et retracer. La question des stéréotypes et de l'image des femmes est donc un des axes principaux de la feuille de route de mon ministère en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes.
Je me réjouis que le Gouvernement, paritaire, auquel j'appartiens ait toujours été en première ligne sur ce sujet. Je pense ici en particulier à la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes. Elle a permis une avancée majeure en faveur de la représentation des femmes à l'antenne, puisque son article 56 a renforcé les prérogatives du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et les obligations des télévisions et des radios en matière de programmes.
Cet article place bien l'image des femmes et la lutte contre les stéréotypes au coeur de l'action du CSA, à qui il donne les moyens de sanctionner des images choquantes à l'égard des femmes. Nous avons tous à l'esprit ce qui s'est déroulé récemment sur une grande chaîne nationale, dans un programme populaire et à une heure de grande écoute. Le CSA a pris toutes ses responsabilités – ce qui mérite d'être salué – en adressant ce matin à cette chaîne une mise en demeure très claire et très ferme.
Au-delà cette affaire, nous disposons depuis février dernier de premiers indicateurs permettant de juger des avancées réalisées. On constate d'abord qu'un nombre significatif de programmes contribuant à la lutte contre les préjugés sexistes et les violences faites aux femmes a été diffusé en 2015.
On constate également que la parité chez les présentateurs, animateurs et journalistes tend vers l'équilibre, mais qu'en revanche ce n'est pas encore le cas s'agissant des experts et des expertes de tous domaines appelés à intervenir dans des émissions d'actualité. En la matière, les réseaux, et notamment les réseaux d'expertes, ont un rôle à jouer et doivent rester très mobilisés, pour qu'il ne nous soit pas toujours rétorqué qu'il n'y a pas d'expertes, qu'on ne les a pas trouvées, sans doute parce qu'elles mettent en avant leurs services moins spontanément que leurs homologues masculins.
Sur ce point, le projet de contrat d'objectifs et de moyens (COM) pour 2016-2020 de France Télévisions apporte une réponse forte en prévoyant que la part des expertes sollicitées à l'antenne atteindra obligatoirement la parité en 2020. L'audiovisuel public doit en effet être exemplaire. À cet égard, je tiens à souligner que ce sont souvent des femmes que l'on retrouve aux plus hauts niveaux de responsabilité, avec notamment un trio de femmes remarquables : Véronique Cayla, la présidente du comité de directoire d'Arte France, Marie-Christine Saragosse, qui préside France Médias Monde, et Delphine Ernotte, qui préside France Télévisions.
Agir ainsi au haut de la hiérarchie est un signal fort adressé à la structure de ces entreprises. Même si cela ne garantit rien, cela permet déjà d'afficher la capacité des femmes à diriger ces grandes entreprises. À ce jour, les femmes sont représentées à hauteur de 36 % dans les comités de direction des entreprises audiovisuelles publiques – contre 20 % en 2014 –, à hauteur de 70 % dans les directions d'antenne, et représentent 40 % des administrateurs. C'est un chiffre en constante augmentation depuis que la loi du 15 novembre 2013 relative à l'indépendance de l'audiovisuel public a introduit un principe de parité pour les nominations des représentants de l'État et des personnalités indépendantes désignées par le CSA au sein de ces conseils d'administration.
Outre la programmation des chaînes, privées et publiques, et les nominations aux postes de décision, il est un autre domaine dans lequel nous agissons car il recourt fréquemment aux stéréotypes : la publicité.
Comme vous le savez, dans le cadre du projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté, le Gouvernement a introduit un amendement étendant les missions du CSA au contrôle de l'image des femmes dans les messages publicitaires. La discussion devant le Parlement se poursuit et je veillerai à ce que cette disposition soit maintenue, car elle permettra de renforcer l'action de l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP). En parallèle, le CSA mène une action sur l'image des femmes dans la publicité à l'antenne.
Ce n'est pas le seul domaine où nous intervenons, et je voudrais rapidement donner une vue d'ensemble de notre action. La loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (LCAP) votée en juillet 2016 prévoit en son article 3 que « la politique en faveur de la création artistique favorise l'égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines de la création artistique ».
Il en existe déjà des traductions concrètes, comme le Fonds pour l'emploi pérenne dans le spectacle (FONPEPS), mis en place par le Gouvernement dans le cadre de l'accord sur l'intermittence, pour soutenir l'emploi dans le spectacle vivant et enregistré, donc le cinéma et l'audiovisuel. Parmi les neufs mesures de soutien à l'emploi, j'ai souhaité qu'un soutien particulier soit apporté aux femmes artistes et techniciennes du spectacle, afin d'accompagner le retour à l'emploi de ces « matermittentes » après un congé maternité, grâce, par exemple, à une aide spécifique à la garde d'enfant. Cette mesure, budgétée dans le projet de loi de finances pour 2017, devrait entrer en vigueur dans les semaines qui viennent.
J'ai aussi souhaité que le ministère de la culture, qui m'a été confié – après avoir d'ailleurs été confié à deux femmes – soit exemplaire. Aussi ai-je décidé de présenter sa candidature au label Égalité, ce qui signifie la mise en place de procédures spécifiques, qui permettent de garantir l'égalité entre les femmes et les hommes. Les collaboratrices et collaborateurs de l'administration centrale, des directions régionales des affaires culturelles (DRAC), des services, mais aussi des établissements publics sont déjà très impliqués. Ils préparent activement cette candidature et se mobilisent pour identifier les problèmes et améliorer nos pratiques, afin que nous puissions obtenir ce label.
Cela étant, il reste des points de préoccupation, et notamment le fait que, dans certains métiers – la direction d'orchestre, la composition, la direction d'établissements, certains métiers techniques ou certains métiers d'art – les femmes restent très largement sous-représentées, alors qu'elles sont très présentes dans les établissements d'enseignement supérieur du secteur culturel. C'est le signe que subsiste pour les femmes un problème d'insertion professionnelle et de développement des carrières. C'est la raison pour laquelle nous organisons en 2017, avec l'ensemble de nos écoles de l'enseignement supérieur, un séminaire portant sur les stéréotypes dans ces métiers, afin de mutualiser nos expériences, d'identifier les failles et d'améliorer nos pratiques.
Dans le domaine du journalisme certains stéréotypes demeurent également, dans la formation notamment. Aussi proposerai-je à la Conférence des écoles de journalisme (CEJ) une réflexion commune sur ce sujet.
Œuvrer en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes, c'est aussi se souvenir de ce que les femmes ont apporté dans l'histoire. Dans ce domaine, mon ministère peut agir au travers des commémorations, de la mémoire et des archives. Ainsi, nous avons inscrit dix-huit femmes dans la liste des commémorations nationales qui auront lieu en 2017, contre dix en 2016 et onze en 2015. Nous soutenons également les journées du matrimoine, organisées en parallèle aux journées du patrimoine.
Enfin, dans le cadre des travaux de la mission sur ce que doit être le musée du XXIe siècle, nous engagerons la réflexion sur la parité, le poids des femmes parmi les commissaires d'expositions et en tant que conservatrices de musée.
Ce sont là autant de mesures qui seront évoquées lors du prochain comité ministériel pour l'égalité des femmes et des hommes dans les secteurs de la culture et de la communication, que je réunirai le 15 décembre prochain, et je vous remercie, chère Catherine Coutelle, d'y prendre part.
Un bref mot enfin sur la parité d'accès à la création, aux moyens de production et à la programmation. Je tiens à vous indiquer que mon ministère a porté un amendement au projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté, qui introduit la parité dans les commissions au sein de ses établissements et de ses services déconcentrés ; c'est le nerf de la guerre, puisque s'y décide l'attribution des aides financières. Cette proposition a été retenue par la commission spéciale de l'Assemblée nationale. Je m'en félicite et j'espère que la discussion parlementaire permettra de lui donner force de loi.
Mais beaucoup reste encore à faire pour atteindre l'égalité réelle entre les femmes et les hommes. Je pense notamment au spectacle vivant, où les femmes demeurent trop peu programmées : on ne compte ainsi que 2 % de compositrices, 5 % de librettistes, 24 % d'auteures de théâtre dans les établissements subventionnés.
Trop peu programmées mais aussi trop peu nommées à des postes à responsabilité. Des progrès sont malgré tout réalisés, notamment avec des nominations emblématiques à la tête d'établissements phares – Sylvie Hubac à la Réunion des musées nationaux – Grand Palais (RMN-GP), Laurence Engel à la Bibliothèque nationale de France (BNF) – qui ne doivent pas cacher les efforts faits ailleurs sur le territoire, dans d'autres établissements du réseau.
Je veux ici saluer le travail réalisé chaque année par la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), qui nous est une ressource précieuse pour identifier les problèmes et les pistes d'amélioration, grâce notamment aux données qu'elle peut nous fournir et qui viennent utilement compléter le travail mené sur l'ensemble du champ de mon ministère par l'Observatoire de l'égalité dans la culture et la communication, qui publiera son prochain rapport le 8 mars 2017.
Voici les quelques mots que je souhaitais vous adresser. Je serai bien sûr particulièrement attentive à vos discussions et aux pistes de progrès qui pourront être tracées, et ce d'autant plus que j'ai la certitude que ce sont des domaines dans lesquels il nous est possible d'agir. (Applaudissements.)