Voilà trois ans et demi que je mène au CSA mon combat au service des droits des femmes, au sein du groupe de travail « Droits des femmes », dont j'ai été chargée de la mise en place.
Aujourd'hui est un grand jour, puisque c'est la première fois que nous prononçons une mise en demeure pour sexisme, ce qui constitue la première étape d'une éventuelle procédure de sanction, en cas de récidive. Le dossier sera alors transmis à un rapporteur indépendant qui en fera l'instruction, et le CSA, réuni en formation de jugement, pourra alors prononcer une sanction qui peut aller jusqu'à l'interdiction d'antenne. Cela semble en l'occurrence un peu démesuré, mais des sanctions financières sont parfaitement possibles.
C'est un grand jour dans le combat pour l'égalité entre les femmes et les hommes, car c'est la première fois que le CSA fait une application directe de la loi promulguée le 4 août 2014. En effet, si nous sommes tenus de faire appliquer la loi, celle-ci nous impose de le faire en concertation avec les chaînes, et il nous aura fallu dix-huit réunions avec ces dernières et un véritable combat de titans, pour parvenir à un accord.
Nous avons néanmoins abouti à la délibération de février 2015, qui nous autorise à faire pression sur les chaînes pour que, chaque année, elles nous rendent leur copie sur le sujet du sexisme et de la parité. Il s'agit d'un document déclaratif appuyé sur une grille d'évaluation, par lequel les chaînes doivent, d'une part, nous communiquer le nombre de femmes qui apparaissent à l'antenne, en pourcentage et en nombre absolu, et proposer une autoévaluation du degré de stéréotypes contenus dans leurs programmes. Elles doivent également mentionner ce qu'elles jugent positif dans leur programmation et établir pour chaque fiction diffusée, le nombre de rôles féminins et leur importance, ainsi que les caractéristiques du rôle, selon le test de Bechdel : les femmes incarnées parlent-elles d'autres choses que d'hommes ou de chiffons ?
2015 a été une année de rodage de dispositif, et la copie que les chaînes ont rendue en 2016 était encore imparfaite ; cette année, je serai implacable, et nous disposerons pour le 8 mars 2017 d'un rapport complet contenant une analyse fine de la présence des femmes par émission et des points de déficit. Il ne suffit pas en effet de proposer 50 % de présentatrices à l'antenne, encore faut-il qu'elles ne soient pas cantonnées à un seul type d'émissions ou de sujets : quand les femmes ne seront plus cantonnées aux talk shows sur la santé, l'éducation des enfants ou l'école et qu'elles présenteront les émissions de politique étrangère, d'économie ou de sciences, nous aurons vraiment atteint la parité. Le sexisme en effet n'est pas uniquement une affaire de quantité mais également de qualité.
Quoi qu'il en soit, nous avons parcouru un long chemin depuis le vote de la loi, malgré la réticence des chaînes, excédées par les demandes du CSA qui se multiplient, sur le pluralisme, la diversité, les quotas de chansons ou de fictions. Il est vrai que nous leur en demandons beaucoup, mais elles ont des fréquences gratuites, et donc des devoirs par rapport aux téléspectateurs et à la société, en tout cas pour ce qui concerne les chaînes de la télévision numérique terrestre (TNT). Elles ont fini par le comprendre, ce qui a sans doute été grandement facilité par la présence des trois femmes que vous avez citées à des postes-clés du service public. Quant aux chaînes privées, c'est une litote de dire qu'elles sont moins souvent dirigées par des femmes, et le dialogue est parfois plus difficile. J'essaye néanmoins de me montrer persuasive, et celles et ceux qui me connaissent savent que je peux être assez insistante…
Globalement, donc, on constate un léger progrès, et je ne peux qu'applaudir aux engagements de France Télévisions d'arriver à 50 % d'expertes en 2020. Chapeau ! Radio France en revanche n'a pas pris d'engagement. J'espère qu'elle se rattrapera vite, car, tout autant que la télévision, la radio publique doit donner l'exemple. Pour ce qui est des chaînes privées, elles font quelques efforts. TF1 organise un colloque, le 5 décembre prochain, sur les femmes expertes.
Reste que le paysage audiovisuel est encore très plombé. La télé-réalité, souvent nauséabonde, gagne du terrain. J'ai pourtant procédé aux premières mises en garde contre ces émissions, ce dont je suis d'autant plus fière que, de l'avis de beaucoup, le CSA n'avait pas à se prononcer ainsi sur ce genre de divertissement.
Avec l'émission de Cyril Hanouna, nous sommes passés au stade de la mise en demeure, ce que nous avions déjà fait pour l'émission de Sébastien Cauet sur NRJ. Le problème est que nos tentatives de pression se heurtent à la tentation de l'audience et du buzz : souvent, malheureusement, et vous me pardonnerez l'expression, plus c'est « beauf », plus ça marche, et il existe un public pour cela, alors que l'on peut parfaitement faire du divertissement de qualité qui ne soit ni vulgaire ni avilissant pour les femmes : c'est ce que fait tous les jours Yann Barthès.
Aujourd'hui est donc important car l'affaire du « baiser volé » dans l'émission d'Hanouna concentrait tout ce que la loi nous demande de combattre : la promotion de stéréotypes sexuels, la diffusion d'images dégradantes et la violence faites aux femmes, autant de faits qui justifiaient que l'on prononce cette mise en demeure qui, en cas de récidive, sera suivie d'une procédure de sanction.
Pour ce qui concerne la récidive des journalistes aux Jeux olympiques, aucune procédure de sanction n'a pu être engagée, car les faits survenus lors des jeux de Sotchi sont antérieurs à la loi de 2014. J'avais malgré tout convaincu le collège d'adresser une lettre d'avertissement à M. Pfimlin, à l'époque à la tête de France Télévisions, ce contre quoi le service des sports avait violemment protesté, fustigeant mon manque d'humour et refusant de faire la moindre excuse. Si la loi avait été en vigueur, le CSA aurait immédiatement procédé à une mise en demeure, ce qui aurait peut-être évité la récidive. Cette loi est donc très utile, et je remercie le Gouvernement et les parlementaires, qui, d'ailleurs, nous ont associés à son élaboration puis à son application.
En matière de fictions, les stéréotypes ont la vie dure. Dans ce domaine, je suis soutenue par la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) et l'Union syndicale de la production audiovisuelle (USPA), qui travaillent auprès des auteurs et des producteurs pour attirer leur vigilance sur ces stéréotypes : on constate souvent en effet que, même quand les femmes sont les héroïnes des fictions, elles le paient souvent d'une vie personnelle désastreuse.
Il reste donc beaucoup à faire, sachant que combattre les stéréotypes passe essentiellement, selon moi, par la prise de conscience de ce qu'ils sont. À cet égard, les déclarations que doivent nous fournir les chaînes sont importantes car elles les obligent à examiner ce qu'elles diffusent et à procéder à leur examen de conscience. À partir de notre rapport, s'établit une forme d'émulation compétitive entre les chaînes pour celle qui aura les meilleurs chiffres ; en l'occurrence, cette forme d'incitation me paraît plus efficace que les sanctions, même si, au coup par coup, le CSA ne se prive pas d'en faire usage si nécessaire.
Parallèlement à cela, la loi ne conférant pas pour le moment au CSA les mêmes pouvoirs en matière de publicité qu'en matière de programmes, nous avons entrepris un travail de conviction auprès de l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) afin qu'elle modifie ses recommandations en matière de représentations de la personne humaine. Nous lui avons fait plusieurs propositions d'amendements visant notamment à mieux tenir compte des stéréotypes féminins de manière à pouvoir procéder à un contrôle plus intransigeant des publicités qu'elle autorise.
Je ne cache pas que, malgré tout, certains spots publicitaires passent à travers les mailles du filet. Il est donc très important que la loi signale que nous devons aussi veiller à l'image des femmes dans la publicité. Cela me facilitera les choses pour continuer de faire pression sur l'ARPP, avec laquelle nous menons une collaboration fructueuse : nous leur devons notamment d'avoir, au cours de la semaine de rentrée, passé au crible d'un questionnaire que nous avions élaboré ensemble plus d'un milliers de spots publicitaires, ce qui nous a permis de constater qu'il n'y avait pas trop de problèmes.
Reste que, là encore, il faut s'intéresser aux publicités dans lesquelles les femmes ont vraiment le beau rôle : c'est plus souvent pour vendre des voitures ou des parfums que pour de la bureautique. Sans parler de la publicité pour Calgon, où c'est évidemment la femme qui est à quatre pattes devant son évier et l'homme qui arrive en sauveur ; le jour où ce sera l'inverse, nous aurons gagné.
Beaucoup reste donc encore à faire en matière de programmes, de présence des femmes à l'antenne, de publicités et, plus généralement, pour faire évoluer l'état d'esprit des responsables. Je m'y consacrerai corps et âme, au cours des deux ans et demi qu'il me reste à accomplir au CSA.
Pour l'heure, je remercie les associations, auxquelles je fais souvent appel. Il est essentiel qu'elles m'aident en n'hésitant pas à saisir le CSA car, plus nombreuses seront les saisines, plus on comprendra que la lutte contre le sexisme n'est pas une lubie du Conseil, du Gouvernement ou du Parlement mais correspond à une revendication de la société française. (Applaudissements.)