Madame la ministre, madame la présidente, je tiens en préambule à excuser notre présidente, Danielle Bousquet, qui ne pouvait être présente parmi nous.
Je remercie ensuite très vivement la Délégation aux droits des femmes pour cette initiative et cette invitation, et salue à mon tour son travail. Les actions menées en synergie parfaite avec le Haut Conseil à l'égalité, depuis la création de ce dernier en 2013 et, plus globalement, avec l'ensemble des institutions chargées des droits des femmes, comptent pour beaucoup dans les avancées législatives qui ont permis la mise en place d'outils nouveaux et une mobilisation permanente contre les images et violences sexistes.
Cette mobilisation permanente est d'autant plus nécessaire qu'au fur et à mesure que les droits des femmes sont affirmés et que les inégalités sont combattues, on voit le sexisme redoubler d'intensité et se manifester des crispations et des formes de repli identitaire. C'est pourquoi il est indispensable de mener de front la lutte contre les inégalités entre les femmes et les hommes et, au plan culturel, la lutte contre le sexisme.
De très nombreux rapports et normes internationales ont, depuis la conférence mondiale de Pékin sur les femmes en 1995, souligné que pour maintenir l'équilibre entre liberté et respect des droits des femmes, la lutte contre le sexisme passe par l'encadrement des médias et de la publicité.
À sa création en 2013, le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) a repris les missions de la Commission nationale sur l'image des femmes dans les médias. En 2014, notre commission « Stéréotypes » a produit, sur commande du Gouvernement et à partir de l'expertise de nos membres – notamment Isabelle Germain, Brigitte Grésy ou Marlène Coulomb-Gully – un rapport sur les stéréotypes de sexe, qui comporte des analyses et des recommandations dans trois champs : la communication institutionnelle, l'éducation et les médias.
Dans ce rapport, nous rappelons d'abord qu'historiquement la lutte contre le sexisme a souffert d'un retard patent par rapport à la lutte contre le racisme. Ainsi, lorsqu'en 1983 la ministre des Droits des femmes, Mme Yvette Roudy, a voulu faire adopter une loi antisexiste sur le modèle de la loi antiraciste, dite loi Pleven, de 1972, elle s'est heurtée à l'ire des publicitaires et des médias, au point que le projet de loi a finalement dû être retiré. Cela montre bien la puissance des lobbies en la matière, dans des domaines où les enjeux financiers sont considérables.
C'est seulement depuis 2004 que les injures, diffamations ou provocations à la haine à raison du sexe peuvent être réprimées, et depuis 2014 avec les mêmes peines et délais de prescription que le racisme.
Désormais, Catherine Coutelle l'a rappelé, la France dispose de l'arsenal juridique nécessaire pour avancer, que ce soit sur le champ des médias, des publicités ou d'internet. Nous pouvons nous en féliciter. Progressivement, la loi de 1881 sur la liberté de la presse et la loi de 1986 relative à la liberté de communication ont été modifiées pour lutter contre le sexisme. Que préconise le Haut Conseil à l'égalité pour une meilleure traduction, dans les faits, de la volonté du législateur ?
Je commencerai par évoquer les discours de haine à raison du sexe, voire les violences sexistes.
Compte tenu de nos travaux sur le harcèlement sexiste et les violences sexuelles dans les transports ou plus largement sur le continuum des violences faites aux femmes, il nous semble capital que les pouvoirs publics martèlent avec fermeté qu'une insulte du type – excusez-moi du terme – « sale pute » relève du champ pénal et constitue une injure à raison du sexe, et qu'un appel au viol relève du champ pénal et constitue une provocation à la violence à raison du sexe.
Pourtant, les insultes ou les appels au viol sont monnaie courante, en particulier sur les réseaux sociaux, contre les militantes féministes ou toute autre femme, qu'elle soit actrice ou journaliste, par exemple, c'est-à-dire toute femme qui exerce un pouvoir dans la société.
On peut aussi citer le cas d'un chroniqueur qui, par surprise, et malgré le refus explicite d'une comédienne, l'embrasse sur le sein en direct sur le plateau de la chaîne D8, devient ainsi l'auteur d'une agression sexuelle punie de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Il est capital de rappeler qu'il ne s'agit pas d'une blague potache, mais d'une agression sexuelle, car on sait l'impact que cela a, notamment sur les jeunes, au moment même où nous appelons à plus d'éducation à l'égalité, où nous prônons un plan interministériel de lutte contre les violences faites aux femmes et où nous lançons des campagnes contre le harcèlement à l'école.
Je rappelle l'article 40 du code de procédure pénale, qui dispose que « Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit, est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ».
Nous ne sommes plus aujourd'hui sur le terrain de la mise en demeure. Le temps est venu de rappeler le droit, de saisir la justice et d'aboutir à des condamnations exemplaires.
Concernant les atteintes à la dignité de la personne humaine, en l'occurrence les femmes, je m'appuie sur l'exemple de la publicité, où prévaut le régime d'autorégulation, avec l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), créée en 1935. Magali Jalade, avec qui nous travaillons depuis près de trois ans, détaillera la manière dont on peut saisir l'ARPP, qui passe au crible les publicités pour évaluer leur conformité ou non à sa recommandation « Publicité et image de la personne humaine ».
On constate qu'il y a peu de plaintes et que le jury de déontologie publicitaire (JDP) est encore trop méconnu au regard du nombre de publicités dénoncées comme sexistes sur les réseaux sociaux. L'ARPP nous a indiqué par courrier n'avoir pas les moyens de faire davantage de publicité sur les outils existants pour les saisir.
Nous constatons aussi que la non-conformité d'une publicité n'implique pas son retrait ni de sanctions financières puisque les décisions du JDP n'ont aucun effet normatif ou coercitif, mais seulement prescriptif, entre professionnels de la publicité.
L'ARPP, qui fait preuve de bonne volonté pour réguler son propre secteur, s'expose par ailleurs à un risque juridique. En 2013, suite à la diffusion d'une publicité de la SMEREP jugée sexiste, le JDP, saisi par la ministre des droits des femmes de l'époque, avait rendu un avis critique sur son site, entraînant un refus des diffuseurs de poursuivre la diffusion de la publicité visée. Suite à une plainte de la SMEREP, l'ARPP a été condamnée pour diffamation à verser 14 000 euros. On voit donc bien les limites d'une association, sans pouvoir coercitif, exposée à des risques juridiques lorsqu'elle dénonce des publicités sexistes.
Nous accueillons donc favorablement l'avancée en germe dans le projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté venant confirmer que le CSA est compétent en matière de sexisme dans les publicités. Si cela concerne seulement l'audiovisuel et non le champ de la presse écrite ou de l'affichage public, c'est néanmoins un réel progrès.
Concernant les représentations stéréotypées des femmes et des hommes, notre rapport propose une démarche en deux étapes, la première consistant à se doter d'outils pour compter et analyser la présence des stéréotypes de sexe, la seconde – à laquelle les membres du HCEfh croient beaucoup – visant à conditionner les financements publics à l'égalité femmes-hommes et à la lutte contre les stéréotypes de sexe, grâce au mécanisme d' « éga-conditionnalité ».
Un important travail a été engagé, sous la houlette de Sylvie Pierre-Brossolette, que je tiens à saluer, à partir de la grille d'analyse élaborée par Brigitte Grésy, dans le cadre du Haut Conseil à l'égalité (HCEfh). Ce travail va progressivement conduire à la constitution de véritables feuilles de route annuelles pour l'égalité femmes-hommes, média par média, avec des objectifs chiffrés.
Le levier suivant à actionner est celui de l'argent public puisque la contribution à l'audiovisuel public s'élève à 3 milliards d'euros par an. Quant aux chaînes privées, la puissance publique leur attribue gratuitement l'autorisation d'utiliser les fréquences hertziennes en échange d'obligations d'intérêt général, visant à garantir le pluralisme, la protection du public et le dynamisme de la création culturelle. J'ose croire que les émissions sexistes de téléréalité ou autres ne garantissent ni le pluralisme, ni la qualité des émissions proposées, encore moins la protection de la jeunesse.
Enfin, et bien que cela ne soit pas aujourd'hui dans notre viseur, les aides à la presse écrites sont estimées à près de 700 millions d'euros par an.
Je terminerai par quelques pistes d'amélioration.
J'invite le CSA et l'ARPP à adopter le guide pratique, intitulé Pour une communication publique sans stéréotype de sexe, pour proscrire l'usage d'expressions telles que « la journée de la femme » ou « femmes battues ».
Il convient également de mobiliser l'expertise existante sur le genre et les médias. Elle est à votre disposition pour éclairer les décisions des instances de contrôle et affiner leurs outils. Les associations féministes ont aussi développé une expertise significative.
Enfin, il faut renforcer le soutien financier aux associations féministes susceptibles de mobiliser le droit, car cela a un coût. Je m'appuie sur l'exemple d' « Osez le féminisme ! » (OLF), qui nous a récemment fait part de freins financiers pour mobiliser le droit.
En effet, pour ne pas laisser passer un flot d'insultes, par exemple, il faut payer des honoraires d'avocat. Pour faire constater des insultes sur les réseaux sociaux, une capture d'écran ne suffit pas, il faut payer un huissier. Si l'huissier doit se déplacer sur le terrain, comme pour le cas de l'entreprise Bagelstein, cela coûte encore plus cher. Se porter partie civile a également un coût, 3 000 euros dans le cas présent pour une association comme « Osez le féminisme ! ». Cette somme peut être bloquée plusieurs années, le temps de la procédure. Cela demande une vraie trésorerie et entraîne des arbitrages entre les affaires dans lesquelles on s'engage.
Enfin, et c'est loin d'être négligeable pour les associations féministes, qui reposent très majoritairement sur le bénévolat, porter ce type d'affaire en justice prend beaucoup de temps, au détriment d'autres actions. Je pense, par exemple, aux Chiennes de garde et à l'affaire Orelsan, qui a duré six ans.
Je voudrais interroger Mme Sylvie Pierre-Brossolette sur les moyens dédiés par le CSA aux droits des femmes et à la lutte contre le sexisme. Le groupe de travail « Droits des femmes », créé en 2013, marque un réel progrès. De notre côté, nous avons publié un rapport intitulé Où est l'argent pour les droits des femmes ? Avec 300 équivalents temps plein (ETP) et 30 millions d'euros annuels de budget, les moyens du CSA ne sont pas si limités. J'aimerais donc savoir quels sont les moyens consacrés aux droits des femmes et à la lutte contre le sexisme.