Intervention de Marie-Noëlle Bas

Réunion du 26 novembre 2016 à 16h30
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Marie-Noëlle Bas, présidente de l'association « Les Chiennes de garde » :

Je vous remercie tout d'abord d'avoir invité à ce colloque l'association que j'ai l'honneur de présider. Je voudrais saluer le CSA en la personne de Sylvie Pierre-Brossolette, le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) représenté par Romain Sabathier, ainsi que Danielle Bousquet et Brigitte Grésy, avec lesquelles je travaille depuis des années, sans oublier l'ARPP, avec laquelle nous sommes, malheureusement, souvent en relation…

J'ai préparé un diaporama sur l'image des femmes dans la publicité puisque c'est le sujet qui occupe principalement Les Chiennes de garde. Nous travaillons, en effet, sur les violences symboliques faites aux femmes dans l'espace public en images et en mots.

Je commencerai par faire un état des lieux du sexisme dans la publicité. Objectivement, il n'y a pas moins de sexisme, mais il est différent. Il n'y a plus de nudité simple pour vendre n'importe quoi, sans rapport avec le produit, mais il y a une hypersexualisation, suggérée ou non, une hypersexualisation qui suit, d'ailleurs, l'hypersexualisation de la société. Sylvie Pierre-Brossolette l'a rappelé en évoquant les animateurs, et même les animatrices d'émissions qui veulent faire le buzz. Nous en avons eu récemment un exemple malheureux avec Karine Le Marchand, qui a fait une blague assez déplacée à Alain Juppé.

Cette hypersexualisation de la société, qui est très dommageable pour les femmes et qui se situe dans le continuum des violences faites aux femmes, est extrêmement prégnante dans les publicités.

Aujourd'hui, je vais vous montrer rapidement sur écran quelques publicités sur le sport, des pubs dans le métro, des publicités très sexualisées, qui vont jusqu'à montrer le point G, l'évocation de viols ou de prostitution. Il y a aussi une affiche pour un cuisiniste, qui a fait beaucoup parler d'elle. Mme la ministre des Droits des femmes a d'ailleurs réagi sur les réseaux sociaux à propos de cette publicité.

Il y a aussi, dans les rues de nos villes de province, des boucheries locales, qui montrent en quelque sorte de la « viande », en quatre par trois, pour vendre…

J'ai vu également, dans le métro, cette publicité, extrêmement suggestive, avec le slogan « Le point le plus chaud de Paris ». J'en passe et des meilleures.

Vous pouvez voir maintenant une publicité pour le bricolage. Bien évidemment, nous faisons toujours du bricolage dans cette tenue…S'agissant de cette autre publicité, le conseil départemental de la Moselle, avec lequel j'ai beaucoup discuté, a compris pourquoi elle était extrêmement sexiste, s'agissant d'un corps de femme dans un sac poubelle…

La plupart d'entre vous connaissez ces publicités. J'imagine que vous avez eu la même réaction que moi en les voyant.

Nous sommes, nous aussi, très peu nombreuses. Notre militantisme nous porte, mais nous n'avons pas le temps de regarder toutes les chaînes de télévision, d'écouter toutes les stations de radio, de regarder tous les magazines et toutes les affiches, partout en France.

Comme l'a rappelé Romain Sabathier, nous agissons en déposant « plainte » auprès du jury de déontologie publicitaire, qui émane de l'ARPP. C'est un organisme privé, qui fait ce qu'il peut. Et nous signalons au CSA les publicités et surtout les émissions sexistes, car nous travaillons aussi sur tout ce qui a trait aux stéréotypes et violences par les mots.

Mais aujourd'hui, nous nous heurtons à plusieurs difficultés.

Pour les publicités tant audiovisuelles qu'imprimées ou sur internet, l'audition par le jury de déontologie publicitaire (JDP) n'intervient presque toujours qu'une fois la campagne terminée. L'avis est donc avant tout symbolique puisque les publicités sont passées et que la campagne a poursuivi son chemin.

Autre difficulté, cette régulation est organisée au sein de la profession elle-même : les publicitaires nomment les membres du jury de déontologie et les avis ne peuvent être contestés devant un juge. Je précise, pour la représentante de l'ARPP, que j'apprécie le travail du jury de déontologie. Ses membres sont indépendants et font le maximum, mais la pression marchande de la profession publicitaire est extrêmement forte.

Pour les publicités sur internet, c'est encore plus compliqué. Bien que nous allions, de temps en temps, nous plaindre auprès du Jury de déontologie publicitaire, il y a une absence d'encadrement total pour les publicités sur internet. En définitive, notre seule vraie force de frappe, ce sont nos réseaux sociaux, qui constituent des relais d'information et d'alerte. Les réseaux sociaux peuvent véhiculer le pire comme le meilleur. Les droits des femmes ont aussi évolué avec les réseaux sociaux. Par ce biais, on peut toucher beaucoup plus de gens.

Que souhaitons-nous aujourd'hui ? Il y a, à l'évidence des réformes à mener. J'en profite pour remercier la Fondation des femmes, qui m'aide, depuis quelque temps, à travailler sur ce sujet.

Le CSA est parfait pour tout ce qui concerne la publicité audiovisuelle. Les publicités audiovisuelles sont toutes vérifiées par l'ARPP avant diffusion. Il y a donc de moins en moins de publicités audiovisuelles réellement sexistes.

Cela étant, nous demandons que soit créé un autre organisme public pour les publicités imprimées et sur internet. Un contrôle d'urgence est en effet nécessaire. Certes, le CSA réagit très vite, mais il faut un certain temps pour que l'information parvienne au jury de déontologie publicitaire, qu'il se réunisse et qu'il rende son avis. Nous souhaiterions donc un système d'alerte et de saisine efficace.

Le seul pays européen à s'être doté de ce type d'organisme est l'Espagne, qui est aussi le seul pays européen à s'être doté d'une loi antisexiste, malheureusement en sommeil depuis le changement de gouvernement.

Ce système d'alerte et de saisine doit être assorti, d'une part, d'une capacité de décision très rapide – quarante-huit heures, par exemple – pour arrêter immédiatement la campagne, et d'autre part, de la possibilité de contestation devant un juge administratif. Il faut renforcer le caractère contraignant. Romain Sabathier l'a rappelé tout à l'heure, il est difficile, pour une association, de déposer plainte, notamment pour des raisons financières. Si nous avons pu déposer plainte contre les textes sexistes d'un rappeur, c'est parce que nous étions cinq associations emmenées par Les Chiennes de garde.

Aujourd'hui on ne peut pas porter plainte pour cause d'images sexistes. Il est donc nécessaire de mettre en place un contrôle d'urgence et de renforcer le caractère contraignant du dispositif : mes amies de la Fondation des femmes m'ont confirmé que l'on pourrait ainsi déposer plainte contre des personnes qui créent ou diffusent une publicité sexiste au titre de la responsabilité civile, sur le fondement de l'article 1240 du code civil, et au titre de la responsabilité pénale, chaque publicité dont le caractère sexiste serait constaté devant engager la responsabilité pénale de la marque et de l'agence publicitaire, par exemple une amende de cinquième classe. Comme cela a été rappelé, taper au porte-monnaie est toujours très efficace.

Le fait d'avoir donné plus de responsabilités au CSA et inscrit le HCE dans la loi montre, depuis 2012, une forte volonté politique en la matière. Grâce au CSA et au HCE, les choses avancent. Il n'empêche que les publicités imprimées sont de plus en plus nombreuses, aujourd'hui, à véhiculer des stéréotypes sur les femmes et à les enfermer dans un double rôle : celui de femme au foyer et d'objet sexuel.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion