Intervention de Manuela Moukoko

Réunion du 26 novembre 2016 à 16h30
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Manuela Moukoko, membre du collectif « Féministes contre le cyberharcèlement » :

La séparation entre le monde réel et le monde numérique est inexistante : internet et le monde réel interagissent comme des vases communicants. La violence sexiste et misogyne qui se déchaîne sur internet ne provient pas de nulle part ; elle est en grande partie due à la réalité d'une société sexiste et inégalitaire. Le virtuel, c'est le réel, et les conséquences de la violence en ligne qui s'exerce à l'encontre des femmes sont concrètes et très graves. Hélas, ce problème est banalisé et jugé négligeable. Nous déplorons le fait que le cyberespace ne soit pas aussi protégé que l'espace réel. S'étant rendue au commissariat de police pour y signaler les actes de cyberharcèlement qu'elle subissait, une victime a ainsi reçu la réponse suivante : il ne s'agit pas de harcèlement, puisque c'est sur internet. Ce cas est malheureusement fréquent.

Le problème est grave et touche particulièrement les jeunes filles. Son ressort principal est le slut shaming, c'est-à-dire le fait d'attaquer, d'humilier, de stigmatiser, de culpabiliser une femme qui revendique sa sexualité et son droit à disposer librement de son corps. Une adolescente sur quatre est victime d'humiliations et de harcèlement en ligne concernant son attitude. Une jeune fille sur cinq rapporte avoir subi des insultes en ligne sur son apparence physique et une sur six a été confrontée à des cyberviolences à caractère sexuel. Ainsi, 90 % des victimes de revenge porn, ou vengeance pornographique, sont des jeunes filles. Tout cela s'inscrit dans le besoin des jeunes de « faire le buzz » sur les réseaux sociaux, qui enclenche un interminable cercle vicieux de partage de fichiers.

À ce grave problème, il manque des réponses appropriées. Ajoutons que la cyberviolence touche particulièrement les femmes « racisées », les ressorts étant différents selon que l'on est victime de racisme ou non. Ces femmes subissent en effet une double oppression : au harcèlement s'ajoute l'hypersexualisation, la misogynie noire ou encore l'orientalisme. De même, les cyberviolences touchent particulièrement les personnes LGBTQI qui courent un risque de harcèlement trois fois supérieur à celui que courent les adolescents hétérosexuels et « cisgenres ».

Les cyberviolences ont de lourdes conséquences sur la vie et la santé : plus d'un tiers des victimes de cyberharcèlement présentent des symptômes du syndrome de stress post-traumatique. De plus, sept femmes victimes de cyberviolences sur dix n'ont reçu aucun soutien, quel qu'il soit, de la part d'organismes ou d'une personne de leur réseau personnel.

Il existe un écart générationnel qui se manifeste lorsque les personnes chargées d'établir la réglementation sont les moins au fait des problèmes. Soyons clairs : les jeunes utilisent beaucoup plus internet puisqu'ils passent en moyenne sept heures par jour derrière un écran – c'est-à-dire plus de temps qu'avec leurs éducateurs ou leurs parents. Il ne s'agit naturellement pas de faire le procès d'internet, qui est un espace de créativité et d'apprentissage, mais qui expose à des risques graves dont celui de cyberharcèlement est la manifestation la plus saillante.

Pour répondre au problème, il est indispensable de nous doter d'intelligence numérique. Cela passe par une meilleure information concernant l'impact de la présence en ligne et les traces laissées, ainsi que les technologies permettant de sécuriser les données personnelles, mais aussi une information concernant le droit des personnes.

Nous proposons à cet effet la création d'un site d'information complet sur les dispositifs juridiques qui encadrent les cyberviolences et d'une plateforme d'aide et d'accompagnement en ligne, ainsi qu'une aide au décryptage des conditions générales d'utilisation des plateformes sociales, qui ne sont malheureusement pas efficaces en termes de modération. De ce point de vue, il convient d'exiger des médias sociaux une totale transparence quant à leur politique et à leurs dispositifs de modération.

D'autre part, nous recommandons le lancement de campagnes d'information et de prévention du grand public visant à démontrer que les normes culturelles et sociales favorisent l'existence de cyberviolences. Ces campagnes doivent cibler les personnes les plus touchées et les plus vulnérables : les femmes, les mineurs, les personnes discriminées et celles en situation de handicap.

Nous prônons également la responsabilisation et le développement de l'intelligence émotionnelle numérique, c'est-à-dire la capacité à faire preuve d'empathie, à construire de bonnes relations en ligne avec les autres et à venir en aide aux victimes de cyberviolences, et la promotion de bonnes pratiques en ligne dans cet objectif, qu'il s'agisse d'effectuer des signalements ou d'éviter de diffuser des contenus malveillants. Nous proposons par exemple une charte de cyberangels que les utilisateurs de Twitter et d'autres réseaux signeraient pour se déclarer comme personnes sûres et s'engager à répandre ce climat d'empathie.

Autre recommandation : former les professionnels, notamment le personnel éducatif, les policiers et gendarmes, les magistrats, le personnel médical et hospitalier. Nous avons en effet recueilli le témoignage de victimes qui ont été traumatisées après avoir été chercher de l'aide auprès de ces intervenants.

S'agissant de l'accompagnement des victimes de cyberviolences, qu'elles soient majeures ou mineures, nous recommandons de leur accorder la gratuité des soins et de mettre en place des permanences juridiques gratuites. Pour cela, il faut du temps et de l'argent, mais le problème est essentiel et doit être pris au sérieux.

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