Intervention de Valérie Maldonado

Réunion du 26 novembre 2016 à 16h30
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Valérie Maldonado, adjointe à la sous-directrice de la lutte contre la cybercriminalité au ministère de l'Intérieur, commissaire divisionnaire :

Permettez-moi d'aborder successivement trois points : les structures créées au sein du ministère de l'intérieur pour lutter contre la cybercriminalité, en particulier les contenus extrêmement violents ; nos domaines d'activité, la place de la puissance publique et les attentes qu'elle suscite parmi les internautes ; enfin, la complexité de notre action face à un volume colossal de fichiers à traiter, compte tenu de la nécessité de coopérer avec des partenaires, notamment étrangers, et les règles applicables au droit de retrait.

La direction centrale de la police judiciaire comporte depuis deux ans une sous-direction de la lutte contre la cybercriminalité, qui s'appuie sur un office central créé en 2001.

D'autre part, la plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements, PHAROS, créée en 2009, sert à traiter les contenus illicites en ligne ; elle est gérée par douze policiers et autant de gendarmes. Il fallait établir un modèle de gouvernance qui préserve un juste équilibre entre nos capacités d'intervention face aux infractions liées à la mise en ligne de certains contenus d'une part et, d'autre part, la préservation de l'espace de liberté qu'est internet et la définition, conformément à la loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN), des responsabilités des différents acteurs – fournisseurs d'accès, hébergeurs, éditeurs – de cet écosystème.

Chaque mois, 2,2 milliards de personnes utilisent les réseaux sociaux dans le monde. Face au développement considérable des contenus, le ministère de l'Intérieur a choisi de créer un point d'entrée unique des signalements effectués principalement par les internautes qui, au hasard de leur navigation, rencontrent des propos et des contenus publics qui dépassent le stade du simple jugement d'opinion et sont constitutifs d'infractions pénales. L'usage qui doit être fait de la plateforme de signalement est clairement précisé dès la page d'accueil.

J'ajoute que le domaine d'infraction n'est pas limité : chaque année, près de 190 000 signalements sont traités via cette plateforme, l'idée étant de recouper les informations souvent répétitives grâce à ce point d'entrée unique, pour éviter les doublons.

La plateforme permet de réunir les éléments d'investigation nécessaires pour qualifier les infractions pénales, de conserver dans l'urgence ces données par nature très volatiles et, le cas échéant, de les compléter avec l'autorisation du procureur de la République de Nanterre – la plateforme se trouvant sur le territoire relevant de sa compétence – par des réquisitions judiciaires visant à identifier les adresses IP des auteurs des infractions constatées. Une fois le critère de compétence territoriale obtenu, un accord interministériel nous permet de transmettre en urgence et de manière dématérialisée la procédure au service de police ou de gendarmerie compétent, à qui il appartient ensuite d'entrer en contact avec le parquet de son ressort pour poursuivre les investigations.

Plus de 56 % des signalements effectués chaque année portent sur des escroqueries en ligne et 9 % ont trait à des discriminations et à des violences, le reliquat portant sur d'autres catégories d'infractions.

Nos priorités d'action ont évolué face à la grande diversité des situations. Les urgences vitales – l'annonce d'un suicide diffusé en direct, par exemple – ne relèvent normalement pas de notre champ de compétences mais de celui de Police-secours. Cependant, nous en sommes saisis de jour comme de nuit, car l'attente des internautes est forte concernant ces situations de détresse : nous avons donc conclu un partenariat avec les fournisseurs d'accès afin d'identifier très rapidement les adresses IP pertinentes et de faire intervenir une patrouille de police ou de gendarmerie sur le lieu correspondant.

D'autre part, la loi de 2014 sur la lutte contre le terrorisme nous a dotés d'une nouvelle compétence : la gestion de la cellule de retrait, de blocage et de recensement des contenus constituant une apologie du terrorisme, une incitation aux actes de terrorisme ainsi que des contenus pédopornographiques – lesquels sont d'une gravité croissante et font des victimes de plus en plus jeunes, d'où des procédures de plus en plus importantes.

En matière de cyberharcèlement, je tiens à souligner la qualité des partenariats que nous avons conclus avec l'ensemble des institutions mobilisées, notamment l'Éducation nationale, et avec les associations. Ils permettent en effet d'identifier très en amont les auteurs des infractions – qui se trouvent souvent dans l'environnement proche de leurs victimes, par exemple à l'école.

Nous devons tout de même nous saisir de certains cas, par exemple de chantage à la diffusion de photographies intimes sur les réseaux sociaux et à l'ensemble des contacts de la victime dont la messagerie a souvent été piratée – un type d'infraction qui touche naturellement les jeunes, mais aussi toutes les autres tranches d'âge et l'ensemble des catégories socio-professionnelles. Or, le traitement de ces situations est d'autant plus délicat que les victimes peinent souvent à parler, à se convaincre qu'elles sont victimes et à savoir quel comportement adopter. La plateforme PHAROS et la plateforme téléphonique qui l'accompagne permettent précisément de tenir compte de la dimension psychologique très dure de ce phénomène.

J'ajoute qu'en pratique, le droit à l'oubli est très difficile à mettre en oeuvre, ce qui constitue une sorte de double peine pour les victimes car même lorsqu'elles ne cèdent pas au chantage et que leur agresseur recule, les images demeurent en ligne.

Notre action repose également sur un partenariat avec les grandes sociétés – non seulement américaines mais aussi françaises – du secteur des jeux vidéo, dont la contribution est très utile car les modérateurs jouent pleinement leur rôle. Nous sommes toutefois contraints par les limites de cette coopération internationale et par le champ extrêmement ouvert du premier amendement de la Constitution des États-Unis, qui ne traite pas les discours publics de haine raciale comme nous les traitons en France.

Un dernier point : les signalements qui nous remontent des internautes portent en très grand nombre sur des discriminations raciales, mais ceux qui concernent des infractions sexistes sont très rares. L'appropriation de ces sujets est très difficile et les blogueuses qui ont le courage de parler pour faire valoir leurs opinions, par exemple, se font lyncher en ligne dans un environnement d'une violence extrême.

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