Intervention de Alain Aspect

Réunion du 29 novembre 2016 à 18h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Alain Aspect :

J'ai été un peu choqué, le mot est peut-être un peu fort, mais au moins titillé par l'affirmation qu'il y a un flot montant d'impostures scientifiques ou de manquements à l'intégrité scientifique. Ce n'est pas du tout le sentiment que j'ai. Je sais bien qu'il ne faut pas faire de sa propre discipline quelque chose de général mais en tant que physicien, je ne ressens pas du tout un flot montant, et je pense qu'il faut faire très attention à ne pas alimenter cette croisade des médias qui laisserait entendre que tous les scientifiques sont corrompus et commettent des manquements. Je veux dire que de tels mots peuvent, à mon avis, être dangereux. Je m'inscris personnellement en faux contre l'expression « flot montant des manquements aux règles d'éthique scientifique ».

Parmi tout ce qui a été dit, qui est excellent, je voudrais traiter en particulier le point de la « Sainte Trinité ». D'abord, mon expérience personnelle : je suis régulièrement referee pour Nature, encore que souvent je refuse, mais j'ai des expériences personnelles montrant que les éditeurs de Nature, eux, ne respectent pas l'éthique scientifique.

Je peux vous citer un cas. Nous étions trois referees à avoir dit : l'expérience présentée est excellente, il faut la publier, c'est un point de départ pour une nouvelle technique. En revanche, je ne sais pas comment le dire en français, la revendication (claim) qui est faite est beaucoup trop forte. Pour ceux qui savent ces choses-là, deux écarts type, ce n'est pas significatif. Le CERN annonce la découverte d'une nouvelle particule quand il y a trois écarts type. À trois, ils commencent à en parler et à cinq, ils le revendiquent. À trois, il y a des fuites. Or là, il y avait deux écarts type. Je le sais, j'ai vu les trois rapports, nous étions trois. C'était la violation des inégalités de Bell. On dit qu'à deux écarts type, on ne revendique pas si fort. En revanche, la « manip » est magnifique. Or, Nature n'a rien à faire des avis des lecteurs spécialisés (referees), ils ont maintenu le claim parce qu'ils voulaient être les premiers.

C'est un vrai sujet qui ne peut être traité que par l'association de plusieurs organismes dans divers pays. En ce qui concerne ma discipline, la physique, si le CNRS, Max Planck, la National Science Foundation (NSF) aux États-Unis, etc., décidaient de taper du poing sur la table en disant que ces évaluations font porter un poids excessif sur ces revues, on pourrait peut-être en venir à bout. Sinon, cela relève d'actions individuelles. Dans mon groupe de recherche, je freine des quatre fers, mais je suis de temps en temps obligé d'accepter de publier un article dans Nature parce que les post-docs et les thésards le veulent.

Je suis dans un conseil d'évaluation à l'École polytechnique fédérale de Zurich (ETH). J'ai été obligé de mettre les choses au point en disant : je ne veux plus qu'on me présente les articles comme cela en donnant l'impression que Nature est forcément meilleur que Physical Review Letters. Je suis désolé, Physical Review Letters c'est très bon même s'il y a aussi du moins bon. Enfin, au bout de deux ou trois ans, on sait bien si les articles ont été cités ou pas.

Je veux dire que c'est un problème grave auquel seuls les grands organismes (CNRS, Max Planck, etc.) peuvent répondre.

Il n'y a pas de solution simple au problème de la « Sainte Trinité ».

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