Intervention de Philip Cordery

Réunion du 29 novembre 2016 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilip Cordery, co-rapporteur :

Notre réflexion s'inscrit dans la continuité de celle engagée en juin 2015 par les institutions européennes dans le rapport dit des cinq présidents – dont nous avons déjà parlé à plusieurs reprises.

Dans ce rapport, les présidents des principales institutions européennes identifient plusieurs défis d'envergure pour l'Union économique et monétaire dans les années à venir, et esquissent une feuille de route en plusieurs phases. Pour mémoire, la première phase de juin 2015 à juin 2017 est celle de l'approfondissement, et devrait être complétée par une seconde phase visant, à partir du second semestre 2017, à parachever l'architecture de l'Union économique et monétaire.

Dans cette perspective, la Commission européenne devrait publier, au printemps 2017, un livre blanc détaillant certaines mesures et réformes à mettre en place. Nous souhaitions pouvoir apporter notre contribution aux futurs débats en amont de cette publication.

En deuxième lieu, les échéances électorales à venir dans notre pays et en Allemagne constituent, il est vrai, une contrainte pour l'action de court terme, mais également un temps propice à la réflexion que nous devons prendre pour proposer des voies de réforme pertinentes et ambitieuses.

En troisième lieu, la décision du peuple britannique de quitter l'Union européenne en juin dernier bouleverse les perspectives. Notre réflexion, entamée avant le « Brexit », s'inscrit désormais dans un contexte où l'avenir de l'Europe se joue désormais à 27. Nous pensons que le Brexit doit constituer une opportunité pour la zone euro de se renforcer. Il faut, tout d'abord, réaffirmer que l'Union économique et monétaire demeure l'horizon de long terme de l'Union européenne et que la grande majorité des États membres ont vocation à la rejoindre. Il faut ensuite insister sur la nécessité d'approfondir l'Union économique et monétaire au sein de laquelle la convergence est encore insuffisante.

La consolidation de la zone euro est un sujet qui divise, certes, et qui a été quelque peu éclipsé ces derniers temps de l'agenda européen. Nous pensons toutefois qu'il s'agit d'une question essentielle, qui ne peut pas disparaître des priorités politiques de l'Union européenne. Si cette dernière est aujourd'hui en crise, c'est parce qu'elle est parfois inefficace, parce qu'au milieu du gué. Nous avons construit une Union monétaire, mais les volets économique, fiscal ou encore salarial ont été oubliés, accroissant ainsi les divergences et les inégalités.

Les travaux que nous vous présentons aujourd'hui s'organisent autour de deux parties.

Dans la première partie, nous faisons des propositions pour compléter l'Union économique et monétaire, à travers, notamment, une plus grande convergence, une réforme du pacte de stabilité et la création d'une capacité budgétaire. Dans la seconde partie, nous considérons que replacer la zone euro au coeur du projet européen nécessite de mener des réformes institutionnelles permettant d'en renforcer la responsabilité et la légitimité démocratique.

L'intégration des économies européennes constitue, pour l'Union, un horizon de long terme qui est indissociable du projet politique initial de cette dernière. Vecteur de paix et de stabilité, porteur de solidarité et de responsabilités communes, le processus d'intégration vise, depuis les débuts de la construction européenne, à constituer une union économique, monétaire et budgétaire qui soit la plus large possible.

Pourtant, plus de soixante-cinq ans après les premières mises en commun de ressources nationales et plus de quarante ans après l'instauration d'une zone monétaire unique, force est de constater que l'union économique demeure un projet et non une réalité.

Violemment mis en lumière par la crise économique et financière initiée à la fin de la décennie 2000, le caractère incomplet de l'Union économique et monétaire européenne, les défaillances et dysfonctionnements des procédures de coordination des politiques économiques et budgétaires ainsi que les insuffisances du processus de convergence ont, paradoxalement et fort heureusement, été à l'origine d'un certain nombre de modifications apportées à l'architecture institutionnelle et au paysage économique européen. Synonymes, pour la plupart, d'améliorations, ces nouveautés apportées par touches successives semblent devoir être complétées et, le cas échéant, rationalisées ou réformées.

La gravité de la crise et l'importance des tensions perceptibles notamment en zone euro ont conduit les chefs d'État et de gouvernement à créer dans l'urgence, sous la pression de la dégradation de la situation économique dans certains États membres et du risque de contagion qui existait à l'ensemble de la zone, des mécanismes d'assistance financière. Elle a aussi conduit à jeter les premières bases d'une Union bancaire européenne. Actuellement opérationnelle dans ses deux premiers piliers, l'Union bancaire européenne constitue, du point de vue de l'intégration financière, une avancée considérable.

De manière générale, ces mesures, tout comme le volontarisme de la France pour éviter une sortie de la Grèce de la zone euro, ont permis de préserver l'un des acquis les plus précieux de la construction européenne : l'euro. Il faut s'en féliciter mais il est nécessaire d'aller plus loin encore pour éviter de nouvelles crises.

Dans cette perspective, nous voulons d'abord réenclencher le processus de convergence des économies européennes. Aggravées par la crise économique et financière, les divergences entre les économies européennes sont aujourd'hui criantes : au sein de la zone euro, les écarts de chômage atteignent, dans les deux extrémités, un rapport de un à cinq et un rapport de un à six s'agissant des écarts en termes de coût du travail. Nous considérons qu'il est indispensable de relancer un vaste processus de convergence des économies européennes incluant les dimensions sociale, salariale et fiscale. Si ces questions méritent à elles seules des travaux approfondis, nous rappelons les travaux déjà effectués au sein de notre commission des Affaires européennes sur ces questions. Je pense notamment aux travaux de Mme Isabelle Bruneau et de M. Marc Laffineur sur la lutte contre l'évasion et l'optimisation fiscale, aux travaux que j'ai menés sur le salaire minimum européen, à ceux de M. Jean-Patrick Gille sur l'assurance-chômage européenne, ou encore à ceux qui sont conduits actuellement par un certain nombre d'entre nous sur le socle européen des droits sociaux.

De manière générale, nous considérons que la convergence est une condition sine qua non de la stabilité de la zone euro et qu'elle devrait constituer un des objectifs principaux d'une véritable politique économique d'ensemble de la zone euro. Si nous avons besoin d'un pilote économique, c'est avant tout pour assurer la convergence économique

Nous devons également améliorer le cadre existant de la surveillance multilatérale et de la coordination des politiques économiques. La crise économique et financière et la crise de la dette souveraine ont contribué à renouveler profondément le cadre de la surveillance et de la coordination des politiques économiques en Europe. Des mécanismes d'assistance financière ont été créés, les modalités de la surveillance multilatérale ont été modifiées et complétées et la coordination des politiques économiques a été renforcée. Si l'architecture institutionnelle qui en résulte traduit de réelles améliorations par rapport à la situation antérieure, plusieurs procédures de surveillance et de coordination se superposent, rendant aujourd'hui le schéma d'ensemble relativement complexe et peu lisible. Par ailleurs, l'efficacité relative et contestée de certains dispositifs plaide pour une simplification et une rationalisation d'envergure.

J'aimerais ainsi souligner les points suivants. Tout d'abord, le Pacte de stabilité et de croissance qui a longtemps été considéré comme l'alpha et l'oméga de la discipline budgétaire en Europe, a montré, en vingt ans d'application, ses insuffisances. Les règles introduites concernant les seuils de déficit public et de dette publique n'ont pas permis de limiter l'endettement croissant – et parfois immodéré – des États membres. À de rares exceptions près (Luxembourg, Estonie et Allemagne), tous les États membres de la zone euro se trouvaient, en 2015, en situation de déficit : quatre États membres enregistraient un déficit supérieur à 3 % du PIB et cinq autres États membres avaient un déficit compris entre 2,5 et 3 % de leur PIB. Au total, près de la moitié des États membres présentaient ainsi une situation de déficit préoccupante. S'agissant de la dette publique, en 2015, treize États membres de la zone euro dépassaient le seuil de 60 % de PIB et pour six d'entre eux l'endettement public avoisinait ou dépassait 100 % de leur PIB.

Par ailleurs, les sanctions associées à ces règles de finances publiques se sont révélées inopérantes. Ainsi, aucune procédure de sanction n'a, jusqu'à présent, été menée à son terme. Tout se passe comme si les États membres pouvaient transgresser en toute impunité les règles relatives à la discipline budgétaire. Nous considérons que le non-respect des règles et l'absence de sanctions lorsque celles-ci sont enfreintes traduisent l'inefficacité de ces règles et plaident donc pour une refonte du Pacte dans son ensemble.

Dans cette perspective, nous insistons sur la nécessité, pour tous les États membres, de respecter leurs engagements budgétaires. Ce constat est également vrai pour la France : pour faire entendre sa voix et porter ses propositions, notre pays doit retrouver une situation économique et financière saine. La réduction des déficits engagée depuis plusieurs années pour atteindre ces objectifs est une bonne nouvelle qui contribue à la réalisation de cet objectif. Néanmoins, nous estimons qu'une refonte globale des règles du Pacte de stabilité doit être menée et que des propositions simples doivent être formulées. La possibilité, évoquée notamment par le Conseil d'Analyse Économique, d'adapter les exigences de la coordination des politiques économiques en fonction des circonstances économiques (normales ou exceptionnelles), et de constituer, en période normale, des réserves au sein de comptes d'ajustement et de pouvoir y recourir lors des périodes exceptionnelles nous semble être une piste prometteuse : efficace, elle serait la traduction d'une politique économique d'ensemble qui considère la zone euro comme un tout dont l'équilibre macroéconomique est assuré par des ajustements internes.

Nous pensons enfin qu'il est indispensable que les règles budgétaires prennent mieux en compte la croissance. Une nouvelle approche devrait être promue : les règles devraient faire de l'adaptabilité leur maître mot, permettant, le cas échéant, de faire une application « intelligente » des dispositions du Pacte en fonction de la conjoncture économique et de la situation de chaque État membre.

Principale leçon tirée de la crise économique en Europe, des politiques budgétaires nationales, même coordonnées, ne permettent pas d'assurer une stabilisation optimale de la zone euro. Il semble donc indispensable de compléter l'Union économique et monétaire en la dotant d'un véritable instrument de stabilisation macroéconomique. Un tel instrument permettrait à la zone euro dans son ensemble d'absorber les chocs asymétriques auxquels ses économies sont confrontées. Dès lors, plusieurs options sont envisagées.

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