Intervention de Arnaud Richard

Réunion du 29 novembre 2016 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaArnaud Richard, co-rapporteur :

La piste la plus ambitieuse et que nous appelons de nos voeux est celle de la constitution d'une capacité budgétaire pour la zone euro. Cette capacité pourrait prendre la forme d'un budget à proprement parler et d'une réserve d'argent mobilisable pour financer certaines dépenses d'intérêt commun.

L'idée d'un budget pour l'Union économique et monétaire est ancienne qui a déjà été envisagée dans les années 1970. À l'époque écartée par manque de consensus, elle réapparait aujourd'hui dans le débat public.

La mise en place d'un budget de la zone euro nécessite de régler, au préalable, un certain nombre de questions.

D'abord, quelles seraient les sources de financement de ce budget ? Nous proposons de lui affecter une partie des recettes provenant de la ressource TVA, une fraction du produit résultant de l'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés et une partie de la taxe sur les transactions financières, quand ces deux dernières auront été mises en place.

Par ailleurs, la capacité budgétaire de la zone euro pourrait être assortie d'une capacité d'émission de titres. Cette piste avait été notamment envisagée en 2012, au lendemain de la crise des dettes souveraines et pourrait tout à fait, sous réserve d'être encore précisée, redevenir une perspective pour la zone euro.

Ensuite, quelles dépenses le budget devrait-il financer ? Nous pensons qu'il convient de définir des projets d'intérêt commun à financer. Dans cette perspective, les résultats du Plan Juncker plaident pour l'introduction d'une capacité budgétaire de la zone euro consacrée spécifiquement à l'investissement. De manière générale, nous estimons qu'il est indispensable d'accorder à l'investissement une place centrale. La capacité budgétaire de la zone euro devrait ainsi permettre à la fois une stabilisation macroéconomique d'ensemble de la zone et le financement d'investissements.

La seconde piste est également intéressante du point de vue de la stabilisation macroéconomique de la zone euro – même si elle est complexe à mettre en oeuvre, en particulier pour les partenaires sociaux en France, ce que je comprends – est celle de la création d'un système européen d'assurance-chômage. En la matière, plusieurs déclinaisons sont envisagées et nous pensons qu'un système européen de réassurance est la piste qui présente le meilleur ratio coûts-avantages.

La création d'un mécanisme de réassurance chômage présente le double avantage de doter l'Union économique et monétaire d'un mécanisme de stabilité macroéconomique et d'incarner d'une certaine manière ce que l'on appelle l'Europe sociale. Nous considérons en outre qu'il s'agit de la proposition la plus aboutie. Un tel système de réassurance consisterait à mettre en place – en parallèle des systèmes nationaux existants, nous devons clairement insister sur ce point – un « pilier européen » qui ne serait mobilisé pour indemniser le chômage qu'à titre subsidiaire, lorsqu'un État ferait face à une forte dégradation de sa situation économique, notamment observable par une importante augmentation du taux de chômage.

Système fortement inspiré par le mécanisme existant aux États-Unis, cette piste a le mérite de limiter les tentations d'adopter des comportements opportunistes. L'idée serait de limiter l'intervention de ce « pilier européen » dans le temps et à un complément de l'indemnisation fournie au niveau national par le système d'indemnisation du chômage. Il s'agit d'une intervention en dernier ressort. Le « pilier européen » serait financé par des contributions des États membres, lesquelles seraient, dans un premier temps, différenciées et mutualisées à terme.

Les auditions réalisées par le groupe de travail nous ont permis de constater que cette proposition rencontrait un soutien assez large, et particulièrement marqué chez nos partenaires italiens.

De manière générale, la capacité budgétaire pour la zone euro et le système européen de réassurance ne sont pas incompatibles et pourraient être, d'ailleurs, mis en oeuvre simultanément, sous réserve toutefois, comme vous vous en doutez, de modifier les traités pour mettre en oeuvre une capacité budgétaire pour la zone euro.

Outre ces propositions pour compléter l'Union économique et monétaire, les réformes à mettre en oeuvre doivent également viser le renforcement effectif de la légitimité et de la responsabilité démocratiques de la zone euro, à laquelle nous sommes tous très attachés.

Nos propositions ne peuvent pas se concevoir, dans la période actuelle, sans un approfondissement institutionnel et démocratique de l'Union économique et monétaire.

Cette réforme institutionnelle devra répondre à deux impératifs : renforcer la légitimité démocratique de la gouvernance de la zone euro, et améliorer l'efficacité de cette gouvernance.

Un écueil doit absolument être évité : celui de créer de nouvelles institutions sans les accompagner d'avancées réelles de l'intégration économique et budgétaire. Dans ce cas, ces institutions seraient vouées à n'être que des « coquilles vides », et à complexifier, paradoxalement, la gouvernance de la zone euro plutôt que de la rendre plus transparente.

Cette réforme institutionnelle doit selon nous comporter deux volets principaux : un volet « exécutif » et un volet parlementaire auquel nous sommes tous très attachés. Ce sont les deux pistes qui avaient également été évoquées par le président de la République dans son discours du 14 juillet 2015, dans lequel il a plaidé pour la création d'un gouvernement économique de la zone euro et d'un parlement de la zone euro.

Sur le gouvernement économique de la zone euro, nous proposons la création d'un Haut Représentant pour l'Union économique et monétaire. Ce nouvel exécutif pour la zone euro serait à la fois membre – ou même Vice-président – de la Commission européenne et président de l'Eurogroupe, et éventuellement du Conseil ECOFIN, sur le modèle du Haut Représentant de l'Union pour les affaires étrangères. Comme ce Haut représentant pour les affaires étrangères, il pourrait être nommé à la majorité qualifiée par le Conseil européen, avec l'accord du président de la Commission européenne, et serait soumis, en même temps que le collège de la Commission européenne, à un vote d'approbation du Parlement européen.

Quel serait le rôle de ce Haut Représentant ? Il devrait permettre de prendre en compte les intérêts économiques spécifiques de la zone euro dans son ensemble et de définir l'intérêt général de la zone euro. Il devrait pour cela définir avec l'ensemble des gouvernements de la zone euro une « stratégie collective » et faire appliquer les décisions découlant de cette stratégie. Avec un tel mandat politique clair, il pourrait être dans une relation avec les gouvernements européens dans un rôle de superviseur. Il piloterait la coordination des politiques économiques et budgétaires et s'assurerait – et ce n'est pas le moins qu'on pourrait lui demander – du respect par chaque État membre des règles définies collectivement au niveau européen. Ce rôle, évidemment politiquement sensible, serait plus facilement endossé par un Haut Représentant adoubé par l'ensemble des États de la zone euro et disposant d'une légitimité politique renforcée.

Il devra également favoriser la convergence économique, en premier lieu grâce à la capacité budgétaire de la zone euro, précédemment évoquée, dont il pourrait disposer. Pour ce faire, il devrait disposer, sans créer une importante administration, d'une administration ad hoc sous sa responsabilité, c'est-à-dire une forme de Trésor de la zone euro qui pourrait intégrer des experts existants des services économiques et financiers de la Commission, du mécanisme européen de stabilité, et aussi du secrétariat du Comité économique et financier.

Enfin, il devra jouer le rôle de gestionnaire de crise. Soyons clairs : le déroulement des négociations avec la Grèce a souligné la nécessité d'un acteur et d'un cadre clairement identifié pour mener les négociations en cas de crise. Il serait chargé de mener les négociations sur les programmes d'ajustement et de contrôler les opérations du mécanisme européen de stabilité.

Évidemment la création d'un tel poste de Haut représentant nécessitera un changement des traités. Mais à plus court-terme, nous proposons donc de doter l'Eurogroupe d'un président stable. En effet, juridiquement, rien n'oblige les ministres de l'Eurogroupe à désigner l'un de leurs pairs pour exercer cette présidence, et il serait donc possible dès aujourd'hui de nommer un président à temps plein pour l'Eurogroupe.

Enfin, nous sommes favorables à une représentation extérieure unique de la zone euro, et considérons que la France doit aller de l'avant sur cette question en appuyant la proposition faite par la Commission européenne en ce sens.

Sur le volet parlementaire, qui est assez sensible, au vu de l'importance des décisions économiques prises au niveau européen et de leurs potentielles conséquences sociales, il est essentiel que ces décisions soient issues d'un véritable choix collectif.

En l'absence d'un tel processus de légitimation démocratique, ce seront les parlements nationaux ou les peuples, par voie référendaire, qui s'approprieront cette fonction : la crise grecque a clairement démontré le conflit de légitimité qui peut opposer un État souverain aux institutions de la zone euro.

Nous considérons que cette légitimation démocratique doit venir du Parlement européen, et nous proposons donc la création d'une sous-commission « zone euro » au Parlement européen – et ce terme n'a rien de péjoratif –, chargée notamment de contrôler la capacité budgétaire de la zone euro. La création d'une telle sous-commission ne nécessiterait pas de changement de traités mais seulement une décision de la Conférence des présidents du Parlement européen.

Politiquement, il est difficilement concevable que des parlementaires issus d'États membres n'ayant pas encore adopté l'euro fassent partie de cette sous-commission ; mais juridiquement, en revanche, il sera difficile de les en exclure explicitement : une telle exclusion nécessiterait probablement une révision des traités, s'inspirant de ce qui est déjà prévu par l'article 136 du traité pour le Conseil.

Parallèlement, il faudra également réfléchir à une procédure permettant d'associer les parlements nationaux aux décisions prises pour la zone euro, sans toutefois créer de nouvelle structure. Mais ce renforcement doit avant tout passer par le renforcement du contrôle des gouvernements par leurs parlements respectifs – je crois que c'est un sujet sur lequel nous avons beaucoup avancé.

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