Intervention de Jean-Pierre Lacroix

Réunion du 30 novembre 2016 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Jean-Pierre Lacroix, directeur des Nations unies, des organisations internationales, des droits de l'homme et de la francophonie au ministère des affaires étrangères et du développement international :

Monsieur le député Jacques Myard, cher collègue, l'idée d'un siège permanent pour l'Union européenne – qui n'est plus guère évoquée – impliquerait une modification radicale de l'esprit fondateur des Nations unies, organisation fondée sur les États et dont sont membres des États, non des organisations régionales. D'ailleurs, quand l'Union européenne a cherché à se rendre plus visible au sein des Nations unies, notamment à l'Assemblée générale en y demandant une capacité d'expression renforcée, cela a suscité des résistances. La vigilance à ce sujet est donc grande. En outre, pour opérer au sein du Conseil de sécurité, il faut une diplomatie unique et unifiée, afin de pouvoir réagir au jour le jour. Ainsi, nous recevons le matin de New York des demandes d'instruction que nous devons traiter dans la matinée en consultant tout le monde, des directions géographiques au cabinet du ministre et éventuellement à l'Élysée ; une telle démarche serait totalement incompatible avec une diplomatie aussi éclatée que celle de l'Union européenne.

Cela étant, madame Ameline, l'Union européenne est partout présente à l'ONU, et de manière très positive. Elle joue un rôle dans les crises, en amont et en aval de chaque décision des Nations unies, et sur le terrain pour mettre en oeuvre les décisions prises, qu'il s'agisse d'appuyer l'action d'une opération de maintien de la paix, comme au Mali avec la formation des forces de sécurité, ou d'être donateur, comme lors de la récente conférence organisée au bénéfice de la République centrafricaine. De plus, lorsque, comme cela arrive souvent s'agissant des enjeux globaux, les pays membres de l'Union parviennent à une position unique, nous cumulons l'effet d'entraînement que nous pouvons exercer au travers de l'Union à celui que nous produisons par le biais des Nations unies. L'Union européenne est donc un atout pour nous, en même temps qu'une force en soi, reconnue comme telle, qui contribue notablement à la paix en complément des efforts déployés par les Nations unies.

Madame Guittet, nous avons tout intérêt à une réforme du Conseil de sécurité qui y accroîtrait le nombre de sièges, permanents et non permanents. Le système actuel est critiqué par de nombreux pays, notamment par d'importants pays émergents qui voudraient un rôle accru, ainsi que par de petits pays, dont le nombre a triplé ou quadruplé depuis 1960. Or, pour que le système reste crédible, légitime et fort, il doit être satisfaisant pour la plupart des grands acteurs. À long terme, ce que risquent les Nations unies – particulièrement le Conseil de sécurité –, c'est de devenir non pertinentes, irrelevant, donc de ne plus être acceptées par la communauté internationale. Imaginons que, dans trente ou quarante ans, l'Inde, devenue la première puissance démographique au monde, et peut-être la troisième puissance économique, n'ait toujours pas de siège permanent et se retire de facto du système onusien : c'est un danger.

Si nous avons donc intérêt à promouvoir cette réforme, les divisions sont telles qu'il est très difficile d'y parvenir. Elles opposent les pays qui souhaitent la création de nouveaux sièges permanents et ceux qui ne le veulent pas, notamment parmi les pays africains qui jouent un rôle important dans ce processus. De plus, dans les principaux pays qui voudraient obtenir un siège de membre permanent, la mobilisation politique qui serait requise au plus haut niveau fait défaut. Peut-être le Japon fait-il exception, probablement parce que c'est le pays qui sent le plus que le temps joue contre lui ; mais ce n'est pas le cas de l'Allemagne, qui dispose aujourd'hui d'autres moyens d'affirmer sa puissance, ni du Brésil, confronté à bien des difficultés, ni de l'Inde qui considère qu'elle a de toute façon le temps pour elle. Quant à l'Afrique, si certains pays nourrissent des ambitions, aucun ne veut créer trop de discorde au sein de la maison africaine, pour ne pas remettre trop visiblement en cause la construction lente, mais progressive et régulière de l'unité africaine par le biais de l'Union africaine.

L'Union africaine, justement, aujourd'hui présidée par le président tchadien Idriss Déby, souhaite – et nous la soutenons – renforcer encore son rôle dans le traitement des crises en Afrique, ainsi que sa capacité à déployer des opérations, ce qui est tout à fait positif. La France forme d'ailleurs chaque année 20 000 soldats africains au maintien de la paix ; le colonel Calvez connaît parfaitement ce dossier. Il existe aussi des projets visant à développer les moyens dont disposent les Nations unies pour soutenir techniquement et financièrement les opérations de l'Union africaine.

Tout cela est souhaitable à terme. Il faut simplement veiller à ne pas légitimer le discours de certains Africains selon lequel l'Afrique concerne l'Union africaine, non les Nations unies. Outre que ce discours n'est pas réaliste, il est profondément contraire aux intérêts même des Africains. De plus, la logique très réaliste qui a présidé à la fondation des Nations unies consistait à tenir compte du fait – dont nous sommes quotidiennement témoins – que ce qui se passe dans une région ou dans un continent donnés a souvent des conséquences sur les autres régions, notamment sur leur sécurité. Cela s'applique évidemment au Mali, à la République centrafricaine et à la corne de l'Afrique, comme au Moyen-Orient. Il est donc faux de dire qu'il revient aux seules organisations régionales de traiter les crises qui s'y déroulent.

Par ailleurs, si les Nations unies renforçaient leur soutien aux opérations de l'Union africaine, cela nécessiterait certaines garanties en matière de contrôle politique et de contrôle d'efficacité, notamment.

J'en viens à la Syrie. Supposons que l'on puisse s'abstraire du droit et de la morale – ce que l'on ne saurait faire entièrement, car je rejoins ce qui a été dit sur la nécessité d'insister sur le respect du droit humanitaire et d'empêcher l'impunité, ce à quoi nous oeuvrons résolument. C'est par réalisme que nous sommes réservés quant à la partition qui, malheureusement, se profile : cette solution ne serait pas la plus favorable à nos intérêts de sécurité. C'est à ce titre que nous n'avons cessé de plaider pour une transition politique et que nous continuerons de le faire. Ce n'est que si nous parvenons à rétablir l'unité du pays que ses différentes composantes, notamment sunnite, se reconnaîtront dans ses institutions politiques, ce qui les dissuadera de choisir l'option radicale incarnée par les mouvements terroristes. L'instabilité, la faiblesse, l'inefficience des régimes, parfois leur corruption produisent les révolutions que l'on a pu observer dans le passé, mais également les mouvements terroristes – même si l'analyse du phénomène doit évidemment être plus complexe.

Monsieur Myard, je ne suis pas un expert en matière d'opérations militaires, mais – je le dis en présence du colonel Calvez – lors de nos échanges avec l'état-major, qui sont très fréquents, il apparaît clairement et en permanence que nos soldats font la guerre selon des règles. Cela nous empêche d'ailleurs de faire certaines choses qui pourraient être très destructrices pour le potentiel des forces adverses. Je songe en particulier à la prudence de nos forces lorsqu'il s'agit de s'attaquer aux convois pétroliers, constitués de camions conduits par des chauffeurs qui sont souvent des civils rackettés par les terroristes. Très honnêtement, je doute que le régime syrien s'impose les mêmes règles.

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