Intervention de Jean de Gliniasty

Réunion du 15 décembre 2016 à 10h00
Mission d'information sur les relations politiques et économiques entre la france et l'azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie au sud caucase

Jean de Gliniasty, directeur de recherche à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS :

C'est en effet une caractéristique des anciennes langues impériales, dont le français fait partie. La place accordée au français reste un critère important dans nos relations avec les autres pays.

La dernière exigence est un peu liée à celle concernant l'OTAN : pour les questions de sécurité, conserver des relations avec les forces armées russes. Les Russes attendaient sinon un maintien de leurs bases militaires installées un peu partout à l'époque, au moins des négociations à l'amiable sur leur sort. En tout état de cause, ils voulaient que soient maintenus des liens importants en matière de services de sécurité, de livraison d'armement, etc. Tout cela, Heydar Aliev l'a parfaitement compris.

Pour avoir été directeur pour l'Afrique et l'océan Indien au ministère des affaires étrangères, je sais qu'il y a des constantes dans les processus d'indépendance. À un moment donné, les Russes ont cru qu'après avoir accordé leur indépendance à tous ces pays, ils les retrouveraient ensuite dans la Communauté des États indépendants (CEI) et que l'empire serait préservé. Ils auraient dû lire leur histoire. Quand un pays accède à l'indépendance, il commence à mettre des droits de douane, puis il crée une nomenklatura politique qui a un intérêt vital à se maintenir au pouvoir et donc à l'indépendance du pays. Les dirigeants se lancent aussi dans des relations internationales pour faire reconnaître leur indépendance. C'est rédhibitoire.

La France a connu cette mésaventure lors de la décolonisation de l'Afrique. Nous avons longtemps hésité à créer une grande entité francophone sur le modèle du Nigéria pour l'anglais. En fait, partant du constat qu'il y avait de grandes différences entre les pays, nous avons pris le parti de laisser se développer la démocratie dans chacun d'entre eux, pensant qu'ils se réuniraient ensuite dans un bloc francophone. En fait, cette dernière étape ne s'est jamais réalisée, malgré diverses initiatives comme la création de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Tous les efforts sont restés vains. Quand vous avez des nomenklaturas, des droits de douane, des budgets, des forces armées, des généraux, vous êtes entrés dans un processus d'indépendance. Il en a été ainsi pour l'ensemble des pays de la CEI, dont l'Azerbaïdjan.

Heydar Aliev a été très fin. Dans le cadre de cette indépendance à laquelle il n'avait aucune raison de renoncer, loin de là, il a su naviguer en homme d'État. Il a très habilement respecté les lignes rouges. Il s'est rapproché de l'Union européenne et il a été un acteur très actif du partenariat oriental mais en restant dans les limites. Contrairement aux dirigeants de la Géorgie, de l'Ukraine ou de la Moldavie, il n'a jamais demandé le rattachement de son pays à l'Union européenne.

Il a adopté la même stratégie vis-à-vis de l'OTAN. Il fait un petit tour de piste avec l'Organisation pour la démocratie et le développement, dite GUAM car elle regroupe la Géorgie, l'Ukraine, l'Azerbaïdjan et la Moldavie, des États pressentis pour devenir membres de l'OTAN. En fait, le GUAM est tombé en quenouille. Heydar Aliev a fait juste ce qu'il fallait sans franchir la ligne rouge : il n'est pas entré dans l'OTAN ; il est membre de la CEI mais il a refusé d'entrer dans l'Organisation du traité de la sécurité collective (OTSC) qui regroupe la Russie, l'Arménie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, l'Ouzbékistan et le Tadjikistan ; il n'est pas membre non plus de l'Organisation de la coopération de Shanghai qui réunit la Russie, la Chine, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan et l'Ouzbékistan. Pour schématiser, ce traité très intéressant revient à faire une sorte de répartition des responsabilités entre la Chine et la Russie pour maintenir l'ordre en Asie centrale et aux franges européennes.

Heydar Aliev s'est abstenu de tout geste définitif et il a finalement très bien réussi : ses relations avec la Russie sont sans histoire, elles ne défraient pas la chronique et tout le monde y trouve son compte. Le Haut-Karabagh est une sorte de tampon d'identité pour l'Azerbaïdjan, et surtout une justification pour maintenir un pouvoir assez autoritaire. Quand Heydar Aliev a cédé le pouvoir à son fils Ilham en 2003, le Haut-Karabagh a été le facteur de continuité. Le grand projet national était de récupérer le Haut-Karabagh, y compris par les armes si l'on se réfère à la phraséologie politique azérie.

L'affaire a été assez habilement menée pour que tout le monde y trouve son compte, sauf peut-être l'Arménie, et encore. Contrairement à ce qu'on entend dire parfois, je ne crois pas que la Russie ait suscité le trouble afin de pouvoir apparaître comme médiateur. À mon avis, elle est particulièrement ennuyée par ce conflit qu'elle règle in extremis à chaque explosion. Elle souhaite un apaisement qui lui permettrait de développer cette zone. Il est clair que le Haut-Karabagh est un facteur d'instabilité pour l'ensemble du Caucase. Cette instabilité provoque les premiers friselis d'agitation islamiste en Azerbaïdjan et contribue à affaiblir considérablement l'Arménie – un pays qui ne se porte pas bien.

La Russie souhaite la stabilité du Caucase, ce qui explique d'ailleurs en partie sa politique en Syrie qui se trouve à quelques centaines de kilomètres de là. Cela étant, elle est contente d'apparaître comme le faiseur de paix dans la région. C'est le seul pays sorti gagnant de l'attaque lancée le 2 avril 2016 par les troupes azerbaïdjanaises. Dès le 4 ou 5 avril, le premier ministre russe Dmitri Medvedev était sur place. En trois jours, la trêve était signée. Ironie de l'histoire, le 2 avril, au moment du déclenchement des hostilités, Ilham Aliev et le président arménien Serge Sarkissian étaient tous les deux à Washington.

Les Azerbaïdjanais ont attaqué avec de gros moyens car ils possèdent une véritable armée : leur budget de la défense est supérieur au budget total de l'Arménie. Ils ont marqué des points et ils se sont arrêtés. Dmitri Medvedev est arrivé et la paix a été conclue. Les Azerbaïdjanais sont contents d'avoir marqué des points. Les Russes sont contents d'avoir montré leur talent de médiateurs. Les Arméniens, qui ont perdu l'équivalent de trois terrains de football, ne sont pas très contents. L'attaque a sonné comme une alerte en Arménie où des changements sont intervenus, notamment la nomination d'un nouveau Premier ministre – un ancien de Gazprom, ce qui n'est pas pour déplaire à la Russie. Les Russes ont finalement trouvé leur compte dans cette affaire, mais ils ne jettent pas de l'huile sur le feu, loin de là, car ils aimeraient que le conflit soit réglé.

L'Azerbaïdjan s'est ensuite taillé un rôle absolument formidable car le pays a constitutivement des relations avec tous les grands acteurs de la région : l'Iran parce que la population azerbaïdjanaise est majoritairement chiite ; la Turquie parce que les deux peuples parlent une langue turcique ; la Russie dont le système politique est assez proche du sien. Ilham Aliev, tout aussi fin que son père, réussit à tirer le meilleur parti possible de la situation.

Il y a quelques mois, s'est tenu un sommet entre Hassan Rohani, Vladimir Poutine et Ilham Aliev, afin d'organiser les relations avec l'Iran. On a parlé notamment d'une zone commerciale commune dont les Azerbaïdjanais tireraient le plus grand bénéfice. La Turquie a pris parti pour l'Azerbaïdjan dans les heures qui ont suivi le début du conflit, et les relations entre les deux pays sont très bonnes. En 2010, quand j'étais à Moscou, s'est déroulé un épisode intéressant qui est passé totalement inaperçu. Pour des raisons purement commerciales, les Turcs avaient accepté l'ouverture d'un point de passage pour les marchandises arméniennes. Le président Aliev était intervenu de manière très ferme auprès des autorités turques qui avaient alors immédiatement renoncé à appliquer l'accord.

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