Intervention de Marie-Claire Aoun

Réunion du 15 décembre 2016 à 11h15
Mission d'information sur les relations politiques et économiques entre la france et l'azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie au sud caucase

Marie-Claire Aoun, directrice du centre « Énergie » de l'Institut français des relations internationales (IFRI :

Oui, c'est clairement un échec politique de l'Europe. La Commission européenne soutenait fortement le projet Nabucco, qui visait à diversifier les sources d'approvisionnement pour réduire la dépendance à l'égard du gaz russe, mais il n'y avait pas d'accord entre les États membres. En réalité, Nabucco était un gazoduc très coûteux, qui devait transporter des volumes de gaz très importants et traverser un grand nombre de pays, notamment la Bulgarie, la Roumanie, la Hongrie et l'Autriche. Le Corridor Sud, composé successivement du South Caucasus Pipeline (SCP) – qui relie l'Azerbaïdjan à la Turquie –, du TANAP et du TAP, traversera moins de pays et transportera des volumes plus réduits.

Dans ce contexte, la Turquie est un pays très important. Le marché gazier turc est le seul qui soit en expansion en Europe : le taux de croissance de la demande de gaz est d'environ 7 % en Turquie ; il est presque au niveau de celui de la Chine, ce qui en fait l'un des plus élevés au monde. La Turquie importe la totalité des 48 milliards de mètres cubes de gaz qu'elle consomme. Elle en fait venir la moitié de Russie, soit via l'Ukraine, soit via le gazoduc Blue Stream, qui relie directement les deux pays. Elle se fournit aussi auprès de l'Iran, avec lequel un jeu de pouvoir pourrait se dessiner dans les prochaines années. Elle achète 6 milliards de mètres cubes à l'Azerbaïdjan, soit 12 % du total. Le reste est constitué par des volumes plus réduits de gaz naturel liquéfié (GNL) en provenance d'Algérie et du Nigéria.

La Russie observe le marché turc de très près : elle essaie de préserver sa part de marché, notamment par rapport à l'Iran. L'Azerbaïdjan est un pays intéressant du point de vue de la Turquie, car il lui permet de diversifier ses sources d'approvisionnement, compte tenu notamment de ses relations compliquées et assez instables avec la Russie.

Le projet de gazoduc Turkish Stream, annoncé en décembre 2014 par Vladimir Poutine, a été mis de côté quelques mois plus tard en raison des tensions diplomatiques avec Ankara, mais est réapparu cet été à la faveur du rapprochement russo-turc. Il vise à remplacer le projet South Stream, qui devait acheminer le gaz russe vers l'Europe à travers la mer Noire, mais a été abandonné en raison du contexte difficile avec l'Union européenne. Turkish Stream reprend en partie le tracé de South Stream, dans lequel Gazprom avait déjà beaucoup investi. Cela explique pourquoi la Russie tient à ce projet.

L'objectif initial était que Turkish Stream transporte 63 milliards de mètres cubes de gaz. Aujourd'hui, ce qui est annoncé, ce sont deux lignes permettant d'acheminer environ 15 milliards de mètres cubes chacune. De nombreux experts estiment cependant que c'est un peu ambitieux et qu'il n'est pas certain que la deuxième ligne soit réalisée. La construction commencerait en 2017 et Turkish Stream serait mis en service en 2020 ou 2022. À cette date, la Russie devrait donc exporter vers la Turquie un volume supplémentaire de 15 à 30 milliards de mètres cubes.

Le gaz azerbaïdjanais est-il compétitif ? Quelles sont les perspectives à long terme ? Il y a quelques années, on pensait que l'Azerbaïdjan avait un fort potentiel dans le domaine gazier, mais les chiffres ont été revus à la baisse ces derniers temps, car il s'agit d'un gaz offshore qui est coûteux à produire et, surtout, qu'il faut transporter sur de longues distances. Il n'est donc pas sûr que ce gaz puisse arriver sur les côtes européennes à un prix intéressant par rapport à celui qui est produit par le géant russe, celui-ci ayant une capacité très importante à réduire les prix.

Dans une étude qu'il a publiée cet été, l'Oxford Institute for Energy Studies estime que l'Azerbaïdjan produira environ 30 milliards de mètres cubes de gaz en 2020. Cette estimation semble assez réaliste : si l'on ajoute à la production actuelle de 18 milliards de mètres cubes les 16 milliards supplémentaires qui seront extraits à Shah Deniz et exportés par le Corridor Sud, en tenant compte par ailleurs du déclin des gisements domestiques, cela fait à peu près 30 milliards de mètres cubes. Pour 2025, alors que l'on annonçait une production de 60 milliards de mètres cubes il y a encore deux ans, on parle désormais plutôt d'un volume maximal de 40 milliards.

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