Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous abordons ce soir un sujet sur lequel le groupe socialiste, écologiste et républicain a beaucoup travaillé depuis le début de la législature, notamment au sein de la commission des affaires européennes. J’ai d’ailleurs pour ma part été l’année dernière en charge de deux rapports sur le sujet : l’un sur l’assurance chômage européenne et celui dont nous débattons aujourd’hui, qui porte sur le socle européen des droits sociaux, écrit en collaboration avec Philip Cordery, qui a lui-même présenté un rapport sur le salaire minimum européen. Nous ne saurions évidemment oublier les travaux de notre collège Gilles Savary, qui ont fait avancer la question épineuse du détachement des travailleurs.
L’Union européenne souffre, vous le savez, d’un déficit de popularité qui s’explique notamment par le fait qu’elle est perçue comme imposant des contraintes budgétaires lourdes au profit d’un libéralisme économique qui ferait fi des questions sociales. Certes, l’Europe a, jusqu’à une date récente, privilégié dans sa construction l’économique par rapport au social et même au politique. C’est la méthode même des pères fondateurs de l’Europe, qui ont privilégié l’Europe des petits pas et la construction d’un espace économique régi par la libre circulation et la concurrence.
À force de petits pas allant dans le sens de l’unification des marchés et au fil des élargissements successifs, l’Europe a fini par être perçue comme étant à l’origine de la dégradation de la situation des salariés de nombreux pays, notamment à cause de l’avènement de la monnaie unique qui, en privant les États de l’instrument de la dévaluation, fait du coût du travail la variable qui permet la concurrence entre les économies de ces États. Non seulement l’euro n’a pas permis une convergence spontanée des économies, mais il semble bien qu’il ait au contraire creusé les différences entre le coeur et la périphérie de l’Europe.
Toutefois, il est injuste de prétendre que l’Europe ne se préoccupe pas du social. En effet, bien que les politiques sociales ne soient pas une compétence propre de l’Union européenne, la question sociale n’est pas absente des politiques de l’Union. Le Fonds social européen – FSE –, le Fonds européen de développement régional – FEDER –, le Fonds européen d’aide aux plus démunis – FEAD – ou encore l’Initiative pour l’emploi des jeunes, pour ne citer qu’eux, sont autant d’outils aux mains des institutions européennes permettant de promouvoir des politiques sociales et économiques inclusives.
Tout un chacun, que ce soit dans notre pays ou au sein de l’Union, a compris que les taux de chômage et de pauvreté en Europe sont tels qu’il n’est pas envisageable que celle-ci ne se préoccupe pas de social autant que d’économie. La convergence salariale et la convergence sociale sont une condition nécessaire tant de la survie de l’Union européenne dans son ensemble que de la zone euro, voire de l’euro lui-même.
La mise en oeuvre d’une convergence sociale ascendante n’est pas un choix : c’est, de notre point de vue, un impératif. C’est ainsi que nous concevons le socle européen des droits sociaux lancé par la Commission européenne, qui a pour objectif non seulement de consolider l’acquis social de l’Union mais aussi de le faire entrer complètement dans le XXIe siècle, en l’adaptant à la nouvelle donne d’une économie de plus en plus numérisée et collaborative.
En effet, pour lutter contre les inégalités et l’accroissement de la pauvreté et de la précarité, l’État providence doit aussi s’adapter aux mutations du travail. Pour cela il est nécessaire d’ouvrir plusieurs chantiers, comme Sophie Rohfritsch, Philip Cordery et moi-même l’avons indiqué dans notre rapport sur le socle européen des droits sociaux.
Je ne citerai, faute de temps, que les principaux d’entre eux. Je me permets pour le reste de vous renvoyer à la lecture de notre rapport, lequel contient une proposition de résolution européenne qui, en vingt-quatre points pragmatiques et précis, donne à ce socle un triple objectif : permettre une meilleure coordination économique pour favoriser la création d’emplois et l’accès à l’emploi en Europe ; adapter la protection sociale aux nouvelles formes d’emplois liées à la numérisation de l’économie et au développement de la pluri-activité ; enfin, lutter contre la pauvreté en Europe.
Au nombre de ces chantiers indispensables et prioritaires figure la généralisation des droits attachés à la personne – et non au contrat – afin de s’adapter aux nouvelles réalités d’un marché du travail de plus en plus instable et exigeant, sur le modèle du compte personnel d’activité, le CPA, dont le Premier ministre lancera la plate-forme demain matin.
Deuxième exemple, la mise en place de garanties pour les travailleurs de la nouvelle économie, afin d’en finir avec le flou juridique qui permet aux grandes entreprises du numérique d’employer de faux indépendants au détriment de la protection sociale de ces derniers et de l’équilibre de nos comptes sociaux.
Troisième exemple, la mise en place d’une assurance chômage européenne, qui jouerait à la fois un rôle de stabilisateur économique en cas de choc asymétrique et, bien évidemment, de stabilisateur social. Cette assurance chômage pourrait se composer d’une assurance de base commune au niveau européen et d’une partie complémentaire versée par les États nations.
Quatrième exemple, la mise en place d’une couverture santé minimale et d’un salaire minimum dans chaque pays, permettant d’organiser un processus de convergence salariale à l’échelle de l’Union. Dernier exemple, la poursuite de la mobilisation en faveur des jeunes via la pérennisation de la garantie jeunes et l’élaboration d’une législation européenne des stages plus protectrice.
Néanmoins, malgré la bonne volonté des institutions européennes, qui ont lancé cette consultation sur le socle européen des droits sociaux, il nous est permis de nous inquiéter au regard des difficultés rencontrées pour réviser la directive sur le détachement des travailleurs – notre collègue Gilles Savary en parlera.
Les difficultés du processus décisionnel à vingt-huit – à vingt-sept demain – sur des sujets aussi peu consensuels que la protection sociale et la réglementation du marché du travail nous amènent à penser que le socle européen devra sans doute se contenter d’une mise en oeuvre initiale au sein de la seule zone euro.
Nous sommes convaincus qu’un tel projet suppose de relancer le dialogue social européen et de dépasser un pilotage principalement intergouvernemental de l’Europe. Il n’y aura pas d’avancées sociales sans avancées démocratiques et politiques. La tentation, qui existe chez certains, d’un repli national visant à préserver notre modèle social, ne peut conduire qu’à des déconvenues, économiques d’abord, sociales ensuite.
La solution réside bien dans la création d’un socle de droits permettant une convergence sociale et salariale au niveau européen.