Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Séance en hémicycle du 12 janvier 2017 à 9h30
Réforme de la prescription en matière pénale — Présentation

Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice :

Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, Guy Carcassonne, brillant constitutionnaliste, professeur apprécié à l’université de Paris X, dont la parole nous manque tant aujourd’hui, avait l’habitude de dire que « le Parlement a tous les pouvoirs » et il l’encourageait à utiliser ces pouvoirs.

Je suis heureux de participer à des débats qui auraient pleinement satisfait Guy Carcassonne puisque cette proposition de loi est une initiative strictement, totalement et pleinement parlementaire, conduite de manière remarquable et habile par ses rapporteurs à l’Assemblée nationale et au Sénat, aidés par les représentants des groupes qui, dans un effort commun, ont construit un édifice remarquable. En effet, à l’issue des travaux en première lecture à l’Assemblée nationale, le 10 mars dernier, et au Sénat, le 13 octobre dernier, c’est l’esprit transpartisan qui a remporté une victoire.

Un esprit efficacement incarné dans cette assemblée par Alain Tourret et Georges Fenech, qui ont uni leurs intelligences et leurs efforts pour analyser une situation dont chacun reconnaissait la complexité et ont proposé un chemin qui, tout en étant escarpé, s’est avéré praticable.

C’est le même esprit qui avait prévalu au Sénat dans les travaux entamés par Hugues Portelli, Richard Yung et Jean-Jacques Hyest, prolongés par ceux du rapporteur François-Noël Buffet.

Cette oeuvre de réflexion collective donne tort à Montesquieu qui écrivait que « les lois rencontrent toujours les passions et les préjugés du législateur ».

Lorsque le temps de la réflexion est pris – ce qui a été le cas –, lorsque les auditions de toutes les parties prenantes sont rigoureusement menées – ce qui a été le cas –, lorsque l’intelligence de l’un est fécondée par l’intelligence de l’autre, alors la raison dépasse la passion et la responsabilité dépasse le préjugé.

Le texte adopté par l’Assemblée, enrichi par le Sénat, confirmé par le vote unanime de votre commission des lois, aboutit à un travail parfaitement équilibré.

L’exercice était vraiment compliqué car il obligeait à se poser une question grave : celle de la mémoire et du passé, de l’oubli et du présent. Les règles légales et jurisprudentielles de la prescription en matière de répression des infractions étaient devenues inadaptées aux attentes de la société, mais également aux besoins des juges. Les incohérences et l’instabilité du droit étaient devenues préjudiciables à l’impératif de sécurité juridique.

Il était donc nécessaire de réfléchir à la manière de faire évoluer les règles de la prescription, d’entendre les juges, de prendre en considération les besoins de la société et ce qu’elle est en droit d’attendre en matière de justice.

De ces constats et de ces questions, la proposition de loi tire des conclusions de bon sens.

Elle inscrit dans la loi les règles dégagées par la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de prescription des délits occultes. Cela renforcera la sécurité juridique et améliorera la lisibilité du droit, sous réserve que le cas des délits dissimulés soit également traité de manière appropriée. Chacun doit en effet pouvoir connaître plus facilement les règles applicables en consultant la loi, sans être un expert ni devoir analyser la jurisprudence. La proposition de loi rassemble dans un même code des dispositions qui étaient jusqu’alors éparpillées et contribue ainsi à améliorer la lisibilité de la loi. Enfin, elle clarifie et améliore l’efficacité des règles de prescription – durée de la prescription, modalités de calcul des délais, règles de suspension ou d’interruption de la prescription.

Pour la première fois, mesdames et messieurs les parlementaires, c’est une proposition de loi construite sur une vision globale et une cohérence d’ensemble qui est présentée. Je vous redis donc combien je suis heureux que ce texte nous parvienne ce matin pour une discussion ultime.

En 1772, la romancière Marie-Jeanne Riccoboni écrivait qu’« une longue attente est un long supplice ». Mesdames et messieurs les députés, le temps ne doit pas, le temps ne peut pas devenir l’ennemi de la justice. Ce sera l’honneur du législateur que d’apporter enfin une réponse sage et juste à cette grave question.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion