Intervention de Alain Tourret

Séance en hémicycle du 12 janvier 2017 à 9h30
Réforme de la prescription en matière pénale — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Tourret, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, en 1808, l’Empereur est au faîte de sa puissance. Il y a eu la paix d’Amiens en 1802, le couronnement en 1804, Austerlitz en 1805, Iéna en 1806, Friedland en 1807, et en 1808, l’Empereur dicte le code de procédure pénale.

Les règles de la prescription alors établies n’ont pas bougé depuis cette époque. C’est dire la stabilité de notre code de procédure pénale !

Le problème est que les choses ont évolué alors que le code, lui, n’a pas été réformé. Le poids de la législation économique et celui des affaires ont tout changé et sont apparus un certain nombre de délits ne présentant pas les caractéristiques des délits habituels, des délits pour l’essentiel dissimulés et non susceptibles d’être poursuivis parce que précisément, ceux qui les commettent s’arrangent pour interdire toute possibilité de poursuite dans des délais normaux.

En 1935, pour la première fois, la Cour de cassation estimait qu’en matière d’abus de confiance, le point de départ pour la prescription du délit n’était pas celui de la commission des faits mais celui de leur révélation. Un arrêt de règlement aurait pu être pris pour signifier que cette règle valait en toute matière économique. Tel n’a pas été le cas. En conséquence, si pour une partie des délits économiques, c’est bien la nouvelle règle de la Cour de cassation qui s’applique, à savoir celle qui fixe le point de départ pour la prescription du délit au jour de la révélation des faits – vote de l’assemblée générale, décision des actionnaires… –, ce n’est pas le cas pour tous, en particulier en matière de faux. Il n’y avait donc plus aucune sécurité juridique. Or le droit, ce doit être la sécurité.

Le législateur lui-même est parti dans des folies qui l’ont amené à répondre point par point, dossier par dossier, aux émotions du peuple et à partir de ce moment-là, nous avons connu tout et n’importe quoi en matière de règles de prescription.

Qu’est-ce que la prescription et quelles en sont les règles ? La prescription est l’impossibilité, après un certain délai, de mettre en mouvement l’action publique de façon que l’oubli l’emporte sur la nécessité de la répression.

La France était le seul pays à distinguer la prescription de l’action publique et celle des peines, prévoyant de surcroît trois règles différentes pour les contraventions, les délits et les crimes. Il existait donc six règles de prescription. Cela remontait certes loin dans le temps, aux assises du droit romain. Et Saint-Louis, le premier dans notre ancien droit, avait relevé la différence des délais de prescription selon qu’il s’agissait de contraventions, de délits ou de crimes.

Là où il aurait fallu s’en tenir à une règle claire, il n’en a rien été, si bien que certains délits se sont trouvés prescrits par vingt ans alors qu’ils le sont normalement par trois ans et que des crimes l’ont été par trente ans alors qu’ils le sont normalement par vingt ans. C’était tout et n’importe quoi, du fait même des fautes commises par le législateur.

Le procureur général près la Cour de cassation, M. Marin, a estimé que jamais le « chaos judiciaire » – ce sont ses termes – ne pourrait être mieux stigmatisé que par nos règles de prescription qui partaient dans tous les coins.

L’honneur du Parlement, des députés et particulièrement de Georges Fenech, dont je salue le travail qu’il a mené à mes côtés, a été de se lancer dans une intense écoute de tous les milieux : le milieu judiciaire, celui des associations et de tous ceux qui avaient un rôle à jouer. Nous avons remis un rapport d’information de plus de 600 pages, que la commission des lois a bien voulu adopter à l’unanimité.

Après quoi, nous avons déposé ensemble une proposition de loi que nous avons travaillée avec le président de la commission des lois – il s’agissait alors de Jean-Jacques Urvoas –, et avec le soutien du garde des sceaux, d’abord Christiane Taubira, puis l’actuel.

Nous sommes parvenus à un juste équilibre. La première règle est que la prescription ne doit pas être un moyen général d’impunité. Il faut pouvoir sanctionner. La prescription doit donc être une exception, et non une manière d’échapper à sa propre responsabilité. C’est pourquoi nous avons considéré, prenant exemple sur les autres pays européens, qu’il était nécessaire d’allonger les délais, en matière de délit, de trois à six ans, et en matière de crime, de dix à vingt ans. C’était le bon sens. Avec Georges Fenech, nous avons enregistré un accord quasi global en la matière.

Se posait le problème de l’imprescriptibilité. Celle-ci n’existe que pour ce qui relève de la Shoah, du génocide, du crime contre l’humanité. Veut-on banaliser la Shoah, ce à quoi l’on arrive si l’on opte pour l’imprescriptibilité ? Certains pays l’ont admis. Nous estimons au contraire que l’imprescriptibilité doit être réservée à quelque chose d’essentiel dans la vie de l’humanité, notamment dans ce que la France a connu pendant cette période terrible. Nous nous sommes donc convaincus, avec Georges Fenech, que l’imprescriptibilité devait rester ce qu’elle est actuellement.

Nous avons envisagé, compte tenu des règles de la Cour pénale internationale, de rendre les crimes de guerre imprescriptibles. Nous y avons beaucoup réfléchi, Georges Fenech et moi-même. La garde des sceaux Christiane Taubira nous poussait dans ce sens. Nous avons constaté l’absence d’un consensus en la matière, notamment auprès des forces armées. On nous citait l’exemple du Rwanda, qui soulevait nombre de questions, car il s’agit là d’une loi d’application immédiate.

La question était difficile. En outre, il fallait définir les actes interruptifs. Nous devions aussi régler le problème de la date butoir, comme le Sénat nous en a proposé une. L’affaire était si complexe que le président de la commission des lois a saisi le président de l’Assemblée nationale lui-même, lequel a saisi le Conseil d’État.

Pour la première fois au cours de cette législature, un texte d’origine parlementaire, émanant de la commission des lois, a été soumis au contrôle, à l’accueil et au conseil de la haute juridiction.

Avec Georges Fenech, nous avons été entendus pendant dix-sept heures par le Conseil d’État, qui honore le système judiciaire français et le système de conseil de notre gouvernement ainsi que de l’Assemblée nationale. Le Conseil d’État a rédigé un rapport de plus de dix-neuf pages, faisant droit à ce que nous prévoyions et appelant notre attention sur le problème complexe de la sous-prescription, lorsque l’action publique est engagée. Le procureur général près la Cour de cassation, M. Marin, tenait à ce que, sans l’éteindre, nous restreignions la nouvelle prescription à trois ans. Le Conseil d’État nous a mis en garde. Nous avons finalement renoncé.

Nous sommes donc revenus devant la commission des lois de l’Assemblée nationale puis en séance publique. Notre texte a été voté à l’unanimité, y compris pour les dispositions concernant la délinquance sexuelle. Fallait-il porter le délai de prescription de vingt à trente ans ? Fallait-il opter pour l’imprescriptibilité ? Cette dernière ne me semblait pas envisageable.

Nous nous en sommes tenus à la règle des vingt ans, plutôt que d’envisager un délai spécifique de trente ans, auquel cas, dossier par dossier, il aurait fallu rediscuter de toutes les prescriptions. Or nous voulions simplifier et parvenir à des règles générales.

Tout semblait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes. Nous pensions que le Sénat adopterait le texte à l’unanimité, mais celui-ci a voulu tout rediscuter – ce qui est son droit.

Pour parvenir à un accord entre son texte et le nôtre, nous avons demandé l’arbitrage du garde des sceaux lui-même, qui a joué le rôle de facilitateur. Nous avons trouvé, à la Chancellerie, un texte global retenant l’ensemble des propositions faites par chaque chambre.

Le problème du délai butoir était très important, puisqu’on risquait d’aboutir à une imprescriptibilité de fait, une fois qu’une procédure était lancée. Le Sénat avait fixé ce délai à douze ans pour les délits et, pour les crimes, à vingt ans.

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