Intervention de l'ambassadeur Emmanuel Bonne

Réunion du 14 décembre 2016 à 10h00
Commission des affaires étrangères

l'ambassadeur Emmanuel Bonne :

La présidence du Liban est restée vacante pendant 2,5 ans parce que le parlement a été bloqué par ceux-là même qui voulaient l'élection du général Aoun. Faute de quorum, les députés n'ont pas pu voter jusqu'à ce que M. Saad Hariri décide d'apporter ses voix à Michel Aoun pour la simple et bonne raison qu'il n'avait pas d'autre option, comme l'impossibilité d'élire un président de consensus ou même un autre candidat issu du 8 Mars, en l'occurrence Sleiman Frangié, l'ont montré. En apportant ses voix à Michel Aoun, M. Saad Hariri a obtenu ce qu'il demandait, c'est à dire sa nomination à la présidence du conseil des ministres. Et il faut dire que leur entente offre aujourd'hui une opportunité de restaurer le fonctionnement normal des institutions, ce qui est bien l'intérêt commun des Libanais et le plus important dans cette affaire.

M. Saad Hariri s'est assuré que les Saoudiens pouvaient accepter l'élection de Michel Aoun. Ils lui ont donné leur feu vert en dépit de leur prévention à son égard et de la méfiance que leur inspire son alliance avec le Hezbollah. Je ne crois pas que l'Arabie ait ainsi cédé à l'Iran et se soit résignée à perdre le Liban. Je crois au contraire qu'elle a accepté l'idée que Michel Aoun pourrait s'entendre avec Saad Hariri pour modérer l'influence du Hezbollah au Liban. Il est d'ailleurs remarquable que le roi Salman ait appelé Michel Aoun pour le féliciter de son élection et ait dépêché le gouverneur de La Mecque, le prince Khaled Al Faysal, à Beyrouth pour lui transmettre une invitation en Arabie. Il n'est pas moins remarquable que le président Aoun ait signalé son intention d'y effectuer sa première visite à l'étranger, sans doute en janvier 2017, sans que cela suscite de polémique au Liban. Pour autant, l'Arabie n'a pas décidé -en tout cas pas encore - de réinvestir au Liban. Sans doute attend-t-elle de voir comment la situation évolue. Et elle sait aussi que les rapports de force n'ont pas changé après l'élection de Michel Aoun. Le Hezbollah reste dominant. C'est un fait. Mais il y a clairement une tentative de l'Arabie et d'autres pays - le Qatar, l'Egypte et la Jordanie ont aussi invité Michel Aoun - de « garder le Liban dans le camp arabe" comme disent les adversaires de l'Iran.

Les Libanais ont collectivement intérêt à équilibrer leurs relations avec l'Arabie et l'Iran. Ils ne peuvent être dans le camp de l'un ou de l'autre sans prendre de graves risques compte tenu de leurs divisions internes. Y parviendront-ils ? On le verra au cours des prochaines semaines. Comme le souligne Saad Hariri avec humour, il n'y a qu'au Liban que sunnites et chiites dialoguent aujourd'hui. Chaque semaine, les représentants du Courant du futur rencontrent ceux du Hezbollah, non pas pour se mettre d'accord sur tout mais pour réduire les tensions et préserver l'essentiel : sécurité et stabilité.

S'agissant des réfugiés, le chiffre de 1,2 million reste une estimation. Jusqu'à ce que le gouvernement libanais lui demande de ne plus les enregistrer à l'été 2015, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) en avait recensé un million. La plupart sont des gens très modestes - souvent des ouvriers qui travaillaient au Liban avant la guerre et y ont fait venir leur famille puis se sont dispersés sur l'ensemble du territoire. Il y a moins d'arrivées à présent mais le HCR ne constate encore aucun retour en Syrie où rien n'est prévu pour prendre en charge les réfugiés, où ceux-ci craignent pour leur sécurité et où ils ne sont pas nécessairement bienvenus. Les réfugiés sont aujourd'hui très vulnérables au Liban, sans ressources et très dépendants de l'aide internationale comme des conditions que leur offrent des communautés d'accueil, qui sont elles-mêmes souvent pauvres et en difficulté.

L'économie libanaise souffre. Un effort de relance est indispensable. Avant la guerre en Syrie, la croissance du produit intérieur brut (PIB) était de presque 10 % par an, alimentée notamment par le secteur immobilier et le tourisme. Et il y avait aussi une petite production agricole et industrielle qui pouvait être exportée par la Syrie, vers le Golfe, l'Egypte et la Turquie. La fermeture des frontières et l'hésitation des touristes du Golfe à venir au Liban ont aggravé la crise économique. Les piliers de l'économie restent néanmoins les mêmes. Le président Poniatowski les a mentionnés : la banque, le tourisme… Si les transferts d'argent sont en diminution du fait notamment de difficultés économiques liées à la chute des cours du pétrole dans le Golfe et en Afrique, le secteur bancaire libanais demeure solide car les Libanais de l'étranger lui font confiance. En poste depuis 20 ans, le gouverneur de la Banque du Liban, M. Riad Salamé, pratique une ingénierie financière qui lui permet de maintenir l'édifice. Sa recette est assez simple et consiste dans le versement d'intérêts élevés : les dépôts sont rémunérés à hauteur de 6 ou 7 % et sont attractifs pour la diaspora libanaise. Mais cela a un coût important et il faudra bien que le pays trouve enfin des relais de croissance.

Malgré une réelle fragilité économique, il y a quelques raisons d'espérer : les pays arabes du Golfe semblent pouvoir autoriser de nouveau leurs ressortissants à se rendre au Liban, le gouvernement veut relancer les travaux d'infrastructures, les entreprises se projettent déjà vers la reconstruction de la Syrie.

J'en viens au leadership de la France. Le fait que notre pays s'intéresse plus que d'autres au Liban lui permet d'agir et d'être entendu des acteurs locaux comme des pays qui ont une influence sur place. Nous jouons bel et bien un rôle de premier plan qui n'est pas contesté. Avons-nous pour autant la capacité de changer la donne avec nos seules forces ? La réponse est négative. Mais nous sommes capables de rassembler et de catalyser les efforts internationaux en faveur du Liban. Cela étant, il ne faut pas se faire d'illusions : c'est aussi une question de moyens. Or d'autres investissent aujourd'hui davantage que nous au Liban, que ce soit dans le domaine de la sécurité, du soutien humanitaire ou de l'influence culturelle. Et vous avez raison, monsieur le président, de mentionner un point très important : il y a aujourd'hui une prime aux acteurs régionaux, notamment l'Arabie Saoudite et l'Iran, qui ont chacun un agenda particulier au Liban. Mais nous gardons un statut et donc un rôle très particulier.

Le Hezbollah, comme je l'ai indiqué, est un parti dominant mais pas hégémonique. Le Hezbollah est le seul parti en armes mais ne détient pas toutes les clefs. C'est un grand acteur politique, qui représente l'essentiel des intérêts chiites dans le pays, mais ne peut contrôler seul le pays. Comme tout le monde au Liban, il a besoin d'avoir des alliés et de participer à des compromis. Toutefois, le Hezbollah est aussi une projection de la puissance iranienne au Liban et dans la région comme en témoigne son engagement militaire en Syrie. Et cela pose problème à de nombreux Libanais même si la montée des groupes jihadistes a pu en convaincre certains que le Hezbollah était en première ligne pour les défendre.

Pour ce qui est de la francophonie, elle n'est sans doute plus ce qu'elle était mais reste bien vivante. Elle fait partie de l'identité de nombreux Libanais qui y sont donc très attachés. Et je crois que cette francophonie a un bel avenir. Les étudiants libanais sont ainsi 5 000 dans notre pays. Nous restons leur première destination à l'étranger. Nous sommes par ailleurs très présents au Liban avec 41 écoles homologuées qui scolarisent 57 000 élèves. C'est considérable. A cela s'ajoutent les écoles publiques et privées – 650.000 élèves - qui suivent le programme libanais en français et que nous aidons aussi. Mais nous devons faire un effort d'imagination, renouveler l'offre française et démontrer qu'elle est pertinente pour les jeunes générations. C'est dans cet esprit que nous avons inauguré récemment notre incubateur de start-up à l'École supérieure des affaires, qui est une très belle réussite française à Beyrouth, qui permet d'attirer des étudiants de toute la région avec le soutien de la chambre de commerce et d'industrie d'Ile-de-France et de nos meilleures écoles de commerce. Grâce à cet incubateur, nous avons vérifié notre capacité à faire venir à nous de jeunes Libanais qui n'étaient pas nécessairement francophones ou francophiles par tradition et à qui nous avons pu démontrer l'opportunité de travailler avec nous. C'est très important pour l'avenir.

Bref, notre ambition doit être de poursuivre la belle histoire des relations franco-libanaise en démontrant qu'elles restent pertinentes et mutuellement avantageuses dans tous les domaines. Nous avons un acquis extraordinaire au Liban que nous avons encore les moyens de valoriser.

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