Intervention de Barbara Pompili

Réunion du 11 janvier 2017 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Barbara Pompili, secrétaire d'état chargée de la biodiversité :

Je vous remercie pour vos voeux nombreux et réitérés, et je vous adresse les miens en retour, de la manière la plus amicale et la plus écologiquement constructive !

Je vais m'efforcer de répondre à vos très nombreuses questions. Si toutefois mes réponses manquaient de précision, je vous ferai parvenir les compléments d'information nécessaires.

Mme Geneviève Gaillard, la composition du conseil d'administration de l'AFB a été, vous l'imaginez, un véritable casse-tête. Il nous fallait respecter les contraintes imposées, à juste titre, par le législateur tout en conservant à cet organe le caractère resserré que nous avions souhaité pour promouvoir un nouveau mode de gouvernance.

La présence de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage au sein de ce conseil nous a paru assez naturelle dès lors que ce grand établissement, qui s'occupe notamment de la biodiversité terrestre, sera un de deux qui sera le plus fréquemment amené à travailler avec l'AFB. L'idée d'une intégration de l'ONCFS dans l'AFB, que je soutenais, n'a pas été retenue. Quoi qu'il en soit, les missions des deux établissements se rejoignent largement, raison pour laquelle nous devons encourager les travaux en commun. La loi a du reste prévu des unités de travail communes, qui devront être mises en oeuvre intelligemment et en concertation, pourquoi pas au travers d'expérimentations. La participation de l'ONCFS au conseil d'administration permettra de créer plus facilement les synergies que nous appelons tous de nos voeux.

Quant aux gestionnaires d'espaces naturels, ils regrettent d'être trop peu représentés. Mais, dans l'esprit du législateur comme dans celui de Mme Ségolène Royal et de moi-même, le conseil d'administration doit être le lieu de décision tandis que les grands débats doivent trouvent leur place dans les comités d'orientation. Ces comités ont vocation à jouer un rôle important dans la définition des priorités de l'AFB, sous le contrôle du ministère de l'environnement. La loi a prévu trois comités, dédiés respectivement à la mer, l'eau et l'outre-mer. De nombreuses voix se sont élevées à juste titre pour déplorer l'absence de comité sur les espaces naturels. L'ordre du jour du premier conseil d'administration de l'AFB, qui doit se tenir le 19 janvier, comporte la possibilité de voter la création d'un comité « espaces naturels » dans lequel les gestionnaires de ces espaces auront toute leur place.

La compensation est un sujet important que Viviane le Dissez a évoqué également. Le décret sur les sites naturels de compensation est en cours d'examen au Conseil d'État ; d'après les premiers échos, les modifications que celui-ci demanderait porteraient exclusivement sur la forme. Le décret ne peut en tout cas remettre en cause la séquence « éviter, réduire, compenser » : les sites naturels de compensation devront respecter, pleinement et sans dérogation possible, les principes énoncés dans la loi. Pour qu'un agrément leur soit délivré, ils devront remplir des conditions précises que l'opérateur s'engagera à respecter pendant la durée de l'agrément – l'aire géographique dans laquelle doivent se trouver les projets, les habitats et espèces susceptibles de faire l'objet de mesures de compensation sur le site, les modalités de suivi du site et de la biodiversité qu'il accueille.

Le conseil scientifique de l'Agence, réuni début janvier, s'est saisi de sa propre initiative de la question de la compensation. Il est certain que nous avons besoin d'approfondir nos connaissances scientifiques afin de préciser ce que peut être la juste compensation. Les scientifiques membres de ce conseil sont très concentrés sur cette question…

La surreprésentation des hommes au sein du conseil scientifique, dont a parlé Martine Lignières-Cassou, est évidemment regrettable. Actuellement, celui-ci compte quatorze hommes et six femmes. Il nous fallait satisfaire un grand nombre d'exigences pour un petit nombre de membres : la parité, la représentation de l'outre-mer – les chercheurs dans ce domaine ne sont pas évidents à trouver –, la diversité des spécialités – nous souhaitions le plus large éventail et donner notamment toute sa place à la spécialité marine –, l'équilibre entre sciences sociales et sciences biologiques… J'espère que le conseil scientifique finira à terme par devenir paritaire : pour l'instant, nous en restons à un tiers-deux tiers… Nous tâcherons de faire mieux la prochaine fois. Nous nous sommes battus pour trouver des solutions, mais je reconnais que le résultat est insatisfaisant.

Monsieur Jean-Marie Sermier, je suis d'accord avec vous, la biodiversité est un état de fait. Mais j'ajoute qu'elle est aussi une chance tant elle est capable de nous émerveiller. Voyez comme je suis rassembleuse en ce début d'année… (Sourires.)

Vous avez parlé des agriculteurs, vous n'avez pas été le seul : Stéphane Demilly et Guillaume Chevrollier les ont également évoqués. Les agriculteurs ont à l'évidence un rôle essentiel à jouer puisque, de par leur activité, ils ont nécessairement un impact, qu'il soit négatif ou positif, sur la biodiversité. Ils comptent plusieurs représentants au conseil d'administration de l'AFB car ils doivent prendre toute leur part dans les politiques de gestion de la biodiversité dont ils sont un des acteurs principaux. D'une manière générale, on ne pourra avancer sur les questions de biodiversité qu'en agissant en étroite relation étroite avec les acteurs impliqués : les agriculteurs, mais aussi les pêcheurs, ou certains secteurs économiques tels que la pharmacie ou le tourisme. Je ne crois pas aux instructions venues d'en haut. Je crois beaucoup au travail qui réunit tout le monde autour de la table, quitte à ce que ce soit un peu musclé au début.

Les agriculteurs sont confrontés à de lourdes difficultés, nous en sommes tous très conscients. Nous mettons en oeuvre des politiques pour leur venir en aide. Les agriculteurs que j'ai rencontrés lors de mes déplacements sont intéressés par la biodiversité et désireux de discuter des solutions pour sortir de leurs difficultés. Nombre d'entre eux sont conscients que nous sommes à la fin d'un système qui ne marche plus. Nous devons pouvoir travailler ensemble pour le réinventer. Cela prendra certainement du temps : c'est la raison pour laquelle, sur les néonicotinoïdes, nous avons fixé un délai au lieu d'imposer une date butoir, comme certains le souhaitaient. On ne peut réussir qu'en accompagnant une profession qui a besoin de l'être.

J'ai rencontré Maria Helena Semedo, directrice générale adjointe de la FAO, à Cancún. Notre échange a été très enrichissant. Elle partage le discours que je viens de tenir. J'espère que le travail que nous avons commencé à mettre en place ensemble fera avancer les choses.

Quant à M. François Fillon, je ne pense pas l'avoir entendu s'exprimer sur le fonds de roulement de l'ONEMA. En revanche, il disait vouloir placer cet organisme sous la responsabilité du ministère de l'agriculture. C'est à cette position que je faisais allusion.

Monsieur Stéphane Demilly, j'en conviens, la communication autour de la COP13 a été insuffisante. La prise de conscience, de la part des populations et des décideurs politiques, est le véritable moteur. C'est vrai pour le climat – la Chine commence à bouger depuis qu'elle est confrontée à des pics de pollution terribles et à leurs conséquences sur son développement économique et social. Or, la prise de conscience sur la biodiversité est difficile à susciter en raison, d'une part, d'enjeux qui ne sont pas très visibles, et, d'autre part, de la croyance persistante, en voyant les brins d'herbe repousser sur le bitume d'une route non entretenue, que la nature réussira toujours à reprendre le dessus. Cette croyance n'est pas complètement erronée ; notre planète continuera à s'en sortir un certain temps mais la question est de savoir si les espèces, dont la nôtre, qui la peuplent s'en sortiront de la même manière. La première mission de l'AFB est de contribuer à cette prise de conscience, de participer à l'éducation à l'environnement. Nous devons tous nous y mettre, y compris au niveau international.

Je ne crois pas que les mesures obligatoires au niveau international puissent être efficaces. On a vu par le passé qu'elles ont pour seul résultat le retrait du processus de certains pays. La COP21 n'a pas donné lieu à des engagements « obligatoires ». Les pays ont d'eux-mêmes pris des engageants qu'ils ont accepté de réviser périodiquement. Ils le feront car ils sont soumis à la pression des populations, au regard des autres et à l'interaction entre les pays.

Nous devons emprunter le même chemin en matière de biodiversité. Il faut une prise de conscience internationale. À nous de prendre notre bâton de pèlerin, chacun à notre niveau, pour la développer. Les voeux sont une très bonne occasion de le faire ; j'ai pu m'en rendre compte sur le terrain.

Sur les financements de la COP13, je le répète : sans prise de conscience, on ne pourra pas atteindre les objectifs. Je remercie Jacques Krabal pour son invitation à Château-Thierry. Je l'invite à mon tour à utiliser le portail biodiversité-en-action.gouv.fr pour mettre en valeur les actions qu'il développe dans sa ville en faveur de la biodiversité.

Je suis d'accord avec Jacques Kossowski sur la difficulté à changer de braquet. Je le répète, la prise de conscience est indispensable. La plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) a produit ses premiers travaux, notamment sur les pollinisateurs. L'apport de la science sur les pollinisateurs a permis une mobilisation citoyenne. Aujourd'hui, lorsque vous parlez de la protection des abeilles, vous êtes entendus. C'est une avancée. L'initiative européenne sur les polinisateurs n'aurait pas pu voir le jour il y a deux ou trois ans. Elle ne va pas résoudre tous les problèmes, mais le fait que les État s'engagent et s'observent mutuellement permet toujours de faire progresser les choses. Nous avons pris des décisions courageuses ; sur les néonicotinoïdes, nous savons que la mesure demande des efforts à certains secteurs économiques. On nous regarde ; si nous y arrivons, nous jouerons un rôle moteur en Europe.

Madame Viviane Le Dissez, le lien entre climat et biodiversité est une évidence. La protection des océans est assurément une priorité. La création d'aires protégées constitue un progrès en ce sens. Je citerai, parmi les dernières, la réserve des terres australes et antarctiques françaises et le parc naturel marin du cap Corse et de l'Agriate. Nous devons poursuivre nos efforts sur le personnel nécessaire pour rendre la protection de ces aires effective. La moitié des cinquante équivalents temps plein supplémentaires de l'AFB sont dédiés à ces aires protégées. En outre, des zones Natura 2000 au large seront bientôt identifiées.

Concernant l'encadrement des recherches en mer, prévu par l'article 96 de la loi sur la biodiversité, les dispositions ont été reprises en l'état par l'ordonnance du 8 décembre 2016 relative aux espaces maritimes relevant de la souveraineté ou de la juridiction de la République française. Le décret d'application a été transmis au secrétariat général du Gouvernement (SGG) qui doit l'adresser au Conseil d'État. Sur les aspects de recherche, le décret est logiquement piloté par le ministère de la recherche. Quant à votre amendement sur l'obligation d'associer une recherche sur le milieu marin à toute activité ayant un impact sur celui-ci, il est d'application directe puisque sa rédaction est suffisamment précise. Autrement dit, l'obligation d'entreprendre une activité de recherche est d'ores et déjà en vigueur et applicable.

Yves Nicolin a raison de souligner le rôle des collectivités territoriales dans les politiques de préservation de la biodiversité. Convaincue de l'importance de cette dimension territoriale, j'insiste beaucoup sur la création des agences régionales de la biodiversité. L'organe national exercera un rôle d'appui en matière d'expertise scientifique et de police ; mais les actions ne sont jamais aussi efficaces que lorsqu'elles sont menées sur les territoires, directement avec les acteurs concernés. Ce qui répond aussi aux questions de M. David Douillet sur les agences.

Je précise toutefois que ce ne sont pas seulement trois régions qui sont concernées – je me suis rendu dans trois d'entre elles mais je sais que d'autres y travaillent : en Aquitaine, PACA et Normandie, la réflexion est bien avancée. Je n'ai pas fixé de délai pour la création des agences afin de ne pas bousculer les régions, et de les laisser aller à leur rythme pour choisir les composantes de l'agence, qui pourront varier d'une région à l'autre. Encore une fois, l'objectif est de coller aux réalités du territoire. L'AFB ou les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) accompagnent évidemment chaque région dans la création des agences afin de s'assurer de la cohérence au niveau national. Les premières agences seront des modèles pour les régions qui sont encore dans une position d'attente. Je crois beaucoup à la pédagogie par l'exemple. À partir du moment où une ARB montrera son utilité et donnera satisfaction, les autres régions seront d'autant plus incitées à réfléchir à la création d'un outil analogue.

S'agissant des délais pour les grandes opérations d'aménagement, je place beaucoup d'espoirs dans l'application réelle de la séquence « éviter, réduire, compenser » les impacts sur le milieu naturel. Aujourd'hui, pour aller vite, on néglige ou on bâcle un peu « l'avant » et on aboutit à des situations de blocage – des riverains qui estiment n'avoir pas été suffisamment consultés, des associations qui mettent en avant telle ou telle espèce oubliée, etc.. Ces blocages sont une perte d'argent et d'énergie, ainsi qu'une source de frustrations et de tensions. À vouloir gagner un peu de temps au départ, on en perd beaucoup par la suite. L'appui de l'AFB aux porteurs de projets permettra de présenter un dossier mieux ficelé. Je souligne aussi le rôle de l'open data – tout le monde aura le même niveau de connaissance. L'idée est de gagner du temps en prenant le temps de préparer le projet afin d'éviter les problèmes, de faire les choses mieux, tout simplement. C'est le temps global pour mener à bien un projet qui doit compter.

Je note la proposition de Philippe Plisson d'une expérimentation en Gironde de voies réservées à des modes de transport plus doux et au covoiturage sur les axes structurants. Je reviendrai vers lui pour lui apporter des éléments précis. Ma réponse sera la même pour Gilles Savary et sa fameuse hêtraie.

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