Intervention de Jean-François Mary

Réunion du 18 janvier 2017 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Jean-François Mary, conseiller d'état :

Je suis heureux de m'exprimer devant vous ce matin et mesure l'honneur qui m'est fait de pouvoir ainsi présenter à votre approbation ma candidature aux fonctions de membre du CSA, après que le président de l'Assemblée nationale, M. Claude Bartolone, vous a proposé mon nom. Je mesure aussi le degré de rigueur personnelle qui s'attache, pour chaque membre du CSA, à l'exercice de ces fonctions, qui touchent à l'indépendance de la télévision et de la radio, et à l'existence d'une instance de régulation indépendante dans les temps difficiles que traverse notre pays.

J'exposerai d'abord quelles ont été mes activités professionnelles. Je vous dirai ensuite l'état d'esprit dans lequel j'envisage cette candidature. J'achèverai mon propos par quelques observations sur le rôle qui me semble devoir être imparti, en France, à une telle instance, sans prétendre épuiser le sujet.

Quel a été mon itinéraire ? En février 1995, j'ai eu la grande chance d'être nommé au tour extérieur maître des requêtes au Conseil d'État, maison que je n'ai plus quittée depuis ce jour. J'ai été rapporteur, puis assesseur dans différentes chambres de la section du contentieux. À la sixième chambre, j'ai participé avec mes collègues à l'instruction et au jugement d'affaires de nature diverse : affaires d'urbanisme et d'environnement ; affaires liées aux actes disciplinaires des ordres professionnels des professions judiciaires, ainsi que de l'Autorité des marchés financiers (AMF) pour les professionnels dits réglementés ; affaires liées à la carrière des magistrats ou à la condition des détenus. Dans des affectations antérieures, j'avais eu à connaître d'affaires liées au contentieux des décisions prises par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), par la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) et par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP). Une telle diversité de sujets peut surprendre, mais elle correspond au mode d'organisation et de répartition des affaires au sein du Conseil d'État.

Précédemment, j'étais entré en 1985, en tant que directeur administratif et des relations sociales, au groupe AGEFI-La Vie française, qui éditait des journaux économiques et financiers tels que La Tribune de l'économie, La Vie française et L'Agence économique et financière, qui se sont transformés ou ont disparu depuis lors. À l'époque, le groupe occupait une place importante dans le secteur de la presse financière. Mon travail consistait à appliquer le droit du travail et le droit de la presse. J'ai pu observer alors, à l'intérieur d'une entreprise, les relations qui pouvaient exister entre un éditeur de presse et les journalistes, ainsi que l'univers particulier des ouvriers du livre parisiens. Ensuite, j'ai exercé des fonctions davantage liées à la communication publique : j'ai été, de 1991 à 1993, chef du Service d'information et de diffusion (SID) du Premier ministre, devenu Service d'information du Gouvernement (SIG), puis, de 1993 à 1995, chef du service de presse de la présidence de la République.

Dans quel état d'esprit j'aborde cette candidature ? Toute personne qui examine les compétences du CSA constate que le législateur lui a confié, au fil des années, pour la télévision comme pour la radio, la sauvegarde de principes et de valeurs aussi fondamentaux et variés que le pluralisme des idées et des opinions, la protection de l'enfance et de la jeunesse, la dignité de la personne humaine, la diversité, l'égalité entre les femmes et les hommes, la défense de la langue française, etc. Cette énumération m'incite à une grande modestie lorsque je songe à la manière dont je pourrai exercer ces fonctions si vous approuvez ma candidature.

La première réflexion qui me vient à l'esprit est la suivante : compte tenu de la nature des fonctions que j'ai exercées et exerce actuellement au Conseil d'État, la pratique de la collégialité, l'habitude du secret le plus absolu de l'instruction et du délibéré et l'attention portée au choix des termes juridiques peuvent être utiles au CSA. J'ai acquis une certaine expérience en la matière pendant près de vingt ans.

Seconde réflexion : les missions extérieures qui m'ont été confiées pendant cette période ont porté, ainsi que le président l'a rappelé, sur les secteurs de la presse écrite, de la radio et du cinéma, l'une d'entre elles étant le contrôle des films au regard de la protection des mineurs. Ces différentes missions m'ont apporté une certaine connaissance du monde des médias, certes plutôt de la presse écrite et du cinéma, mais je crois que les points communs entre ces différents secteurs sont suffisamment nombreux pour que l'on puisse passer de l'un à l'autre.

Je préside actuellement la Commission paritaire des publications et agences de presse. J'ai présidé auparavant le fonds de soutien à l'expression radiophonique et le fonds d'aide à la modernisation de la presse, devenu ultérieurement le fonds stratégique pour le développement de la presse – son rôle a alors évolué et ses compétences ont été étendues. Le Parlement suit attentivement l'activité de ces organismes, et j'ai été auditionné à deux ou trois reprises à ce titre par certains d'entre vous.

Je retiens de ces expériences que le Parlement et les gouvernements successifs ont toujours cherché à faire évoluer le régime des aides de l'État à la presse, notamment pour tenir compte de l'importance croissante de la presse en ligne par rapport à la presse imprimée. J'en garde l'idée que l'intervention de l'État peut être bénéfique si elle parvient à poursuivre des objectifs précis et déterminés qui répondent bien aux besoins des entreprises de presse. C'est une nécessité évidente, mais c'est une tâche assez difficile car ces besoins varient considérablement selon les catégories de presse, au-delà de la simple distinction entre presse en ligne et presse imprimée. J'ai pu notamment le mesurer lorsque j'ai rédigé un rapport sur la notion d' « information politique et générale ». Il s'agissait de savoir si cette notion avait encore un sens avec le développement de la presse en ligne par rapport à la presse imprimée, sachant que le régime des aides favorise plus particulièrement les organes d'information politique et générale.

Je préside aussi la Commission de classification des oeuvres cinématographiques, qui intervient dans l'application d'un régime de police spéciale. La projection d'un film dans une salle de cinéma est, vous le savez, la seule activité culturelle pour laquelle le ministre délivre des autorisations préalables, après avis de ladite commission, qui associe des acteurs très divers : professionnels, fonctionnaires, experts, représentants de la jeunesse, de l'Union nationale des associations familiales (UNAF) et de l'Association des maires de France (AMF).

Ces différentes missions m'ont permis de mieux comprendre sur quelles constantes étaient fondés les mécanismes d'intervention de l'État à l'égard des médias, et comment les mettre en oeuvre dans le cadre de commissions où chaque partie doit pouvoir exprimer son point de vue sereinement, avant que les éventuels désaccords soient tranchés par un vote.

Quelles sont, enfin, les perspectives pour une instance de régulation audiovisuelle telle que le CSA dans la période qui s'ouvre ? Je ferai, à titre personnel, quelques remarques qui sont loin de prétendre à l'exhaustivité.

Ce n'est pas à vous que je rappellerai que, à la télévision et à la radio, tout est en permanence remis en question par une série de facteurs : les progrès fulgurants du numérique, les phénomènes de convergence, les rapprochements et les fusions, la multiplication des écrans, mais aussi le changement profond de la manière dont les Français, à commencer par les plus jeunes, regardent la télévision. De ce fait et en raison de la multiplication des nouveaux appareils – téléviseurs connectés à internet, téléphones « intelligents », tablettes –, la proportion des images régulées ne cesse de diminuer au profit des images non régulées venant de France et, plus encore, de l'étranger. Il faut bien en être conscient.

La logique d'internet repose sur l'idée, probablement illusoire, que les individus sont censés jouir d'une forme d'hyper-liberté face à une hyper-abondance d'images et de sons. Je dis illusoire, car on peut nourrir des doutes sérieux quant à la justesse de cette thèse, compte tenu du rôle croissant de ce qu'on appelle les « algorithmes de recommandation ».

La législation de l'audiovisuel repose, pour sa part, sur une autre logique : en vertu de la loi, les fréquences hertziennes sont un bien public ; et, si la loi prévoit que l'attribution de ces fréquences aux opérateurs est gratuite, cela doit s'accompagner d'engagements de la part de ces derniers. Ainsi, le soutien à la création audiovisuelle, qui se fait par le biais des engagements de production et des quotas de diffusion, a pour vocation d'orienter l'offre d'images de télévision dans un sens qui ne correspond peut-être pas toujours au choix spontané des téléspectateurs, mais que l'on peut estimer conforme à l'intérêt général. Cette politique produit des résultats que l'on peut apprécier de manière très variable, mais on note quelques signes encourageants, notamment un renouveau des fictions françaises.

Ce qui est sûr, c'est qu'il faut toujours respecter l'équilibre entre l'accès gratuit au domaine public et le poids de ces engagements, tout en permettant aux entreprises de prospérer et de se développer, qu'il s'agisse de la télévision ou de la radio. Veiller à cet équilibre est une tâche difficile, presque une gageure, pour le CSA. En tout cas, nul ne songe dans notre pays à revenir en arrière par rapport aux exigences que le législateur a fixées et auxquels doit se soumettre l'audiovisuel tant public que privé.

Parmi les autres contreparties auxquelles sont soumis les opérateurs figure la qualité des programmes. Sur ce sujet, je m'en tiendrai à quelques remarques brèves et simples.

Il faut, selon moi, partir du constat que la télévision numérique terrestre (TNT), dont la réussite technique a été saluée de manière unanime, est aujourd'hui encore le mode de diffusion principal de la télévision. La TNT a considérablement élargi l'offre de chaînes gratuites pour un large public. Cela a nécessairement eu un effet sur la qualité de l'ensemble des chaînes et de chaque chaîne. Cependant, la diversité des chaînes n'épuise pas, loin de là, la question de la qualité ; elle n'est pas une réponse suffisante.

Le rôle du CSA est important en la matière : sur le fondement d'un suivi des programmes, qui représente un ensemble d'actions assez lourdes, il veille au respect des engagements pris par les sociétés de programmes ainsi que des obligations du service public. Le CSA y a ajouté des instruments nouveaux tels que les chartes conclues avec les opérateurs sur des points qui nous tiennent à coeur, par exemple l'accessibilité des programmes aux personnes souffrant d'un handicap ou la promotion d'une alimentation et d'une activité physique favorables à la santé.

Je mentionne un autre facteur qui joue un rôle largement reconnu en matière de qualité des programmes, même s'il n'est pas le seul : en France, le financement de l'audiovisuel est, de manière générale, insuffisant et, surtout, néglige les perspectives de long terme ; les groupes audiovisuels français, tant publics que privés, n'ont ni la surface financière ni la puissance de leurs homologues étrangers. Cette situation a fait l'objet de nombreux rapports.

D'autre part, en ce qui concerne l'information, les chaînes doivent respecter le pluralisme, l'honnêteté et la qualité, à la radio comme à la télévision. À cet égard, la loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias, dont le président Patrick Bloche a été le rapporteur, a donné au CSA une gamme d'instruments qui devraient lui permettre – ils n'ont pas encore été utilisés – d'éviter autant que possible des conflits comparables à celui qu'a connu une chaîne d'information en continu en décembre dernier.

Me fondant sur mon expérience à la Commission de classification des oeuvres cinématographiques, je souhaite évoquer un sujet qui me tient à coeur : la protection des mineurs et des publics fragiles. Elle revêt aujourd'hui une importance particulière à la télévision et, au-delà même du champ de compétence du CSA, sur internet. Assister à la projection d'un film dans une salle de cinéma relève d'une démarche volontaire, individuelle ou collective. Il ne faut pas pour autant, loin de là, baisser la garde en matière de restriction d'accès pour les plus jeunes. Dans le cas de la télévision, un enfant ou un adolescent peut être confronté dans une situation de pure passivité à des images qui sont de natures à heurter gravement sa sensibilité. Dans le système actuel, il appartient aux chaînes de télévision d'avoir, de leur propre chef, le souci de la protection de l'enfance et de la jeunesse, mais aussi, ne l'oublions pas, du respect de la dignité humaine. Telles sont les exigences que le législateur a fixées et dont le CSA assure le suivi. Dans le cadre de mon activité à la Commission de classification, j'ai pu apprécier l'intensité et le sérieux du travail fourni par les services du CSA en la matière. Il s'agit, à mes yeux, d'un aspect essentiel de la régulation que doit exercer une instance telle que le CSA.

De plus, la représentation de la diversité et la représentation de la femme à la télévision et à la radio font désormais l'objet, en vertu de la loi elle-même, d'engagements annuels de la part des chaînes et de clauses particulières dans les conventions. Le champ d'intervention du CSA a été élargi sur ces questions.

D'une manière générale, c'est dans le contexte économique mouvant que j'ai décrit précédemment, qui nécessite des équilibres subtils, que doivent s'appliquer, d'une part, le régime des seuils de concentration et, d'autre part, les règles du jeu entre opérateurs, notamment entre éditeurs et distributeurs en matière de numérotation des chaînes dans les offres de programmes.

La loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication a été modifiée à de nombreuses reprises. Les jugements portés sur ces ajouts successifs sont très divers, et c'est bien naturel, mais il y a, me semble-t-il, une constante : le Parlement a toujours cherché à faire évoluer la loi afin qu'elle ne soit pas en décalage avec l'évolution du paysage audiovisuel. C'est un élément très important à mes yeux.

Mes dernières remarques porteront sur la place du CSA en tant qu'autorité publique indépendante et régulateur par rapport au Gouvernement, au Parlement et aux autres autorités publiques indépendantes, notamment l'ARCEP.

Un premier élément de réponse se trouve dans le statut de l'autorité elle-même. Ce statut a été notablement renforcé par les dernières lois, notamment celle de 2013. Concernant les rapports avec le Parlement, la proposition de loi portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes, adoptée récemment, élargit les prérogatives du Parlement dans sa mission de contrôle de ces autorités, ce qui était tout à fait souhaitable. Par ailleurs, la liste de ces autorités a été, à juste titre, restreinte – je m'exprime ici à titre personnel. Dès lors que le rôle du Parlement sera ainsi renforcé, l'instance de régulation exercera l'ensemble des missions qui lui sont dévolues, tandis que le juge administratif, en l'occurrence le Conseil d'État, devra demeurer en arrière-plan. C'est sans doute cet équilibre qu'il est le plus nécessaire de trouver dans les années à venir.

S'agissant des liens avec les autres institutions, la réflexion est ouverte depuis longtemps, mais je ne saurais en dire davantage, la question relevant du législateur. Néanmoins, on peut tout à fait envisager, à textes constants, un dialogue et des coopérations entre les différentes autorités. Derrière cela se pose la question du poids respectif de la régulation juridique et de la régulation économique pour une instance telle que le CSA.

C'est au bénéfice de ces quelques observations, monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, que j'ai l'honneur de soumettre à votre commission ma candidature aux fonctions de membre du CSA.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion