Intervention de Harlem Désir

Réunion du 21 décembre 2016 à 16h30
Commission des affaires européennes

Harlem Désir, secrétaire d'état chargé des affaires européennes :

Madame la présidente, je voudrais commencer par dire toute ma compassion à l'égard du peuple allemand après l'attaque terroriste qui a frappé un marché de Noël à Berlin. J'exprime la solidarité de notre pays avec l'Allemagne comme elle avait exprimé la sienne au moment où nous avions nous aussi été touchés par des attaques terroristes. Cette solidarité se fonde sur la défense de la sécurité de nos deux pays mais aussi de leurs valeurs communes, de la liberté face à la barbarie. L'Allemagne et la France ont promu ensemble des dispositifs destinés à renforcer le contrôle des frontières, la coopération entre les services de police, de justice, de renseignement ainsi que des législations relatives à la lutte contre le trafic d'armes et le financement du terrorisme. Elles ont voulu agir ensemble au plan international contre DAECH en Irak et en Syrie. Elles n'ont cessé de faire en sorte que l'Europe se dote des outils nécessaires pour mener ce combat, un combat de longue haleine.

Vous avez rappelé les points essentiels du Conseil européen du 15 décembre, qui était une étape essentielle dans la mise en oeuvre des priorités fixées à Bratislava, qu'il s'agisse de la réponse européenne à apporter à la crise migratoire, des enjeux de sécurité et de défense européennes, auxquels la France attache une grande importance, ou encore des questions économiques, en particulier le soutien à l'investissement.

Sur la question des migrations, le Conseil européen a réaffirmé son attachement à la mise en oeuvre de l'accord passé entre l'Union européenne et la Turquie le 18 mars 2016, qui a permis une diminution très importante des arrivées sur les îles grecques et donc une réduction des naufrages dans la mer Égée et en Méditerranée orientale. Une aide a été accordée à la Grèce pour accueillir les réfugiés déjà présents sur son sol. Par ailleurs, a été mis en oeuvre un dispositif de relocalisation des réfugiés auxquels l'asile est accordé. C'est ainsi que plus de 8 000 réfugiés arrivés de Syrie – pour ce qui est de la Grèce –, d'Érythrée et d'autres pays – pour ce qui est de l'Italie – ont été accueillis dans d'autres pays de l'Union. La France a accueilli le plus grand nombre de réfugiés venus de Grèce – 2 091 personnes, soit 37 % du total – mais c'est l'Allemagne qui accueille le plus de réfugiés syriens en Europe.

L'accord entre l'Union européenne et la Turquie distingue deux cas principaux : les migrants ne relevant pas de l'asile sont renvoyés soit en Turquie, en vertu de l'accord de réadmission, soit directement dans leur pays d'origine – Afghanistan, Pakistan, pays du Maghreb ; les migrants relevant de l'asile, eux, doivent déposer une demande depuis la Turquie, via le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) ou les responsables des États membres de l'Union européenne, pour entrer ensuite dans le programme de réinstallation. Nous ne voulons pas, en effet, encourager les réfugiés à franchir les frontières de l'Union européenne illégalement et à risquer leur vie en Méditerranée avant que leur demande ne soit traitée.

L'Union européenne respecte ses engagements : elle a prévu un budget de 3 milliards d'euros pour aider la Turquie à accueillir les 2,5 millions de réfugiés syriens se trouvant sur son territoire, tout comme elle aide la Jordanie et le Liban – ce dernier pays en accueille plus d'un million. Nous savons en effet que les réfugiés syriens préfèrent rester à proximité de leur pays d'origine.

Le Conseil européen a rappelé que la Turquie avait aussi à respecter l'accord : elle doit continuer à lutter contre les passeurs illégaux qui agissent depuis son territoire. Or nous avons assisté ces dernières semaines à une augmentation des flux de migrants vers les îles grecques, de l'ordre de 200 arrivées par jour, contre moins de cent après la conclusion de l'accord, chiffres toutefois sans commune mesure avec les 2 000 à 2 500 arrivées quotidiennes observées auparavant.

Le Conseil européen a insisté sur la nécessité d'agir sur les causes profondes des migrations. En Méditerranée centrale, en raison de la situation en Libye, de l'instabilité au Sahel, mais aussi du sous-développement économique, les flux des migrations depuis l'Afrique continuent d'être très élevés. Parallèlement à l'opération EU Navfor Med, dite opération Sophia, destinée à lutter contre le trafic d'êtres humains et le trafic d'armes qui alimente les factions armées en Libye, l'Union européenne doit soutenir les pays d'origine ou de transit en Afrique. Cinq pays prioritaires ont conclu des pactes migratoires : l'Éthiopie, le Niger, le Nigéria, le Mali et le Sénégal. Le premier à être mis en oeuvre est le pacte avec le Mali. La Haute Représentante de l'Union européenne pour les affaires étrangères, Mme Federica Mogherini, en a présenté un premier bilan.

Il est évident qu'il faudra davantage de recul pour mesurer l'efficacité du dispositif, qui vise à conforter les politiques de développement et de lutte contre la pauvreté en ciblant certains secteurs économiques porteurs – agriculture, pêche, industries – créateurs d'emplois, notamment pour les jeunes.

Une aide est également apportée au titre du contrôle et de la sécurisation des frontières, traversées par des réseaux de passeurs. La ville d'Agadès, par exemple, au nord du Niger, est un point de passage important des migrations provenant d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique de l'Est en direction de la Libye.

Un débat a eu lieu sur l'extension éventuelle de ces pactes à de nouveaux pays comme l'Égypte, l'Afghanistan ou le Pakistan. Il a été décidé qu'elle ne pourrait être envisagée qu'à la lumière des résultats concrets des premiers partenariats et en tenant compte des possibilités financières de l'Union.

Au titre de cette action en profondeur, dans le prolongement des décisions prises à La Valette, le Conseil européen a également appelé à l'adoption rapide des mesures nécessaires à la mise en oeuvre de l'accord intervenu sur le Fonds européen de développement (FED) ainsi que sur le mandat externe de la Banque européenne d'investissement (BEI). Il s'agit en quelque sorte d'un plan Juncker externe, destiné à accompagner des projets de développement économique et d'investissement en Afrique afin d'agir à la source pour traiter le problème des migrations.

Le deuxième grand sujet à l'ordre du jour du Conseil européen était la politique de défense commune et les questions de sécurité.

Notre conviction, que nous voulons depuis longtemps faire partager à nos partenaires, est que l'Europe doit se donner les moyens d'assurer davantage sa propre sécurité car personne ne s'occupera de la sécurité des Européens à leur place.

Comme la plupart des pays de l'Union européenne, nous sommes membres de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), cadre de notre sécurité collective. Toutefois, nous le constatons, nombre des crises se situant aux frontières de l'Union européenne ne peuvent être traitées par cette organisation. Pensons à la Libye, ou encore au Mali où nous sommes intervenus non seulement pour aider un pays ami, mais aussi parce qu'il y avait un enjeu de sécurité pour la France et l'Europe. Beaucoup d'autres pays européens participent aujourd'hui à la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), à la mission de formation de l'armée malienne de l'Union européenne (EUTM), ainsi qu'à des missions en République centrafricaine.

Il faut que l'Europe se dote davantage d'outils de coopération, d'interopérabilité de ses systèmes de défense, de financement, de soutien de sa base industrielle de défense en vue d'assurer son autonomie stratégique, premier thème qui a été mis en avant. Il est au coeur de la stratégie globale pour la politique étrangère et de sécurité de l'Union européenne que Mme Mogherini a détaillée en juin dernier dans un document intitulé Vision partagée, action commune : Une Europe plus forte.

Les pays membres de l'Union européenne doivent être capables d'organiser, si cela est nécessaire, des opérations extérieures, de produire les équipements dont l'Europe a besoin, de mettre en oeuvre des capacités fondées sur l'interopérabilité, d'investir ensemble dans la recherche et le développement pour ne pas être dépendants des innovations des autres – citons la cyberdéfense, les drones de surveillance ou encore les moyens de transport.

Les travaux menés préalablement par nos ministres de la défense, en particulier sous l'impulsion de Jean-Yves Le Drian et d'Ursula von der Leyen, avaient conduit les ministres des affaires étrangères et de la défense de l'Union européenne à adopter le 14 novembre dernier, au cours d'une réunion conjointe, une série de décisions communes concrètes dans tous ces domaines. Nous sommes très satisfaits qu'ils aient été repris par le dernier Conseil européen. Celui-ci a également apporté son soutien au plan d'action européen de la défense adopté à la fin du mois de novembre par la Commission européenne, qui propose la création d'un Fonds européen de la défense.

Il a été décidé qu'un effort serait consacré à la recherche et à la technologie grâce à un financement prévu pour l'action préparatoire à la recherche de défense dès 2017. Par ailleurs, un programme spécifique à la recherche et technologie de défense sera lancé après 2020. La Commission devra proposer un Fonds européen qui visera à faciliter le développement en commun de capacités de défense. Le Conseil européen a également encouragé la BEI à élargir ses politiques de prêts au secteur de la défense, ce que son mandat actuel ne l'autorise pas à faire. Cette évolution est d'ailleurs encore en débat parmi les États membres.

En outre, le Conseil européen a insisté sur une meilleure organisation des opérations militaires communes extérieures. Il s'agit de développer le mécanisme de financement Athena, mais surtout de mettre en place une capacité permanente de planification et de conduite des missions et opérations. Nous nous dirigeons vers la mise en place d'un état-major européen même si le mot n'est pas employé. Il devra être à même d'évaluer les menaces qui peuvent justifier le déclenchement d'une opération militaire commune et de déterminer les capacités que chacun des États membres est prêt à mettre à disposition. Nous ne serons plus dans le schéma où un État membre prend l'initiative de lancer une opération appuyée dans un deuxième temps par les autres États membres.

Le Conseil européen souhaite également réfléchir à une meilleure utilisation des groupements tactiques de l'Union européenne. Ces battlegroups reposent sur un principe simple – les États membres assurent à tour de rôle, par groupe, une permanence pour que l'Union européenne se tienne prête à projeter des forces – mais ils n'ont jamais été utilisés. Il faut chercher à comprendre les raisons de cette situation. Elles sont sans doute politiques : les États membres n'étaient peut-être pas tous suffisamment mûrs pour une telle coopération. Elles sont également techniques : le fait que ces groupements soient fondés uniquement sur l'armée de terre ne correspond pas à la réalité des opérations, qui mobilisent également l'armée de l'air, la marine et les forces spéciales.

Enfin, le Conseil européen a retenu une méthode : les chefs d'État et de gouvernement se réuniront régulièrement pour évaluer les principales menaces auxquelles l'Union fait face – conflits armés, terrorisme, trafics illicites, déstabilisation numérique, risques de prolifération – et fixer les grandes priorités stratégiques. Il ne faudra plus attendre trois ans pour que les questions de défense soient à nouveau abordées, comme cela a été le cas entre le Conseil européen de 2013 et le dernier Conseil.

Par ailleurs, il a été décidé que les ministres de la défense mèneront une fois par an une revue de défense de façon à déterminer les capacités, les manques, les besoins en matière d'interopérabilité. C'est ce que nous avons appelé le « semestre européen de défense », analogue à ce qui se fait dans la surveillance régulière de la zone euro à travers le contrôle de la réalisation des objectifs État par État.

La défense étant considérée comme une responsabilité collective qui réclame d'investir davantage en commun dans les technologies, les équipements et les capacités industrielles, il a été rappelé que l'effort financier devait être mieux partagé. Aujourd'hui, il existe des écarts considérables allant du simple au double au sein des États membres. L'objectif de 2 % du produit intérieur brut (PIB), établi pour l'OTAN et que la France s'est elle-même fixé, a été mis en avant. Il a été souligné que ce nécessaire renforcement du pilier européen restait compatible avec nos obligations au sein de l'OTAN.

S'agissant des enjeux de sécurité intérieure, les événements tragiques de Berlin rappellent la nécessité d'assurer la mise en oeuvre des décisions prises. La directive relative aux données des dossiers passagers, dite directive « PNR », a enfin été adoptée, il importe maintenant qu'elle soit appliquée le plus rapidement possible. Le renforcement des contrôles aux frontières extérieures de l'Union comprend un ensemble de mesures, regroupées au sein du paquet « Frontières intelligentes », notamment un contrôle électronique des entrées et des sorties qui doit lui aussi être mis en oeuvre le plus rapidement possible. Au mois de mars, sera rendu un rapport au Conseil européen sur les avancées réalisées et les éventuelles nouvelles orientations stratégiques. Les actes terroristes ne font que renforcer l'urgence de l'adoption de toutes les législations susceptibles de contribuer à la sécurité de l'Union européenne, en particulier de l'espace Schengen.

En matière économique, l'accent a été mis sur l'amplification du plan d'investissement, dit « plan Juncker ». Le Conseil européen s'est félicité de l'accord obtenu sur sa prolongation à trois années supplémentaires et son extension de 315 à 500 milliards d'euros, avec tout ce que cela suppose de garanties supplémentaires prises sur le budget de l'Union, de nouveaux mandats donnés à la Banque européenne d'investissement. La France est l'un des premiers pays bénéficiaires du plan Juncker, tant en nombre de projets qu'en volume d'investissements : une cinquantaine de gros projets et des milliers de projets portés par des petites et moyennes entreprises ont pu, par l'intermédiaire de Bpifrance et d'autres réseaux bancaires, bénéficier de prêts à taux très avantageux.

Quant à la garantie pour la jeunesse, il a été décidé d'étendre son financement sur une plus longue période. Ce dispositif, dont le succès est fort en France et moindre dans d'autres pays, est très utile pour aider au retour à l'emploi des jeunes.

J'en viens aux relations extérieures.

S'agissant de l'Ukraine, le président Hollande et la Chancelière allemande ont rendu compte de l'avancement de la mise en oeuvre des accords de Minsk, discutés selon le format « Normandie » avec le président Poutine et le président Porochenko. L'intensité du conflit a diminué mais ces accords sont insuffisamment mis en oeuvre. Les sanctions ont donc été reconduites pour une durée de six mois et leur levée sera liée à la mise en oeuvre par les Russes des engagements qui leur reviennent. De la même manière, il a été rappelé à l'Ukraine qu'elle devait respecter sa propre part.

En Syrie, le drame vécu par les populations civiles d'Alep a été au coeur des préoccupations du Conseil européen, qui a soutenu la proposition française visant à ce que le Conseil de sécurité des Nations unies adopte une résolution afin d'évacuer les populations, et de protéger les hôpitaux, les opérations sanitaires et les personnels de santé. La détermination de la France, soutenue par le Conseil européen, a permis que le Conseil de sécurité adopte une résolution à l'unanimité après que certains de ses membres, parmi lesquels on compte la Russie, ont levé leur veto. Elle a déjà permis l'évacuation d'une grande partie de la population d'Alep, même s'il reste encore des habitants sur place. Il faut maintenant que les observateurs des Nations unies, qui ont commencé à accéder à Alep-Ouest, puissent faire leur travail et que toute la population soit secourue.

Le Conseil européen a rappelé qu'il n'y avait de solution que politique à la crise syrienne, et que les négociations devaient être menées dans le cadre de la résolution 2254 du Conseil de sécurité, sous l'égide des Nations unies.

Par ailleurs, les Vingt-Sept se sont réunis à l'issue du Conseil européen, sans la Première ministre britannique, pour adopter la méthode des négociations qui s'ouvriront dès que le Royaume-Uni aura demandé la mise en oeuvre de l'article 50 du traité sur l'Union européenne.

Dès que l'article 50 sera activé, conformément au traité, le Conseil européen devra adopter des orientations définissant le cadre des négociations et établissant les positions de l'Union européenne. À la suite d'une recommandation de la Commission européenne, le Conseil adoptera la décision autorisant l'ouverture des négociations. Il adoptera également des directives de négociation sur le contenu ainsi que sur les modalités détaillées régissant les relations entre le Conseil et ses instances préparatoires, d'une part, et le négociateur de l'Union, d'autre part. Un accord est intervenu sur le fait que la Commission européenne sera le négociateur unique de l'Union. Cette dernière devrait désigner M. Michel Barnier, qui a commencé à préparer ces négociations. Compte tenu de leur particularité, le Conseil devra être tenu informé à chaque étape des discussions : il n'est pas question, comme cela se pratique pour négocier un traité de libre-échange, par exemple, de confier un mandat aux négociateurs et de ne pas intervenir en attendant le résultat final. À chaque étape, les Vingt-Sept devront être associés à l'ensemble de la négociation. Le Parlement européen sera dûment informé de leur évolution par la Commission.

En abordant ces sujets, les Vingt-Sept ont voulu que l'Union soit prête dès le moment ou le Royaume-Uni notifiera son intention de mettre en oeuvre l'article 50. Ils veulent être immédiatement en mesure d'adopter des directives de négociation pour les transmettre aussitôt à la Commission. Nous souhaitons que tout cela aille vite ! L'article 50 stipule que la sortie de l'Union a lieu, au plus tard, deux ans après la notification de la décision de retrait, mais, pour que le Royaume-Uni ait véritablement quitté l'Union européenne dans ce délai, la négociation devra être achevée en quinze mois. En effet, il faut ensuite le temps que les diverses décisions soient adoptées par le Conseil, par le Parlement européen…

Nous souhaitons, en tout état de cause, que le Royaume-Uni soit sorti de l'Union en 2019, année durant laquelle doit avoir lieu le renouvellement de la Commission européenne et du Parlement européen. Les Vingt-Sept doivent donc être parfaitement au clair entre eux sur les principes de la négociation, en particulier sur la négociation unique : le Royaume-Uni ne pourra négocier séparément avec un ou plusieurs États membres en tentant de jouer sur les intérêts différenciés des uns et des autres. Il y a là un véritable enjeu en termes de cohésion de l'Union et de préservation des intérêts communs. S'appliquera également le principe que j'ai déjà évoqué selon lequel un États tiers ne pourra pas avoir une situation plus favorable qu'un État membre, que ce soit dans ses relations avec l'Union ou avec un État membre.

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