Intervention de Harlem Désir

Réunion du 21 décembre 2016 à 16h30
Commission des affaires européennes

Harlem Désir, secrétaire d'état chargé des affaires européennes :

La résolution préparée à l'Assemblée nationale sur l'Europe de la défense, monsieur Pueyo, ainsi que toutes les initiatives franco-allemandes en la matière ont beaucoup contribué au débat qui s'est déroulé ces deux dernières années et a conduit à la prise de conscience de nos partenaires quant à la nécessité de mieux organiser l'Europe en matière de défense. Cette évolution est très sensible en Allemagne. Pierre Lequiller l'a ressentie au congrès du parti de la Chancelière ; j'ai moi-même eu l'occasion de la constater à de nombreuses reprises, lors de rencontres au Bundestag ou encore lors de la conférence sur la sécurité qui se tient chaque année à Berlin et à laquelle j'ai participé cette année pour la seconde fois. Je constate un rapprochement substantiel de nos positions.

L'Allemagne a déjà été frappée par des attentats terroristes cet été et ce qui se passe en Syrie a un lien direct avec la crise des réfugiés dans ce pays. La réponse à notre sollicitation après les attentats de novembre 2015 et à notre invocation de l'article 42-7 a été un mouvement de solidarité très fort de la Chancelière et du Bundestag pour nous venir en aide, à la fois au Sahel et au sein de la coalition en Irak et en Syrie. Tout cela a fait que nous avons pu, à ce Conseil européen, prendre des décisions, auxquelles se sont associés les pays d'Europe centrale et les pays baltes, très préoccupés par l'évolution de la menace sécuritaire à l'est du continent du fait de la crise ukrainienne, de l'annexion de la Crimée, du soutien aux séparatistes ukrainiens dans le Donbass, et de toute l'activité du grand voisin russe en mer Baltique.

Il fallait transformer cette prise de conscience en une prise de responsabilité collective des Européens, en établissant bien que cela ne duplique ni ne contredit nos engagements au sein de l'OTAN. Cela a été explicitement débattu et c'est mentionné dans les conclusions du Conseil. La déclaration commune Union européenne-OTAN adoptée à Varsovie en juillet a permis d'établir ce qui relève de chacun. Renforcer la coopération des Européens entre eux en matière de défense dans tous les domaines – évaluation des risques, capacité à financer et à mener des opérations, soutien à la base industrielle de défense – renforce aussi l'OTAN car la plupart des pays de l'OTAN sont des pays de l'Union européenne. Cela ne lui nuit donc en rien pour autant que nous respections bien sûr les procédures de cette organisation et que nous faisions en sorte que ces efforts communs soient, en particulier au plan opérationnel, compatibles avec ce qui est fait au sein de l'OTAN.

Vous avez, monsieur Richard, regretté qu'il n'y ait pas assez d'avancées vers un régime unique de l'asile. Nous avons le souci de préserver l'équilibre entre les principes de solidarité et de responsabilité. Nous avançons cependant. Nous disposons à présent d'une liste de pays d'origine sûre commune aux pays de l'Union européenne. Les systèmes de relocalisation sont également une prise en compte solidaire du fait que certains pays, en raison de leur situation géographique, sont plus exposés que d'autres à l'arrivée des demandeurs d'asile. En même temps, il faut que ces avancées soient en lien avec la sécurisation des frontières, la mise en place de hot spots, des mesures de réadmission. Certains États voudraient aller plus loin, plus vite, voudraient un système de répartition permanent ou automatique, mais cela n'a pas de sens sans mise en place du contrôle des frontières extérieures communes. Je crois que tout le monde a tiré les mêmes leçons de ce qui s'est passé pendant l'année 2015, et nous avançons progressivement vers une gestion plus commune de l'asile et des migrations. Les choses allant très vite sur la scène internationale, il existe toujours un risque qu'une Europe à vingt-sept ou à vingt-huit prenne du retard. Malgré tout, nous avons avancé.

La Turquie, vous l'avez rappelé, attend des contreparties, notamment en matière de visas, mais l'accord du mois de mars entre ce pays et l'Union européenne mentionnait que la feuille de route de libéralisation des visas devait progresser dans le respect des critères énoncés. Il en est notamment un portant sur la révision de la législation en matière de lutte contre le terrorisme. Cette législation n'a pas évolué dans le sens que nous avions demandé et les conditions pour la libéralisation des visas ne sont donc pas aujourd'hui réunies.

Nous avons un dialogue clair avec la Turquie, qui doit rester un partenaire en matière de migrations, de lutte contre le terrorisme, de règlement des grandes crises du Moyen-Orient, et notamment de la crise syrienne. Ce dialogue se mène sur la base de principes. Nous avons bien sûr exprimé notre solidarité avec la Turquie après la tentative de coup d'État du 15 juillet, car ce pays doit pouvoir lutter pour sa sécurité et sa souveraineté contre les putschistes. De même, la Turquie est confrontée au terrorisme à la fois de DAECH et du PKK. Cela n'empêche pas que nous ayons des inquiétudes, compte tenu de l'ampleur de la répression, qui a été bien au-delà des personnes en cause dans la tentative de coup d'État ou les attentats terroristes. Des universitaires, des membres du Parlement, des membres du parti HDP, des journalistes sont aujourd'hui victimes de cette répression, ont été emprisonnés ou destitués de leurs fonctions sans que cela ne puisse être justifié par une quelconque implication.

La chute d'Alep ne signifie pas la fin du drame syrien et de la guerre. Mme la présidente a rappelé qu'il existait des inquiétudes sur une autre ville, Idlib. Au plan humanitaire, la population continue d'être victime des affrontements en d'autres endroits. Sans règlement politique, la confrontation continuera. Nous avons d'ailleurs vu que le régime n'avait pas été en mesure d'empêcher la reprise de Palmyre par l'État islamique. Il a concentré ses bombardements sur l'opposition et non sur les groupes terroristes de DAECH, qui sont par ailleurs toujours à Raqqa. De notre point de vue, la situation en Syrie doit être réglée par un cadre international qui permette de lutter contre le terrorisme tout en associant les éléments de l'opposition modérée à une solution politique. Tous les partenaires internationaux doivent y contribuer. Aujourd'hui, l'approche du régime et de ses alliés, la Russie et l'Iran, n'apporte pas une solution de paix en Syrie. L'Union européenne continuera donc de prendre des initiatives pour promouvoir une solution politique avec les Nations unies.

En ce qui concerne les instruments de défense commerciale, une très importante décision a été prise la semaine dernière, qui nous permet de mettre en place des droits de douane beaucoup plus élevés qu'auparavant face à des situations de dumping. La règle du « droit moindre », qui empêchait l'Europe de porter ses droits à des taux réellement dissuasifs, a été en partie supprimée. Là où les États-Unis, membres de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), peuvent rehausser leurs droits de douane en cas de dumping reconnu, par exemple sur l'acier en provenance de Chine, jusqu'à 200 %, l'Union européenne ne relevait les siens que de l'ordre de 25 %. Les autres instruments de défense commerciale doivent aussi être ajustés. Nous voulons par ailleurs appliquer le principe de réciprocité et cela y compris vis-à-vis de grands partenaires, notamment les États-Unis. C'est l'une des raisons pour lesquelles le Président de la République a considéré, et ce depuis plusieurs mois déjà, que les conditions d'un accord sur le TTIP n'étaient pas remplies, en raison d'un déséquilibre flagrant entre l'offre européenne, en particulier l'ouverture de nos marchés de services et marchés publics, et de l'autre côté l'offre américaine, qui concernait très peu de marchés publics et en particulier ne concernait pas les marchés sub-fédéraux, c'est-à-dire l'essentiel des marchés susceptibles d'être concernés par ce traité.

Je ne crois que l'on puisse dire que la France ait été moins ferme que l'Allemagne. Lors de la dernière visite du Premier ministre Manuel Valls en Allemagne et sa rencontre avec le vice-chancelier, ministre de l'économie, Sigmar Gabriel, il a eu avec ce dernier un échange sur la façon dont l'Allemagne pouvait s'inspirer de ce que fait la France afin de protéger des investisseurs étrangers les secteurs stratégiques nationaux. Nous avons pris des mesures, par exemple pour protéger STX, trouvant une base juridique qui nous permet d'aller bien au-delà du seul secteur de la défense, alors que les dispositions en vigueur en Allemagne ne concernent que ce secteur et celui de la sécurité. L'Allemagne souhaite protéger ses entreprises, y compris des PME détentrices de brevets dans des secteurs stratégiques d'innovation, des investisseurs, notamment chinois, qui ont tendance à vouloir piller ces ressources.

S'agissant du Brexit, monsieur Premat, un débat a lieu au Royaume-Uni entre le Gouvernement et le Parlement sur la façon dont tenir compte des arrêts de la Cour, sur le calendrier de déclenchement de l'article 50 et sur le plan que la Gouvernement britannique présentera pour les négociations. Il est important que le Parlement ait accepté le calendrier sur lequel s'est engagée Theresa May vis-à-vis des vingt-sept autres États membres, à savoir le déclenchement de l'article 50 avant la fin du mois de mars. Pour le reste, nous ne souhaitons pas nous immiscer dans l'ordre interne du Royaume-Uni, mais, quelles que soient les procédures, il ne faut pas que soit entamée la clarté de la démarche de ce pays vis-à-vis de l'Union européenne.

En ce qui concerne l'Écosse et l'Irlande, là non plus nous n'avons pas à nous immiscer dans ce débat. Pour nous, il y a un État membre, le Royaume-Uni, et la négociation aura lieu avec le Royaume-Uni et non avec telle ou telle région. Nous avons bien sûr des relations avec l'Irlande, État membre, parce qu'il faut préserver l'accord du vendredi saint, mais nous ne discutons pas du Brexit avec l'Écosse. Nous recevons de manière très amicale les représentants de l'Écosse, mais nous n'entrerons pas dans une négociation qui mettrait en cause l'intégrité ou la souveraineté du Royaume-Uni.

Le « un pour un » avec la Turquie, monsieur Lequiller, fonctionne, même s'il se présente un problème en Grèce avec les comités d'appel qui traitent les recours des demandeurs d'asile syriens faisant l'objet d'une décision de reconduite en Turquie. La procédure peut prendre plusieurs mois, mais 1 187 personnes, dont 95 Syriens, ont tout de même été réadmises en Turquie dans le cadre de l'accord avec l'Union européenne. Le principal apport de cet accord, c'est que, compte tenu du fait que la Turquie a lutté plus efficacement contre les passeurs et que les réfugiés savaient qu'ils ne pourraient remonter par la route des Balkans, cela a grandement diminué le nombre de départs depuis la Turquie. En contrepartie, nous procédons à des réadmissions depuis ce pays. Je crois en réalité que nous avons fait davantage de réadmissions de réfugiés que n'y aurait conduit le « un pour un », car le système de réadmission relève de dispositions humanitaires mises en oeuvre avec le HCR.

Les accords pris avec les pays prioritaires d'Afrique sont en partie inspirés de ce que l'Espagne a négocié avec le Sénégal, le Maroc et la Mauritanie. Il existe une contrepartie, des accords de réadmission, afin de décourager l'immigration illégale. L'Europe continuera d'avoir des voies d'immigration légale, d'accueillir et de former des étudiants africains – certains plus que d'autres, car les étudiants ont aussi une préférence pour les universités de France, d'Allemagne ou du Royaume-Uni –, et il y a le regroupement familial ainsi que l'immigration économique, mais il faut que les migrations se passent selon les procédures légales et que les migrations illégales soient donc combattues, c'est-à-dire que des accords de réadmission soient conclus avec ces pays, qui demandent en contrepartie que reste ouverte l'immigration légale et que leur soit apportée une aide pour le contrôle des frontières. Cette aide peut prendre la forme d'une formation aux systèmes de sécurité.

Ce qui vient de se passer en Allemagne, le plus gros attentat qui ait visé ce pays, aura forcément des conséquences mais nous accompagnerons l'Allemagne dans ses évolutions. Entre nos deux ministres de l'intérieur, Thomas de Maizière et Bernard Cazeneuve d'abord, à qui vient de succéder Bruno Le Roux, qui s'est déjà rendu en Allemagne depuis sa nomination, il existe une communauté de vues très étroite sur les moyens de coopérer le plus efficacement possible dans la lutte contre le terrorisme et sur les conséquences que cela doit avoir non seulement pour notre relation bilatérale mais aussi l'organisation de l'Europe. De fait, Schengen évolue en raison des décisions que nous avons prises parce que la France et l'Allemagne les ont défendues ensemble : la révision ciblée du code frontières Schengen en vue d'introduire des vérifications systématiques obligatoires à toutes les frontières extérieures pour les entrées et les sorties, y compris pour les détenteurs de passeports de l'Union européenne et de pays de Schengen, le règlement sur les garde-frontières et les garde-côtes, c'est-à-dire une transformation de l'agence Frontex, le fait que le Conseil européen souhaite parvenir à un accord sur le système d'entrée et de sortie dans le cadre du paquet « frontières intelligentes », l'adoption demandée d'un système d'information et d'autorisation concernant les voyages inspiré du système américain ESTA – Electronic System for Travel Authorization.

Tout cela représente une transformation de Schengen, avec une sécurisation des frontières, un contrôle plus systématique des franchissements de frontière. C'est la condition pour le maintien de Schengen. Transformer Schengen, c'est cela, plutôt que de demander un nouveau traité, ce qui impliquerait de relancer une négociation intergouvernementale qui prendrait plusieurs années. Nous avons déjà beaucoup fait évoluer Schengen, en peu de temps, et nous devons continuer à le faire.

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