Intervention de Marwan Lahoud

Réunion du 18 janvier 2017 à 16h15
Commission des affaires économiques

Marwan Lahoud, président d'Airbus Group SAS, directeur général délégué à l'international, à la stratégie et aux affaires publiques d'Airbus Group :

Avant d'évoquer le projet Gemini, je brosserai le tableau de la situation et de l'activité du groupe.

Vous l'avez dit, 2016 aura été une très bonne année pour Airbus, toutefois, dans un monde plein d'incertitudes et de ruptures technologiques, le groupe doit se montrer toujours plus agile, toujours plus innovant et encore mieux organisé.

Airbus demeure un moteur de croissance, et notre réussite est celle de l'ensemble de la filière : Airbus certes, mais aussi ses équipementiers et les PME avec lesquelles le groupe travaille. En tant que président du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS), je puis attester qu'une mobilisation et une solidarité sont à l'oeuvre afin d'aboutir à un succès collectif.

Entre 2001 et 2015, le chiffre d'affaires du groupe est passé de 31 à 64 milliards d'euros. Depuis de très nombreuses années, nous sommes le fer de lance des exportations nationales. Plus important encore, alors que nous sommes passés du statut de startup dans les années 1970 — bien que le terme n'existât pas à l'époque — à celui de très grand groupe mondial, nous sommes toujours un moteur d'innovation, ce que nous revendiquons haut et fort.

La croissance a entraîné une hausse de plus d'un tiers des effectifs, et nous comptons aujourd'hui plus de 136 000 salariés, dont 51 000 en France : il est important d'avoir ces chiffres à l'esprit pour garder le sens des proportions lorsque l'on évoque les restructurations. Chez nous, chaque individu est extrêmement important, nous traitons nos employés au cas par cas, il n'y a pas de globalisation : c'est ce qui fait le secret de notre contrat social.

Airbus Group est le premier employeur du secteur de l'aéronautique, nous créons des emplois en France ; entre 2009 et 2015, le groupe a embauché dans sa globalité 49 000 personnes ; pour la moitié, il s'agissait de créations de postes. Au cours de la même période, en France, nous avons recruté 20 000 personnes, dont 11 000 sur des créations de postes. Par ailleurs, 2016 constitue une année d'embauches nettes en France pour le groupe.

S'agissant des prises de commandes réalisées au cours de 2016 — et les commandes conditionnent le futur —, les trois segments du groupe : Airbus avions, Airbus Hélicopters et Airbus Defence and Space ont réalisé une excellente année.

Dans le secteur de l'aéronautique commerciale, Airbus a livré 688 avions, ce qui constitue un record absolu dans notre histoire, dont 49 A350, ce qui montre que nous sommes à la fois capables de servir nos clients avec les produits existants, mais aussi d'innover en proposant de nouveaux modèles. C'est là une performance au regard de la montée en cadence : nous avons multiplié par trois fois et demie la production d'A350 entre 2015 et 2016.

Aussi, au cours du mois de décembre dernier, avons-nous livré 111 avions. Lorsque l'on est directeur chez Airbus, on aimerait être un peu plus serein, et mieux étaler les livraisons dans l'année… Je tiens néanmoins à saluer la performance de nos équipes qui ont travaillé d'arrache-pied pour arriver à ce résultat assez unique : livrer 111 avions en trente jours est tout simplement colossal.

En 2016, 731 commandes d'appareils ont été passées ; nous continuons donc d'enrichir notre carnet de commandes qui comporte aujourd'hui 6 874 avions, ce qui représente dix années de production mais aussi autant que ce qui a été réalisé en quarante-deux ans d'histoire : oui, tout va bien !

Dans le domaine spatial aussi, 2016 a été une très bonne année, dans le secteur tant des satellites que des lanceurs. La création d'Airbus Safran Launchers (ASL), avec le nouveau lanceur Ariane 6 décliné en deux versions, constitue l'avenir de cette branche. Toutefois, la difficulté majeure dans le domaine spatial est que les décisions d'aujourd'hui peuvent conditionner quarante ans de stratégie industrielle ; il convient d'y voir clair. À cet égard, le soixante-seizième lancement réussi d'Ariane 5, le 21 décembre dernier, nous donne raison : pourvu que ça dure !

Le secteur des hélicoptères est plus difficile, la situation y est contrastée, le prix du pétrole nous pose problème, et les différences de cycles – une commande militaire demande plusieurs années contre quelques mois pour une commande civile – rendent les choses complexes. Toutefois, grâce à nos dirigeants et à nos équipes, nous faisons face.

Nous y parvenons car – et si je ne devais aujourd'hui ne délivrer qu'un seul message, ce serait celui-ci – il existe au sein du groupe une communauté de vues sur la stratégie et les objectifs qui nous permet d'avancer ensemble. Certes, les négociations et les discussions sont très vives, mais, in fine, nous parvenons à définir des projets, car nous avons en commun la force de notre passion pour notre métier.

Cette passion pour l'aéronautique, qui est partagée par tous, du chef jusqu'au jeune salarié, fait que chacun comprend les situations auxquelles Airbus doit faire face. Obtenir l'adhésion de tous en expliquant pourquoi les évolutions sont nécessaires et en traitant les situations individuelles constitue la meilleure manière de transformer, de restructurer et de réformer.

Les incertitudes géostratégiques et géo-économiques, comme les menaces caractérisant la sécurité internationale, pèsent sur notre groupe et peuvent à tout moment nous faire basculer : une crise économique majeure en Asie, une crise géopolitique majeure dans tout ou partie des zones de tension actuelles, ne pourront qu'avoir des conséquences néfastes sur notre croissance.

Par ailleurs, une concurrence inattendue, non conventionnelle, peut survenir à tout moment. Nous observons Boeing dans le secteur des avions commerciaux ainsi que les hélicoptéristes présents sur le marché et les quelques acteurs du domaine de la défense. Aujourd'hui, les ruptures technologiques sont partout, et la transformation numérique des entreprises nous conduit à étendre notre vigilance au-delà de nos concurrents habituels. L'entrée sur le marché d'entreprises telle SpaceX, fondée par un acteur de l'internet ayant décidé d'investir dans l'espace, a achevé de nous persuader de la nécessité de transformer le paysage spatial ; ce que nous faisons en collaboration avec l'un d'entre eux à travers le projet OneWeb.

Comme je l'ai relevé, cette capacité d'adaptation appelle une bonne organisation : c'est là qu'intervient le projet Gemini, dont la dénomination insiste sur la notion de gémellité. Depuis 2013, le groupe s'est engagé dans une trajectoire stratégique rompant avec nos pratiques passées : il ne recherche plus l'équilibre entre les secteurs civil et militaire, tout simplement parce que celui-ci est impossible à réaliser.

De fait, la progression spectaculaire de la demande de transport aérien constitue un phénomène mondial, et la croissance que connaît le secteur des avions commerciaux ne peut être compensée — loin de là — par des opérations réalisées dans le domaine de la défense. Si elle avait eu lieu, la fusion avec BAE Systems, aurait permis cet équilibre ; cela n'a pas été possible, et nous en avons tiré les conséquences dès l'année 2013.

Les conséquences de notre ancienne orientation stratégique sont que le groupe Airbus est structuré autour d'un état-major central avec trois divisions dont l'une réalise 70 % du chiffre d'affaires total et dispose de son propre état-major. Le choix de regrouper Airbus avions commerciaux et ce qui, jusqu'au 1er janvier dernier, s'appelait Airbus Group permet la constitution de la structure la plus simple. La division Airbus est la plus importante en termes de business ; elle constitue la tête du groupe : c'est la logique du programme Gemini.

Réaliser une opération de cette nature est relativement simple : il s'agit de fusionner les équipes des directions générales de ce qui était Airbus Group et Airbus avions commerciaux dans une nouvelle entité dénommée « Airbus » à compter du 1er janvier 2017. Dès lors se pose la question de la localisation de la nouvelle entité. Aujourd'hui, le siège du groupe se trouve à Toulouse : si l'on pousse le raisonnement à son terme, ce devrait être le cas de toutes les équipes de direction générale.

Airbus est présent en Europe, en France, en Allemagne, en Espagne et au Royaume-Uni ; or la mobilité géographique n'est pas une chose simple pour les entreprises, car il faut respecter les desiderata de chacun. Les mesures sociales permettent de proposer des mobilités. Si celles-ci sont refusées, d'autres sont proposées et si, in fine, les transformations ne peuvent pas être réalisées par la manière douce, il faut recourir à l'ultime possibilité que constitue le licenciement. Je connais le groupe Airbus depuis pratiquement trente ans et j'y travaille depuis bientôt dix-neuf ans : sa tradition sociale est telle que je n'ai jamais vu cela se produire mais, au stade où nous sommes, nous ne pouvons pas l'exclure.

Vous avez évoqué, Madame la présidente, 1 164 suppressions de postes, je souhaite préciser que les documents de référence mentionnent « jusqu'à 1 164 suppressions de postes », ce qui en anglais s'exprime par « up to ». Ce majorant est estimé à l'aide d'une formule fondée sur l'expérience, en appréciant le nombre de mobilités souhaitées ainsi que leur taux d'acceptation. C'est ainsi que nos équipes de ressources humaines considèrent que ce plafond garantit la réussite du projet de restructuration.

Vous m'avez interrogé sur les mesures sociales qui sont prévues : je serai peu disert à ce propos, d'une part parce que je ne suis pas au fait de l'état de leur préparation, d'autre part parce que, en vertu des traditions sociales du groupe, elles font actuellement l'objet de discussions avec les représentants de nos personnels, à qui je souhaite laisser la primeur de cette information. Toutefois, je m'engage, avec l'aide de M. Philippe Bottrie et Mme Annick Perrimond du Breuil, ici présents, à tenir à votre disposition tout élément susceptible d'intervenir dans la progression de la préparation et la mise en oeuvre du projet Gemini.

Il est donc prévu de procéder jusqu'à 1 164 suppressions de postes, dont 640 en France, sur un effectif de 136 000 salariés. Cela se traduit par la fermeture du site de Suresnes ainsi que par un transfert d'effectifs du site allemand d'Ottobrunn vers Toulouse, 325 postes étant concernés. Il s'agit de regrouper à Toulouse la direction générale, encore éparpillée sur plusieurs sites aujourd'hui, et d'y créer une zone de concentration de l'activité recherche et technologie (R&T), actuellement répartie entre Ottobrunn, Suresnes, Toulouse, Marignane, Les Mureaux et Élancourt. Cela ne signifie pas que tout sera transféré à Toulouse mais la décision a bien été prise d'arrêter l'activité R&T à Suresnes

La transformation ne se résume pas au déplacement de personnes, elle consiste aussi à vérifier que l'on dispose bien des compétences requises, singulièrement au regard des défis liés aux nouvelles technologies, plus particulièrement au numérique. C'est dans ces nouveaux métiers, comme la numérisation, la cybersécurité ou l'intelligence artificielle, que nous créons 230 postes. Il est toujours délicat de prétendre localiser des emplois s'exerçant dans le numérique qui, par définition, est partout, mais je peux affirmer que ces embauches sont principalement prévues en France.

Dans l'esprit de notre tradition sociale, nous sommes engagés dans des discussions relatives à la mise en oeuvre des mesures d'accompagnement ; lorsque nous serons plus au clair, je serai en mesure de vous les dévoiler. Nous privilégierons les redéploiements internes, les départs naturels non remplacés, les retraites anticipées ainsi que les départs volontaires avec incitation financière. Depuis que je suis dans le groupe, ce système a toujours fonctionné. J'y ai connu des situations beaucoup plus difficiles, comme le plan de restructuration « Power 8 » ou les plans précédents – qui remontent à un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître – auxquelles la direction du groupe Airbus comme ses salariés ont fait face grâce à leur attachement à notre contrat social.

Enfin, nous préparons l'avenir. Si nous sommes aujourd'hui leader sur les marchés de l'aéronautique civile, c'est qu'il y a des années, nos prédécesseurs ont investi, privilégié une stratégie de l'innovation et pris des décisions difficiles et risquées ; et nous avons conscience de cet héritage.

Vous avez évoqué, Madame la présidente, le PIA3, et je souhaite être très clair au sujet du financement de la recherche aéronautique. Lorsque l'on est le groupe Airbus, et que notre budget de recherche et développement (R&D) excède 3,6 milliards d'euros par an, que notre budget de R&T avoisine 1 milliard d'euros, le soutien public à la recherche, les incitations fiscales, le crédit d'impôt recherche (CIR) sont toujours bienvenus, mais, dans le secteur aéronautique, ce soutien public bénéficie surtout aux équipementiers, aux PME.

C'est pourquoi, en tant que président du GIFAS, mais aussi en tant que responsable du groupe Airbus, je tire une sonnette d'alarme. J'entends pleinement les propos du commissaire général à l'investissement lorsqu'il évoque l'absence de fléchage des crédits et la mise en compétition des projets, dont nous avons démontré que nous ne la craignons pas, car nous en avons l'habitude. J'insiste simplement sur le fait que l'effort d'aujourd'hui conditionnera les résultats ainsi que les livraisons et la croissance d'après-demain. Or, je crains que, dans une conception excessivement financière de l'investissement public, cet aspect des choses soit perdu de vue. Encore une fois, la question n'est pas celle d'Airbus, mais elle concerne l'ensemble de la filière, singulièrement ses petits acteurs, qui sont tellement essentiels.

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