Le Brexit, l'élection de Donald Trump et les changements politiques font partie de notre environnement. Je suis un ancien du groupe et j'ai vu, comme toute l'équipe de direction, de tels changements, dans tous les sens.
Par principe, les barrières ne sont pas très bonnes pour l'aéronautique. Si des barrières douanières ou à la circulation des personnes étaient instaurées, je ne peux pas en mesurer l'impact de manière chiffrée, mais nous n'y sommes a priori pas favorables. Nous écoutons donc avec une grande attention et un peu d'inquiétude ce qui se dit autour du « Hard Brexit ».
Quant au président élu Donald Trump, il a dit beaucoup de choses, de toute nature. Là encore, il faut rester sereins et attendre de voir. Le protectionnisme dans les échanges commerciaux n'est pas souhaitable pour une filière exportatrice telle que l'aéronautique, mais j'ai cru comprendre qu'une des caractéristiques du président Trump est de faire des deals. Voyons ce que sera la présidence Trump par rapport à la candidature Trump.
J'en viens à la question de l'avion électrique, et à celle de la « voiture volante ». Dans notre métier, le quotidien consiste à livrer en temps et en heure les avions aux compagnies aériennes qui les attendent, mais n'oublions pas que si nous sommes encore là, c'est d'abord parce que nous avons toujours été innovants. Nous continuons donc aujourd'hui de définir des axes stratégiques d'innovation : l'avion électrique et les mobilités urbaines – nous préférons cette expression à celle de « voitures volantes » – en font partie.
Nous avons fait voler l'E-Fan, prototype d'avion électrique monoplace, et nous projetons de faire de même avec un biplace. L'E-Fan a traversé la Manche, c'est formidable, mais on voit là qu'en matière d'électrification, nous en sommes encore à l'époque de Blériot... Nous persévérerons, car nous serons amenés à renforcer l'électrification afin de respecter les obligations édictées par l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) en matière d'émissions de CO2. Non seulement l'avionneur que nous sommes mais toute la filière du transport aérien, des constructeurs aux compagnies aériennes, s'est engagée à atteindre la neutralité des émissions de gaz à effet de serre au-delà de 2020 : quelle que soit la croissance du trafic, leur niveau ne devra plus augmenter en valeur absolue. Différentes solutions seront mises en oeuvre pour y parvenir : l'amélioration de la gestion du trafic sur les sites où il est congestionné, certaines pratiques au sol comme le fait de ne pas utiliser les moteurs pour rouler, la réduction de la consommation…
Sur ce dernier point, nous avons beaucoup progressé depuis cinquante ans ce qui s'est soldé par une baisse des émissions de 75 %. Une telle évolution est économiquement rationnelle pour l'entreprise, mais, avec les décisions prises lors de l'accord de Paris, confirmées par l'OACI, nous devons franchir une étape supplémentaire : nous ne pourrons pas nous contenter de poursuivre à l'identique, il nous faudra adopter des mesures drastiques comme l'électrification.
Cette dernière n'est pas aussi facile pour l'aérien que pour l'automobile car il faut énormément d'énergie pour voler. Aujourd'hui, pour nos ingénieurs, il est compliqué d'imaginer un avion de cent sièges tout électrique. Nous privilégions donc une approche hybride qui fait intervenir à la fois le moteur thermique et le moteur électrique. Nous préparons cependant le tout électrique. Pour demain, le problème n'est pas tant le stockage de l'énergie électrique que la circulation du courant et la dissipation thermique. Tellement d'énergie est nécessaire pour faire voler un avion que les fils de cuivre conducteurs chaufferaient au point que nous serions incapables d'offrir une solution sûre et « certifiable » – et je ne parle pas de la perte d'énergie. Physiquement, nous sommes bloqués par la capacité à disposer de supraconductivité à température ambiante. Pour être un peu technique, avec la supraconductivité, la résistance disparaît et on a longtemps pensé que cela se produisait autour du zéro absolu, température à laquelle il est bien sûr inimaginable de refroidir les circuits d'un avion. Les évolutions de la science fondamentale nous laissent cependant penser qu'il sera possible de parvenir à la supraconductivité à -50°, ce qui constitue la température ambiante pour un avion.
Le développement des mobilités urbaines est l'un de nos autres axes stratégiques d'innovation. Aujourd'hui, la circulation automobile de certaines villes est complètement saturée. C'est par exemple le cas de Singapour où la situation est infiniment pire qu'à Paris. Sommes-nous en mesure de déployer des services de mobilité urbaine utilisant la troisième dimension pour aller d'un point à un autre dans la ville ? Nous avons mené à Sao Paolo une expérimentation, que certains ont abusivement nommée « ubercopter », avec un hélicoptère avec pilote, mais nous imaginons aussi des solutions avec des objets pilotés depuis le sol ou autopilotés. Nous voulons expérimenter à la fois la technologie et la possibilité d'une certification. Dans ce secteur, notre expérience de la certification et de la sécurité fait véritablement notre force par rapport à tous les nouveaux entrants, GAFA ou autres.
Le numérique constitue un autre axe stratégique d'innovation dont nous attendons un raccourcissement des cycles, ce qu'au sein du groupe nous appelons « le rêve de Tom Enders » : le président-directeur général d'Airbus Group ainsi que tous les collaborateurs, rêvent de réduire les cycles de développement et de production grâce à l'utilisation rationnelle des systèmes numériques et des innombrables données liées au développement d'un avion. Cette évolution doit être mise au service des clients pour développer la maintenance prédictive et améliorer la disponibilité des plateformes Airbus. Il est impossible d'avancer un objectif chiffré dans ce domaine, mais il est clair que c'est là que nous pouvons faire la différence.
Vous m'avez interrogé sur la concurrence. L'avion chinois n'a pas encore volé, mais il volera et il sera un concurrent pour nos appareils. Nos scénarios stratégiques prennent cette donnée en compte, et nous savons que nous devrons innover si nous voulons conserver notre position de leader. L'innovation constitue la réponse à la compétition.
Avec l'A380, nous disposons, à l'autre extrémité de l'offre, d'un formidable avion plébiscité unanimement par les passagers, mais ce sont les compagnies aériennes, auxquelles nous ne vendons pas autant cet appareil que nous le voudrions, qu'il nous faut convaincre que l'A380 améliorera leurs performances. Aujourd'hui, étant donné l'état des ventes, des commandes et des besoins, nous ne disposons pas du business case, d'une proposition structurée, qui nous permettrait d'envisager une remotorisation. Elle est possible, et nous y viendrons le moment venu, mais, pour l'instant, nous devons vendre l'A380. Notre priorité, c'est de vendre, vendre et encore vendre !
Je ne suis pas en mesure de vous communiquer des indications sur nos résultats 2016. J'attends que nous y voyions plus clair, notamment que nos auditeurs effectuent les certifications nécessaires. Toutefois, je l'ai dit : l'année est bonne, et je ne parlais pas seulement des commandes et des livraisons.
Je reviens au social. J'y insiste, notre groupe a une tradition sociale à laquelle nous sommes tous attachés, du salarié au plus haut dirigeant. Nous tenons à ce « contrat social » au sein du groupe. Il pourrait paraître étonnant qu'un tel « contrat » existe dans un groupe issu d'une consolidation, car on aurait pu penser que les traditions allemande et française se heurteraient. Ce serait sans compter sur une tradition sociale aéronautique qui nous mobilise tous autour du succès de notre entreprise. Certes, il y a parfois des échanges musclés, mais, in fine, tout le monde va dans le même sens. Le secret de cette réussite, c'est d'abord que nous commençons par nous mettre d'accord sur les objectifs généraux, ensuite que le traitement social est personnalisé et individualisé. Nous sommes très fiers de chacun de nos salariés, nos « compagnons », de chaque homme et de chaque femme qui travaille avec nous. Tous les dirigeants mettent donc un point d'honneur à traiter au mieux chaque situation individuelle. C'est ainsi que j'ai été formé, et je ne sais pas faire autrement.
Mme Jeanine Dubié m'a interrogé sur la chaîne d'assemblage d'hélicoptères installée en Inde. Airbus Helicopters dispose de chaînes semblables un peu partout dans le monde, et il fallait augmenter notre présence industrielle en Inde, dans une optique de conquête de marché. Cette chaîne située dans le Gujarat, État d'origine du Premier ministre indien, s'intègre parfaitement à la chaîne logistique d'Airbus Helicopters.
J'évoquerai maintenant la sous-traitance. Sachant qu'en valeur ajoutée, le contenu proprement « Airbus » de n'importe lequel de nos équipements est d'environ 25 % – ce chiffre est évidemment approximatif –, on peut en déduire que 75 % de la valeur de notre production vient de la chaîne de sous-traitants. Cette dernière va de nos gros sous-traitants de premier niveau jusqu'à la PME de cinquante salariés qui dégage une dizaine de millions d'euros de chiffre d'affaires. Dans de nombreux cas, nous sommes très dépendants de cette chaîne. Rassurez-vous : je ne veux pas dire qu'une défaillance quelconque aurait des conséquences désastreuses, mais seulement que nous avons pleinement conscience que nous dépendons de toute notre filière.
Évidemment notre relation avec les fournisseurs est, elle aussi musclée : nous négocions des contrats, et il y a forcément des rapports de force. Cependant, stratégiquement, nous regardons ensemble dans la même direction. Mon expérience au sein du GIFAS m'a permis de constater que nous étions regardés comme un exemple. J'entends souvent des interlocuteurs regretter que toutes les filières ne soient pas organisées comme la nôtre. Sous-traitants, maîtres d'oeuvre, grands équipementiers, nous nous retrouvons tous les mois autour de la table avec notre médiateur pour poser les bonnes questions et maintenir le cap dans la bonne direction avec un objectif : le succès de l'industrie aéronautique et spatiale. Cela n'empêche pas les frictions, les rapports de force ou les négociations âpres, mais ces épisodes restent localisés : il n'y a pas de conflit généralisé. D'ailleurs, notre médiateur de filière traite un nombre très limité de cas, de l'ordre de deux par an.
Je ne suis pas de ceux qui opposent performances financières et performances industrielles, service des actionnaires et investissement dans l'avenir. Nous n'avons pas le choix : aujourd'hui, une entreprise doit conjuguer tous ces éléments. Pour y parvenir, elle doit être encore plus performante. Elle doit, dans le même temps, investir dans son avenir, sans quoi, à terme, elle disparaîtrait, et servir ses actionnaires qui attendent un retour sur investissement. Nous y parvenons ! L'ensemble des salariés du groupe redoublent d'efforts pour relever ce défi.
La mise en orbite du satellite Merlin est prévue en 2021. L'objectif est de mesurer la distribution spatiale et temporelle des émissions de méthane sur l'ensemble de la planète. Les applications spatiales permettent d'effectuer les mesures les plus précises en matière d'environnement, et le suivi le plus fin. Merlin est le fruit d'une coopération entre le Centre national d'études spatiales (CNES) et le Centre allemand pour l'aéronautique et l'astronautique, en allemand, le Deutsches Zentrum für Luft- und Raumfahrt (DLR). À l'heure où l'on déplore le manque de projets de coopération franco-allemande, il en est donc qui fonctionnent très bien. La maîtrise d'oeuvre est assurée par Airbus Defence and Space et la réalisation se partage entre les sites de Toulouse et de Friedrichshafen.
Cela m'amène à répondre à la question relative à la production hors de France. Considérer que le coeur d'Airbus, avec la recherche et la conception, se situe en France, reflète une certaine réalité. Toulouse est aujourd'hui reconnue comme la capitale de l'industrie aérospatiale européenne, ce qui entraîne une concentration de cette industrie. Il faut toutefois cesser de raisonner en termes de « cerveau » et de « membres ». Airbus démontre qu'il existe bien une Europe qui marche : celle dans laquelle on accepte l'interdépendance, même si, dans les premiers temps, c'est à contrecoeur. Aujourd'hui, on ne pourrait pas davantage demander à l'Allemagne ou au Royaume-Uni de fabriquer seul un Airbus que décider de tout rapatrier en France : ce serait infiniment long. Oui, l'interdépendance se fait d'abord à contrecoeur, mais, finalement, elle enrichit tout le monde en permettant une réelle optimisation, je le sais : je l'ai vécu ! En tant que citoyen, je suis un européen convaincu de l'importance de cette Europe interdépendante : nous appartenons à un tout petit espace géographique défié par de très nombreux autres espaces géo-économiques dans une compétition mondiale. Cessons de ne regarder que notre voisin ! Plutôt que nous comparer à lui, occupons-nous avec lui du vaste monde !
Il est vrai néanmoins que, depuis 2012, l'évolution de notre groupe vise à concentrer à Toulouse les organes de direction, de conception et de stratégie. C'est le principe du siège, qui entre un peu en contradiction, je le reconnais, avec notre affirmation que l'intelligence est partout. Nous considérons qu'il n'existe en la matière ni monopole, ni supériorité de tel ou tel. Il faut aller chercher les talents où ils se trouvent. C'est le sens de nos investissements hors du pays, par exemple dans la Silicon Valley, avec A3, un fonds de capital-risque à vocation mondiale qui investira dans des startups en Californie, mais aussi en France, en Allemagne, en Chine ou en Israël. Aujourd'hui, la ressource humaine qualifiée est la ressource la plus rare pour l'aéronautique : nous devons aller chercher les intelligences où elles sont.
Si nous sommes mondialisés, nous sommes également très territorialisés. Dirigeants et salariés sont particulièrement attachés au groupe, mais ils partagent aussi un esprit cocardier : chaque établissement, laboratoire ou atelier est fier de son travail là où il est effectué. Chacun des sites est localisé et non mondialisé.
La trajectoire du projet OneWeb n'a pas été modifiée. La deuxième levée de fonds s'est bien passée. Nous avons engagé le cycle de réalisation des satellites. Ce type d'aventure nous ramène à l'esprit pionnier des origines. Airbus a commencé avec quatre personnes dans un bureau, qui rêvaient de fabriquer un avion commercial – ce sera l'A300. Aujourd'hui, l'horizon d'Airbus est dégagé, mais nous devons être prêts, et nous le sommes. Nous sommes motivés et engagés. Nous voulons réussir, et nous en avons les moyens, car, sans fanfaronner, nous avons les meilleurs ingénieurs, que nous recrutons partout.