Intervention de Axelle Lemaire

Réunion du 5 février 2013 à 14h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAxelle Lemaire, rapporteure pour avis :

Le texte qui vous est soumis pour avis aujourd'hui et qui sera discuté la semaine prochaine en séance publique, est porteur d'enjeux considérables pour notre économie et nos emplois. Dans nos travaux protéiformes, il ne convient pas de séparer le sociétal de l'économique, et il me paraît important que la commission des Lois se soit saisie pour avis d'un projet de loi qui porte sur la structure de notre système bancaire.

Pour commencer, je rappellerai le contexte. La crise financière qui a débuté à l'été 2007 avec la crise des subprimes – ces prêts immobiliers contractés, à des taux souvent très élevés, par des ménages américains surendettés, le principe commercial sous-jacent étant que plus fort était le risque, plus élevé serait le rendement – et qui s'est aggravée avec la chute de la banque américaine Lehman Brothers, a eu un coût économique et social considérable.

L'historique de la crise est connu. La crise des subprimes s'est répandue dans le système financier par la titrisation de ces emprunts. L'incertitude sur la possession ou non d'actifs à risque a alors eu pour conséquence une crise de confiance qui a conduit les banques à refuser de se prêter entre elles. La paralysie du marché interbancaire qui en est résulté a provoqué une crise de liquidité que la décision du gouvernement américain de ne pas secourir la banque Lehman Brothers a renforcée, obligeant tous les États membres de l'OCDE à aider leurs banques, voire à nationaliser certaines d'entre elles – ainsi, au Royaume-Uni, de la Royal Bank of Scotland – pour protéger les dépôts de leurs épargnants. Cela a eu pour effet que les finances publiques se sont elles-mêmes dégradées. De bancaire, la crise est devenue celle des dettes souveraines, ce qui a contraint les États à conduire des politiques d'austérité.

C'est ainsi qu'en trois ans, d'octobre 2008 à octobre 2011, 4 500 milliards d'aides publiques, soit 37 % du PIB de l'Union européenne, ont été accordés aux établissements financiers. Cela a permis d'éviter des faillites bancaires à grande échelle, mais ces aides ont lourdement grevé les finances publiques des États membres et elles pèseront sur les contribuables au cours des décennies à venir. Pour rappel, le chômage touchait 16 millions d'Européens en 2007 ; il frappe maintenant 27 millions d'entre eux, comme l'a rappelé le président de la République ce matin devant le Parlement européen. Selon un sondage réalisé par l'IFOP en juillet 2012, 77 % des Français jugent important le rôle des banques dans le déclenchement de la crise financière, et 71 % estiment que le secteur bancaire n'a pas tiré les enseignements de la crise. Le projet de réforme répond à ces préoccupations.

Les causes de la crise financière sont désormais cernées. Elle est le fruit de la dérégulation financière intervenue depuis les années 1980. Elle est le fruit du manque de fonds propres des banques qui, à la recherche de profits toujours grandissants, ont pratiqué massivement l'effet de levier, qui consiste à financer des acquisitions par l'endettement – une pratique qui, si elle augmente la rentabilité, accroît aussi le risque et les pertes. Elle est le fruit de la complexité croissante des marchés financiers, d'une mauvaise gestion des risques par de nombreux établissements et d'une régulation défaillante. Elle est enfin le fruit du comportement de ceux qui ont pris des risques inconsidérés parce qu'ils savaient que leurs banques étaient « trop grosses pour faire faillite », si bien que l'État les sauverait le cas échéant.

Ces dérives combinées ont fait des marchés financiers une véritable poudrière.

Cette situation appelle l'adoption par le pouvoir politique de mesures vigoureuses. C'est le sens de l'engagement pris par le président de la République, lorsqu'il était candidat : remettre les banques au service de l'économie réelle, en séparant celles de leurs activités qui sont utiles à l'investissement et à l'emploi de leurs opérations spéculatives.

Alors que les discussions sur l'union bancaire sont en cours au niveau européen, ce texte fera de notre pays un précurseur. En ouvrant la voie, la France encourage ses partenaires à accélérer le rythme du débat, aux niveaux national et européen, et fixe un niveau élevé d'ambition. Je relève d'ailleurs que l'Allemagne nous a emboîté le pas : le gouvernement allemand a annoncé la semaine dernière qu'il présentera prochainement un projet de loi de séparation des activités bancaires contraignant les banques à isoler leurs activités pour compte propre si elles représentent plus de 100 milliards d'euros au bilan ou 20 % du bilan de l'établissement concerné. Et, hier, le Chancelier de l'Échiquier, le ministre des Finances britannique, M. George Osborne, a présenté un projet de loi bancaire qui donne suite aux recommandations de la commission Vickers. Alors que le calendrier politique s'accélère, il faut espérer que la France mène le bal.

Le projet comporte 26 articles, répartis en sept titres. L'avis est centré sur les volets du projet relevant plus particulièrement de la compétence de notre Commission, à savoir les quatre premiers titres, pour ne pas doublonner les travaux de la commission des Finances, saisie au fond, de la commission des Affaires économiques, saisie pour avis, ainsi que la commission des Affaires européennes – ce qui en dit long sur l'importance de ce projet. J'ai donc laissé de côté les mesures relatives au redressement de Groupama, ainsi que les mesures de protection des consommateurs en matière bancaire – telles que le plafonnement des commissions d'intervention – et d'assurance.

Pour préparer cet avis, j'ai rencontré une vingtaine de personnes dans le cadre des auditions organisées par la commission des Lois, et j'ai assisté au programme d'auditions de Mme Karine Berger, rapporteure de la commission des Finances, que je remercie. Afin d'approfondir les aspects européens du texte, j'ai aussi effectué une mission à Bruxelles, organisée par Christophe Caresche, rapporteur à la commission des Affaires européennes sur l'union bancaire, que je remercie également.

Le titre premier sépare les activités utiles au financement de l'économie des activités spéculatives.

La réflexion de nombreux pays du G 20 va dans le même sens que celle du gouvernement français : la séparation des activités entre deux entités juridiques. Plusieurs options sont envisageables. La première, qui fut pratiquée aux États-Unis de 1933 à 1999 sous la forme du Glass Steagall Act, consiste à séparer rigoureusement les banques de crédit et les banques d'investissement. Cette séparation stricte a en réalité été abandonnée dès les années 1970. L'option explorée actuellement aux États-Unis est la « règle de Volcker ». Insérée dans le Dodd-Frank Act voté en juillet 2010 par le Congrès américain, elle interdit aux banques américaines ou actives aux États-Unis le trading pour compte propre. Mais de très nombreuses exemptions sont prévues pour des activités directement utiles à la liquidité et au bon fonctionnement de l'économie. Ainsi, les activités de tenue de marché et celles de couverture réduisant l'exposition à certains risques spécifiques, les transactions pour compte de tiers et l'achat de titres de dette souveraine américaine restent autorisées. La réforme doit s'appliquer en 2017 seulement, si tant est qu'elle entre effectivement en vigueur.

Au Royaume-Uni, la réforme bancaire repose sur les travaux de la commission Vickers, dont le rapport a été rendu public en septembre 2011. Ce rapport préconise le cloisonnement des activités entre la banque de détail d'une part, la banque de financement et d'investissement d'autre part.

Au niveau européen, le commissaire Michel Barnier a confié à une commission présidée par M. Erkki Liikanen, ancien gouverneur de la Banque centrale de Finlande, la tâche de formuler des propositions de réforme de la structure du secteur bancaire dans l'Union. La Commission Liikanen a remis son rapport en octobre 2012. Elle préconise notamment d'obliger les banques qui ont une activité de trading significative à créer une filiale spécifique.

L'option de la filialisation, d'origine européenne, a logiquement été retenue par le projet de loi français, quelques différences portant sur le périmètre de la filiale. Le texte obligera ainsi les banques dépassant certains seuils à cantonner leurs activités pour compte propre risquées dans une filiale ad hoc soumise à une régulation spécifique. La société mère pourra continuer à pratiquer certaines opérations pour compte propre limitativement énumérées, lorsqu'elles ont une utilité avérée pour le fonctionnement de l'économie. Le périmètre des activités à filialiser, et en particulier l'inclusion de la tenue de marché, fait l'objet de débats, qu'il m'a semblé opportun de laisser se dérouler au sein de la commission des Finances.

La filiale devra respecter les exigences prudentielles des banques, avec ses seuls fonds propres, sans ceux de la société mère ; il lui faudra aussi respecter individuellement les ratios réglementaires de solvabilité et de liquidité. Le texte interdit par ailleurs aux banques d'être actionnaires d'un fond spéculatif de type hedge fund, ou de lui accorder des formes non sécurisées de financement. Certaines activités spéculatives préjudiciables au fonctionnement des marchés seront purement et simplement interdites aux filiales : le trading à haute fréquence et les opérations de produits dérivés portant sur les matières premières agricoles.

Le titre 2 instaure un régime de résolution des crises bancaires.

La crise financière a obligé de nombreux États à injecter massivement des fonds publics dans les banques. En effet, certains établissements sont considérés comme « trop gros » ou comme « trop interconnectés » pour faire faillite. En d'autres termes, la place qu'ils occupent dans le système bancaire et financier engendre un risque systémique en cas de faillite – c'est le cas des principales banques françaises.

Aussi l'obligation d'une meilleure gestion des crises a-t-elle commencé à faire son chemin. Au niveau international, le G20 a adopté en octobre 2011 des recommandations visant créer des outils de prévention et de gestion des crises bancaires. En Europe, la Commission européenne a présenté en juin dernier une proposition de directive reprenant ces recommandations. Le projet de loi français, anticipant l'adoption de cette proposition, renforce considérablement l'intervention des pouvoirs publics dans la gestion des crises bancaires, signant ainsi l'implication du politique dans la résolution de ses événements.

L'Autorité de contrôle prudentiel (ACP), autorité administrative indépendante chargée de l'agrément et de la supervision des établissements bancaires et des organismes d'assurance, devient l'autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Dotée d'une nouvelle mission, la prévention et la gestion des crises bancaires, et de nouveaux pouvoirs, elle devient l'autorité française chargée de la résolution bancaire. Est créé en son sein le « collège de résolution », composé de cinq membres : le gouverneur de la Banque de France, le directeur général du Trésor, le président de l'Autorité des marchés financiers (AMF), un sous-gouverneur désigné par le gouverneur de la Banque de France et le président du directoire du fonds de garantie des dépôts et de résolution. Je vous proposerai un amendement visant à élargir ce collège, pour renforcer le rôle du Parlement dans sa désignation d'une part, et pour prévoir la présence d'un magistrat de 1'autorité judiciaire d'autre part.

À titre préventif, le projet de loi instaure l'obligation pour les banques dépassant une certaine taille d'élaborer des plans de rétablissement en cas de difficultés financières. Chaque établissement devra se doter d'un plan préventif de résolution, sorte de « testament bancaire » destiné à organiser et à faciliter l'intervention du superviseur en cas de faillite. Si l'ACPR estime ces plans insuffisants, elle pourra demander qu'ils soient complétés ou modifiés ; si elle juge que des obstacles empêchent leur mise en oeuvre, elle pourra enjoindre l'établissement concerné de modifier son activité ou sa structure juridique et, par exemple, de filialiser ou de cantonner certaines de ses activités, au-delà des obligations prévues par le titre premier.

Si, malgré ces mesures préventives, un établissement bancaire est défaillant, le collège de résolution de l'ACPR pourra adopter des mesures de résolution de la crise. Ses pouvoirs sont très importants. Il pourra par exemple, sur proposition du gouverneur de la Banque de France ou du directeur général du Trésor, révoquer les dirigeants et nommer un administrateur provisoire – en ce cas, les rémunérations différées prévues en faveur du dirigeant remplacé ne seront pas exigibles – ; procéder au transfert ou à la cession de tout ou partie de l'établissement ou recourir à un « établissement relais » chargé de recevoir ses biens en vue d'une cession ; interdire ou limiter la distribution de dividende ; imposer l'émission de nouvelles actions.

Le collège de résolution pourra aussi procéder à un « renflouement interne » dit bail-in en anglais. Ces mesures novatrices permettront que l'on se tourne en premier lieu vers les actionnaires et certains créanciers. En vertu du principe ainsi introduit de la solidarité dans les pertes, ceux qui ont pris des risques inconsidérés en payeront la facture, et non plus les contribuables. L'ACPR pourra ainsi imposer la réduction du capital, l'annulation des titres de capital ou des éléments de passif ou la conversion des éléments de passif afin d'absorber les pertes, en premier lieu aux actionnaires, et en second lieu aux créanciers subordonnés.

Sur ce point, il me semble souhaitable d'aller plus loin et de remonter dans la hiérarchie des créanciers, afin d'inclure « la dette senior ». Cependant, pour ne pas nuire à la compétitivité de notre économie et pour préserver la capacité de nos banques de financer nos entreprises, cette mesure devrait être prise de manière coordonnée au niveau européen. Je n'ai donc pas déposé d'amendement à ce sujet, mais j'insisterai auprès du ministre pour qu'il s'engage à ce que la France se batte pour inclure ce type de créances dans le dispositif de renflouement interne que définira la directive relative à la résolution des crises bancaires.

Je vous proposerai par ailleurs quelques amendements visant d'une part à renforcer les garanties procédurales prévues par le texte, d'autre part à mieux aligner la rédaction du projet sur celle de la proposition de directive, pour éviter au législateur français de devoir réviser cette loi une fois la directive adoptée.

Le titre 3 crée un dispositif de surveillance macro-prudentielle visant à prévenir l'émergence de risques systémiques liés à l'interconnexion des établissements financiers. Eût-elle été correctement exercée à l'époque que la bulle financière irlandaise aurait été singulièrement amoindrie et que les établissements de crédit espagnols ne se seraient pas lancés comme ils l'ont fait dans une frénésie d'investissements immobiliers risqués.

En France, une première étape a été accomplie en ce sens avec la loi de régulation bancaire et financière du 22 octobre 2010, qui a créé le Conseil de la régulation financière et du risque systémique (COREFRIS). Cette instance conseille le ministre dans la prévention du risque systémique mais elle n'a aucun pouvoir contraignant.

Au niveau européen, un Conseil européen du risque systémique (CERS) a aussi été créé en 2011. Surtout, la nouvelle réglementation prudentielle CRD4CRR impose aux États membres de désigner une autorité macro-prudentielle dotée de pouvoirs juridiquement contraignants.

Le projet de loi transforme le COREFRIS en un Conseil de stabilité financière (CSF) aux pouvoirs renforcés. Le Conseil pourra en particulier augmenter les exigences en fonds propres applicables aux établissements de crédit afin de préserver la stabilité du système financier français, et fixer, lorsque cela est nécessaire, des critères en matière d'octroi de crédit par les banques afin de limiter le développement de bulles spéculatives. Ces pouvoirs sont importants. Le texte précise que les décisions prises à ce titre pourront faire l'objet d'un recours en annulation devant le Conseil d'État.

Je vous soumettrai trois amendements relatifs au CSF, qui visent à tirer toutes les conséquences de l'accroissement de ses pouvoirs. Le premier tend à renforcer le rôle du Parlement dans la désignation de ses membres, en prévoyant que deux des trois personnalités qualifiées qui y siègent seront désignées par les présidents des assemblées. On s'expliquerait mal que le mode de nomination qui vaut actuellement pour l'Autorité des marchés financiers (AMF) et pour l'Autorité de contrôle prudentiel (ACP) ne vaille pas pour le CSF. Le deuxième amendement vise à renforcer le contrôle parlementaire exercé sur le CSF, en prévoyant, comme c'est le cas pour l'ACP et l'AMF, que son président pourra être entendu, sur leur demande, par les présidents des commissions des Finances des deux assemblées. Le troisième amendement renforce les règles relatives aux incompatibilités et à la prévention des conflits d'intérêts applicables aux membres du Conseil.

Enfin, le titre 4 du projet, consacré au renforcement des pouvoirs de l'AMF et de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), en détaille les modalités pratiques.

Pour conclure, ce projet comporte un ensemble de mesures qui contribueront, comme le président de la République s'y est engagé, à remettre la finance au service de l'économie réelle. Je vous invite donc à émettre au nom de la commission des Lois un avis favorable à l'adoption de ce texte.

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