Intervention de Agnès Buzyn

Réunion du 18 janvier 2017 à 16h15
Commission des affaires sociales

Agnès Buzyn, présidente du collège de la Haute Autorité de santé, HAS :

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, j'ai l'honneur de revenir devant vous aujourd'hui, car le Président de la République a souhaité proposer mon renouvellement à la présidence du collège de la Haute Autorité de santé.

Vous m'aviez fait confiance en janvier 2016 pour assurer la fin du mandat du professeur Jean-Luc Harousseau. Je souhaite aujourd'hui vous rendre compte de mes dix premiers mois d'activité à la présidence de la Haute Autorité de santé et vous parler de l'avenir.

Ces dix mois ont été extrêmement denses et passionnants. J'ai été frappée par le haut niveau d'expertise et de rigueur scientifique des 400 salariés de la HAS et des 3 000 experts avec qui nous travaillons quotidiennement pour mener à bien l'ensemble de nos missions. C'est une très grande fierté pour moi que de présider la Haute Autorité de santé. Je dois dire que les salariés comme les experts sont animés par des valeurs professionnelles très fortes : celles, notamment, de la transparence et de l'indépendance, essentielles pour garantir l'impartialité de l'action que nous menons au service de la santé des Français.

La Haute Autorité de santé a de nombreuses missions, qui sont principalement l'évaluation des produits de santé, la certification des établissements, l'élaboration des recommandations des bonnes pratiques professionnelles et le renforcement de la sécurité des patients.

Comme vous le savez, l'année 2016 a été marquée, d'une part, par la loi de modernisation de notre système de santé, qui a confié à la Haute Autorité quinze missions supplémentaires ; d'autre part, par l'annonce de Mme la ministre de la santé sur la reprise par la HAS des activités du Comité technique des vaccinations (CTV). Il a donc fallu nous organiser et anticiper ce que serait le transfert de ce comité dans le contexte extrêmement polémique auquel donne lieu la vaccination dans notre pays. Nous sommes maintenant en ordre de marche pour rendre ce transfert effectif dès mars 2017, comme l'a souhaité Mme Touraine.

J'évoquerai quelques actions marquantes de cette année.

Nous avons visité 800 établissements de santé et rendu 800 décisions concernant leur certification, sur les 2 500 établissements que nous sommes amenés à visiter pendant une itération de quatre ans.

La grande nouveauté du dispositif de certification – version V2014 – est la mise en oeuvre de la méthode dite du « patient traceur », grâce à laquelle nous pouvons observer le trajet d'un patient à travers un établissement de santé. Les retours sont extrêmement positifs sur cette méthode qui permet de mieux suivre la réalité du vécu du patient dans les établissements, car elle se rapproche des pratiques professionnelles. Les équipes soignantes en sont extrêmement satisfaites, de même que les représentants des patients au sein des établissements.

Nous avons en particulier mené des travaux en particulier sur les indicateurs de qualité des soins, qui sont publiés sur le site Scope Santé. Scope Santé est un site d'information sur la qualité des établissements de santé, mission qui avait été transférée du ministère de la santé à la Haute Autorité et dont l'objectif est que les patients puissent se repérer dans notre système et connaître, d'une part, le niveau de certification des établissements, et, d'autre part, les résultats des indicateurs.

Une des grandes nouveautés est le dispositif « e-Satis », qui évalue la satisfaction des patients à la suite d'une hospitalisation. Tous les patients hospitalisés pendant plus de quarante-huit heures en médecine, chirurgie, obstétrique (MCO) sont amenés à donner un avis par internet. Cette année, plus de 56 000 patients ont répondu au questionnaire de satisfaction. Le premier résultat de cet indicateur a été rendu public à la fin du mois de décembre. Cet indicateur permet de comparer les établissements entre eux et à ceux-ci de suivre d'année en année l'évolution de la satisfaction des patients qui seront hospitalisés.

En ce qui concerne l'évaluation des produits de santé, la HAS a émis, au cours des derniers mois, de nombreux avis sur les secteurs sensibles du médicament. Mme Lemorton vient d'évoquer celui, très attendu, relatif aux médicaments anti-Alzheimer. Le collège a également rendu un avis sur l'élargissement du traitement de l'hépatite C à l'ensemble des malades. Nous avons aussi évalué des actes innovants tels que l'utilisation d'un robot chirurgical pour les actes de prostatectomie totale ou partielle, ou la thrombectomie en cas d'accident vasculaire cérébral (AVC) – ce qui va nécessiter une réorganisation des filières de soins de l'AVC. Concernant les dispositifs médicaux, nous avons évalué un premier dossier qui a été accepté dans le cadre du forfait innovation. Deux autres dossiers viennent d'être déposés et sont en cours d'évaluation.

Parmi les guides et référentiels de bonnes pratiques qui ont connu un fort succès, j'aimerais revenir sur le Référentiel de bonnes pratiques sur les applications et les objets connectés en santé, publié en novembre 2016 et répondant à une très forte demande des professionnels. L'objectif était de promouvoir l'usage et de renforcer la confiance des malades dans ces applications, et surtout de mieux guider les industriels et les évaluateurs concernant ces objets connectés.

Enfin, nous avons pris un certain nombre d'initiatives pour favoriser une évolution des mentalités dans le champ de la démocratie sanitaire. Nous avons d'abord organisé un colloque scientifique international sur l'intérêt de recueillir les points de vue des patients et des usagers dans le cadre de nos différentes missions. Nous avons également lancé une expérimentation dans le cadre l'évaluation des produits de santé. Avant tout passage d'un produit de santé devant la Commission de la transparence ou devant la Commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé (CNEDiMTS), nous recueillons l'avis des associations de malades concernées en amont de l'évaluation, de façon à enrichir la vision de la commission saisie sur les besoins non couverts des malades, leurs attentes par rapport à un nouveau médicament ou un nouveau dispositif. Je dois dire que les premiers résultats de cette expérimentation sont extrêmement contributifs.

Si je suis devant vous ce matin, c'est aussi pour parler de l'avenir, notamment des six prochaines années.

La nouvelle loi portant statut général des autorités administratives indépendantes (AAI) et des autorités publiques indépendantes (API) confirme que la Haute Autorité de santé est bien une autorité publique indépendante dans le champ de la santé. C'est la seule autorité publique indépendante à caractère scientifique dans notre pays.

Quelles que soient les missions que nous exerçons, notre objectif final est de contribuer à une meilleure qualité des soins pour nos concitoyens. En dix ans, la Haute Autorité de santé, grâce aux collaborateurs et à mes deux prédécesseurs, ainsi qu'à la qualité de ses avis, a trouvé sa place dans le paysage de la santé, que ce soit au niveau national ou international. Elle rend ses avis en toute indépendance. Elle a, au fil des ans, renforcé les mesures en faveur de la transparence de ses avis et elle n'a pratiquement jamais été désavouée concernant leur qualité.

Mais la HAS est confrontée à de nombreux défis. Il y a, bien entendu, celui de la transition épidémiologique, d'autant que nous avons affaire à des patients de plus en plus âgés, atteints de pathologies multiples qui rendent les prises en charge très complexes pour les professionnels. La démographie médicale, particulièrement sous tension et inégalement répartie sur le territoire, nécessite une bonne coordination des acteurs et une réflexion territoriale sur les parcours de soins et sur les filières de prise en charge les plus adaptées. Tout cela passe par des systèmes d'information partagés entre les différents acteurs.

Enfin, on note l'arrivée des innovations thérapeutiques ou organisationnelles qui s'accélèrent et qui sont clairement disruptives pour le système. Je pense notamment à la « e-santé » ou à l'exploitation des grandes données qui nécessitent pour la HAS des compétences particulières, pour pouvoir évaluer ces dispositifs, c'est-à-dire ce qu'apportent la « e-santé », la télémédecine ou les algorithmes décisionnels fondés sur les big data. Cela nécessite aussi que la HAS ait une grande agilité et une forte capacité à actualiser régulièrement ses recommandations et ses évaluations, tant le contexte et les prises en charge évoluent vite.

Il faut également souligner une évolution sociétale, se traduisant par une très forte attente – qui me paraît totalement légitime – des usagers en faveur d'une plus grande transparence et de la démocratie sanitaire. Les usagers ont du mal à se frayer un chemin dans notre système de santé, à se sentir acteurs de leur prise en charge et sont en demande d'informations. La HAS doit leur apporter un éclairage dans ce domaine.

Pour terminer, j'évoquerai la soutenabilité de la dépense publique, à laquelle la HAS apporte une forte contribution grâce à son expertise sur l'efficience, c'est-à-dire aux analyses médico-économiques dans le champ des produits de santé, ainsi que sur les parcours et la pertinence des soins.

Comment progresser sur ces sujets ?

Je commencerai par l'innovation, enjeu majeur pour garantir aux patients un accès rapide, équitable et sécurisé aux soins.

J'ai insisté devant vous, l'année dernière, sur la nécessité d'une réforme des outils et des procédures d'évaluation des produits de santé, la HAS étant plutôt favorable aux mesures prônées par le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et le rapport de Mme Dominique Polton.

Même si des modifications réglementaires ou législatives sont nécessaires, la HAS peut déjà avancer à droit constant. Nous sommes en train de travailler à la simplification, à la standardisation et à l'homogénéisation des critères d'évaluation du service médical rendu, et notamment sur le critère d'intérêt de santé publique. Nous mettons en place une argumentation systématique et standardisée de l'amélioration du service médical rendu, de façon que les industriels soient en capacité d'anticiper l'avis que nous rendons, et nous faisons évoluer la doctrine de la Commission de la transparence sur ces sujets, de manière à les objectiver.

Il est malheureusement difficile d'aller plus loin sans une évolution du droit. Sur le plan national et international, la HAS s'engage en faveur d'un accès rapide et équitable à l'innovation par différents mécanismes.

D'une part, nous organisons des rencontres précoces avec les industriels. Ces rencontres se font, soit au niveau national, soit avec l'European Medicines Agency (EMA), soit avec des agences internationales exerçant selon la méthode dite HTA – acronyme de Health Technology Assessment. La HAS s'implique de plus en plus dans les relations internationales au sein du réseau des agences HTA. La HAS, qui est certainement l'une des plus grosses structures dans le champ de l'évaluation des technologies de santé, aura un rôle prédominant à jouer au sein des agences européennes d'évaluation technologique du réseau European Network for Health Technology Assessment (EUnetHTA), notamment à l'heure du Brexit, avec le risque de départ du National Institute for Health and Clinical Excellence (NICE) de ce réseau.

La Commission européenne s'interroge sur l'évolution des agences d'évaluation des technologies de santé au niveau européen et souhaite aller vers un schéma plus harmonisé. Nous sommes amenés à rendre un avis sur une consultation publique, qui s'achève cette semaine, à la fois au niveau national et au niveau de l'agence, pour indiquer à la Commission européenne le schéma d'avenir auquel nous sommes le plus favorable.

Nous participons également à la réflexion en cours sur le prix des médicaments. Vous connaissez la prise de position de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). La HAS a pu évoquer des prix par indication ou des mécanismes de remboursement temporaires, conditionnés à des recueils de données en vie réelle, mais qui supposeraient des modifications législatives. Nous attendons des décisions en la matière.

Enfin, j'avais prôné devant vous, l'année dernière, la nécessité de rapprocher les avis de différentes commissions, et notamment la nécessité de rapprocher l'évaluation économique et l'évaluation purement médicale dans le champ des produits de santé. Il est clair que nous devons aller vers des avis d'efficience sur les stratégies thérapeutiques. Pour cela, l'article 143 de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, qui est une avancée majeure de la loi de modernisation de notre système de santé, nous permet maintenant de publier des avis intégrés avec une liste de médicaments préférentiels par pathologie qui permettra d'éclairer les professionnels de santé sur les stratégies les plus efficientes.

Les recommandations de la HAS ont été souvent considérées comme trop denses et trop peu réactives. Nous avons adopté, en mars 2016, une nouvelle procédure qui nous permet d'aller vers des partenariats avec les sociétés savantes ou des structures académiques de façon à co-construire des recommandations de bonnes pratiques en toute garantie d'indépendance, grâce à quoi nous pourrons être beaucoup plus réactifs à l'avenir. Cela permettra également une meilleure appropriation des recommandations de bonnes pratiques par les professionnels de santé qui seront impliqués dès l'amont dans leur rédaction.

Pour ces deux sujets – avis d'efficience et recommandations de bonnes pratiques –, nous avons besoin de nous appuyer à l'avenir sur des expertises académiques, comme le fait le NICE, qui contractualise un certain nombre d'expertises avec des structures académiques. Les Américains contractualisent également avec les grands hôpitaux. C'est pour nous une voie d'avenir si nous voulons produire des recommandations concernant l'ensemble du champ de la médecine.

Nous allons redoubler d'efforts sur la médecine de premier recours et le champ ambulatoire, qui prennent de l'ampleur dans notre pays. Les médecins généralistes ont besoin de documents adaptés à leur pratique. Nous allons produire des fiches mémos et des recommandations sur la pertinence des soins, de façon à les accompagner dans des prises en charge de plus en plus complexes.

J'en viens à la question de la certification.

L'enjeu qui s'attache à la certification des établissements de santé consiste à travailler sur des indicateurs de qualité et de sécurité des soins de plus en plus médicalisés. Aujourd'hui, trop d'indicateurs sont encore des indicateurs de processus. Si nous voulons impliquer les équipes soignantes dans l'évaluation de leurs établissements, il faut qu'elles se sentent concernées et que les indicateurs ou la certification se rapprochent le plus possible de la pratique médicale. C'est ce sur quoi nous devons travailler.

Il faut que nous prenions en compte les résultats des soins prodigués et la réalité du vécu du patient. Nous cherchons donc des indicateurs de résultats.

Nous allons prendre en compte les groupements hospitaliers de territoire (GHT) pour être en mesure d'évaluer les filières de soins territoriales.

Enfin, je note que le dispositif d'incitation financière à l'amélioration de la qualité des soins (IFAQ), coordonné par la direction générale de l'offre de soins (DGOS) et qui se fonde sur nos indicateurs, semble rencontrer un grand succès. Les établissements apprécient ce dispositif, dont l'objectif est que les indicateurs de qualité correspondent aux pratiques des établissements.

Nous allons renforcer le niveau et la clarté de l'information donnée sur le site Scope Santé, destiné au grand public mais qui, pour l'instant, est essentiellement suivi par les professionnels. Nous devons donc le rendre plus accessible.

Il existe également des enjeux liés à la sécurité des patients. Plus de 300 000 événements indésirables graves surviennent tous les ans sur notre territoire, dont 40 % seraient évitables. Près de 25 % d'entre eux sont liés à une mauvaise coordination des acteurs de santé. Il est donc nécessaire de renforcer le travail en équipe et d'améliorer les démarches d'accréditation des professionnels de santé en s'orientant, dans les prochaines années, vers l'accréditation des équipes.

J'en arrive aux principales actions qui me tiennent à coeur pour les années qui viennent et que je tâcherai de mettre en oeuvre avec le collège si vous me renouvelez votre confiance.

J'espère que la HAS gagnera en lisibilité. Aujourd'hui, elle est difficilement accessible au grand public et même aux professionnels, du fait de la multiplicité de ses missions et d'un programme de travail très éparpillé. Je souhaite que la HAS soit plus proactive dans la construction de son programme de travail. Aujourd'hui, elle dépend essentiellement des commandes et des saisines du ministère et de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS). Je souhaiterais que nous ayons une capacité d'autosaisine plus importante nous permettant d'avoir une stratégie dans la durée et d'apparaître plus clairement aux yeux des professionnels ou des pouvoirs publics comme prenant position sur les grands sujets de santé publique.

Nous devons nous recentrer sur nos missions à très forte valeur ajoutée et peut-être en supprimer certaines, de façon à revenir à notre valeur ajoutée scientifique.

Enfin, nous devons veiller à l'adéquation de nos moyens à ces missions. J'ai déjà soulevé ce point devant vous, l'année dernière, mais il sera nécessaire, d'ici à 2018, de proposer un budget « socle » – nous aurons alors considérablement diminué notre fonds de roulement – afin que nous puissions assumer nos missions et rendre le service attendu pour la qualité de la médecine française.

La HAS doit également accompagner de façon résolument proactive le virage ambulatoire. Elle doit affirmer sa volonté de s'ouvrir à ce secteur et aux soins de ville, de façon à mieux accompagner les professionnels de premier recours, les organisations de soins, les questions de coordination, les outils et logiciels d'aide à la prescription. La HAS doit s'intéresser non seulement aux établissements de santé, mais aussi aux soins de ville. Il me semble également indispensable d'intégrer les mesures de prévention dans nos recommandations, de passer d'un parcours de soins à un parcours de santé, sur lequel la HAS a son mot à dire même lorsque les individus sont encore sains. Il est du ressort de la Haute autorité de santé d'indiquer comment préserver sa santé.

En ce qui concerne l'innovation, la HAS doit jouer pleinement son rôle et être consciente de sa responsabilité. Nous devons tenir les délais de réponse aux industriels et mettre en place des leviers d'accélération des processus pour ne pas retarder la mise en oeuvre de l'innovation pour les malades, mais aussi nous porter garants de la sécurité et de l'excellence des produits de santé pour assurer aux patients un maximum de sécurité, face aux risques de scandales sanitaires que vous connaissez. Nous devons trouver cet équilibre. La Haute Autorité de santé, par son expertise scientifique, peut jouer ce rôle d'accélérateur, tout en garantissant à nos concitoyens une très bonne qualité des soins.

Enfin, je souhaite plus que jamais placer les patients et les usagers au coeur de nos approches et au coeur du système, car ils sont les bénéficiaires ultimes de notre action, et nous ne pouvons pas construire le système, le penser ou l'évaluer sans que les patients et les usagers soient des partenaires actifs de la Haute Autorité de santé.

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