Je suis arrivé en France en 1963. J'ai également passé quinze ans aux États-Unis, au Canada et au Royaume-Uni. Mon expérience me permet de dire que les Français regardent surtout vers le marché intérieur alors que les Américains, les Canadiens, les Britanniques ou les Allemands regardent vers l'extérieur, ce que vérifie également l'écart des balances commerciales, notamment françaises et allemandes.
Je représente une société phare du Mittelstand, la société Stihl, leader mondial dans son domaine. Ce qui me frappe, c'est qu'en France, pour évoquer les relations, souvent conflictuelles, au sein des entreprises, on oppose le « patron » au « travailleur », alors qu'en Allemagne, on parle de l'« entrepreneur » et du « collaborateur ». Cette différence sémantique est très importante : en effet, un entrepreneur entreprend un projet et un collaborateur y participe en travaillant aux côtés de l'entrepreneur, alors qu'en France un vrai fossé existe entre le patron et le travailleur.
Une étude réalisée pour le Fonds stratégique d'investissement montre que le cercle vertueux des entreprises familiales du Mittelstand tient au fait que la plupart d'entre elles se concentrent sur des niches et consolident leur avantage concurrentiel grâce à des innovations incrémentales, qui sont des améliorations modestes et graduelles dont la caractéristique est de ne pas modifier fondamentalement le produit. C'est ainsi que la Golf de Volkswagen n'a cessé de changer d'aspect depuis sa création – les matériaux ainsi que les normes légales ont changé –, mais sans que ces modifications aient entraîné une dévaluation complète de la version précédente, alors que si l'aspect ou la technologie d'un produit est totalement modifié, le modèle précédent perd toute valeur. Si la plupart des sociétés allemandes industrielles ou de recherche anticipent l'évolution des techniques et des législations, elles le font dans le cadre d'une amélioration continue des projets.
L'étude révèle aussi que l'écosystème du Mittelstand est le fruit d'un héritage historique. On ne saurait donc l'importer tel quel en France. L'histoire du Mittelstand commence bien avant la Seconde Guerre mondiale dans le cadre d'une législation qui favorisait la transmission des sociétés à l'intérieur des familles grâce à une taxation avantageuse. Les PME ont également bénéficié de relations étroites avec les banques, les sociétés de recherche et les instituts, relations qui ne sont pas réservées aux seuls grands groupes. Le Mittelstand est donc intégré à l'ensemble du tissu industriel et commercial allemand.