Intervention de Gilles Lurton

Séance en hémicycle du 26 janvier 2017 à 9h30
Extension du délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGilles Lurton :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, chers collègues, vous nous avez affublés, lors de la première lecture de ce texte, du qualificatif de « députés les plus réactionnaires de cet hémicycle ». Je ne sais pas si c’est vrai, mais pour ce qui me concerne, l’interruption volontaire de grossesse est un droit, une liberté de la femme depuis le vote de la loi Veil promulguée le 17 janvier 1975.

Parce que je suis attaché à la préservation de ce droit, j’ai voté la proposition de résolution de Mme Coutelle, le 26 novembre 2014, visant à réaffirmer le droit à l’interruption volontaire de grossesse en France et en Europe.

En revanche, je me suis toujours opposé aux dispositions que vous avez souvent fait voter à la sauvette au détour d’un amendement sans rapport avec les textes en examen et qui ont porté de sérieux coups à la loi Veil – suppression de la mention de situation de détresse, suppression du délai de réflexion de sept jours, et j’en passe.

Mais aujourd’hui, la seule question que nous devons nous poser à la lecture de ce texte est celle de la liberté d’expression. Mes chers collègues, je veux vous convaincre de la sincérité de mes propos. Je ne me suis jamais défaussé devant un débat difficile. J’ai sans doute commis des erreurs, mais j’ai toujours exprimé mes convictions. En l’espèce, sur ce texte, elles ne sont en aucun cas une façon déguisée d’exprimer une position anti-IVG.

La rédaction initiale du délit d’entrave avait pour objet de sanctionner les actes physiques empêchant la réalisation d’une interruption volontaire de grossesse. Mais, vous le savez, la définition de ce délit a été étendue par la jurisprudence.

Le rapport pour avis du sénateur Michel Mercier a identifié deux catégories de risques d’inconstitutionnalité et d’inconventionnalité. Je les crois particulièrement fondés.

Tout d’abord, le principe constitutionnel de légalité, qui découle de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, impose au législateur « la nécessité de fixer lui-même le champ d’application de la loi pénale », mais aussi de définir « les infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire » ainsi que « d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques ».

Or, le fait d’étendre l’infraction aux « allégations, indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif » introduit un élément d’incertitude dans la définition du délit.

Les termes ne sont pas suffisamment clairs et précis et pourraient exposer ce texte à une censure constitutionnelle. C’est le sens des articles 34 de la Constitution et 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Les dispositions de la proposition de loi pourraient également être contestées au regard du principe constitutionnel de nécessité des peines, fondé sur les articles 5 et 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. En effet, en France, les peines prononcées sont proportionnelles à la gravité du délit ou du crime. Sont déjà punies par une peine comprise entre 12 000 euros d’amende et un an de prison et 45 000 euros d’amende, l’injure, la diffamation, l’incitation à la haine ou la contestation de crime contre l’Humanité. Dès lors, une peine de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende est susceptible d’être jugée disproportionnée pour un délit résultant du seul exercice de la liberté d’expression.

Sur le plan conventionnel, la liberté d’expression et la liberté d’opinion permettent à quiconque de partager ses opinions, même hostiles à certains comportements, sans être tenus à une obligation d’impartialité. La liberté d’expression inclut le droit d’essayer de persuader autrui du bien-fondé de ses convictions, dans le respect de l’ordre public. De plus, l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales garantit une liberté d’expression qui peut « heurter, choquer ou inquiéter ».

Cette proposition de loi semble, en plus, ignorer le fonctionnement d’internet. Le fait que la visibilité des contenus que vous souhaitez condamner soit excessive ne sera jamais corrigé par la création d’un délit. Quand une opinion est dominante sur internet, elle relève d’une mobilisation très forte et communément partagée. Exprimer son opinion sans être traçable, de manière anonyme et presque invisible est devenu si facile, qu’il rendra chimérique l’application de cette proposition de loi.

Mes chers collègues, qu’on ne se méprenne pas sur mes propos. Je sais combien les propos que l’on trouve sur internet sont insupportables. Je ne défends pas leur contenu, que je condamne d’ailleurs à titre personnel. Mais la liberté d’expression ne doit pas concerner les seules personnes avec qui nous sommes d’accord, sinon nous sombrons dans l’arbitraire.

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