Intervention de Laurence Dumont

Réunion du 25 janvier 2017 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaurence Dumont, rapporteure :

La proposition de loi que je vous présente, qui est cosignée par l'ensemble des membres du groupe Socialiste, écologiste et républicain, a été déposée il y a déjà plus d'un an, en septembre 2015. Je suis heureuse qu'elle ait pu enfin être inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.

Ce texte vise à compléter les modalités de dépôt de candidature aux élections afin d'empêcher les manoeuvres de responsables de liste qui souhaiteraient « enrôler » des candidats en recueillant leur consentement de manière frauduleuse. De nombreux cas de « candidats malgré eux », ainsi que la presse les a baptisés, ont en effet été signalés, vous vous en souvenez sans doute, lors des élections municipales de 2014 et départementales ou régionales de 2015. Si le ministère de l'Intérieur n'est malheureusement pas en mesure de nous fournir des statistiques précises, le phénomène a atteint une ampleur qui justifie que nous nous en saisissions.

Les déclarations de candidature à ces différents scrutins sont, vous le savez, des démarches collectives : le responsable de la liste collecte les déclarations de candidature de chacun des candidats et dépose ensuite les formulaires, accompagnés des pièces justificatives, auprès des services préfectoraux. Cette procédure vise à éviter une multiplication des démarches et un encombrement inutile des services de l'État qui enregistrent les déclarations de candidature.

Le problème est que ces modalités ne prémunissent pas aujourd'hui contre des manoeuvres émanant de responsables politiques mal intentionnés. Le procédé utilisé est toujours le même : prétextant la signature d'une pétition ou d'un parrainage à une élection, voire une simple inscription sur une liste électorale, le responsable fait en réalité signer des formulaires de candidature aux élections. Ce n'est qu'une fois la liste enregistrée auprès des services préfectoraux, et souvent en lisant la presse, que les personnes abusées se rendent compte qu'elles ont été inscrites en tant que candidates sur une liste. Le phénomène touche plus particulièrement les petites communes et émane principalement d'un seul parti, ne le cachons pas, le Front national.

Or, une fois que la liste a été enregistrée et que le délai légal de dépôt est dépassé, il n'est plus possible de la modifier. Les candidats inscrits contre leur gré ne peuvent donc se retirer. Dans mon département, il a ainsi été établi que la liste constituée par le Front national pour les municipales de 2014 dans la commune de Giberville comprenait huit personnes, sur vingt-sept, dont le consentement avait été recueilli de manière frauduleuse.

La seule voie de recours est alors de saisir le juge de l'élection, qui peut constater ces manoeuvres et invalider l'élection de la liste concernée, en assortissant éventuellement cette annulation d'une peine d'inéligibilité pour les candidats qui se sont livrés à de pareilles manoeuvres. C'est ce qu'a fait le tribunal administratif de Caen dans le cas de Giberville : il a annulé l'élection des deux candidats du Front national – le conseil municipal va donc siéger jusqu'aux prochaines élections avec deux sièges non pourvus – et condamné la tête de liste à un an d'inéligibilité.

Ce type de procédé nuit à la sincérité du scrutin : sans ces manoeuvres qui ont permis au Front national de constituer une liste à la hâte, celui-ci n'aurait pas pu se présenter devant le suffrage des électeurs de la commune. En outre, quand il est établi que ce type d'irrégularités est de nature à fausser les résultats du scrutin, le juge administratif peut être amené à annuler l'ensemble des opérations électorales, ce qu'il n'a pas fait dans le cas que je viens de citer car il a jugé que le score de la liste concernée n'était pas suffisamment élevé pour remettre en cause l'ensemble du processus électoral. Mais c'est ce qui s'est produit, par exemple, à Vénissieux, où le scrutin de mars 2014 a été annulé par le juge administratif.

Les manoeuvres ainsi organisées sont donc lourdes de conséquences : elles dupent les électeurs, elles pénalisent l'ensemble des listes et elles peuvent entraîner des dépenses publiques nouvelles s'il s'avère nécessaire d'organiser de nouvelles élections. Elles touchent au fondement de notre démocratie, dont elles remettent en cause le fonctionnement.

Il faut également prêter attention au préjudice subi par ces « candidats malgré eux », qui ont vu leur nom associé à un parti politique dont ils ne partagent pas forcément les valeurs. Le traumatisme – il n'y a pas d'autre mot – est particulièrement important dans certaines petites communes. Je peux en témoigner aujourd'hui encore, trois ans après les municipales.

Le dispositif que je vous propose est très simple : il s'agit d'assortir les déclarations de candidature d'une formule manuscrite de chaque signataire, par laquelle celui-ci s'engage à se porter candidat aux élections. En outre, un justificatif d'identité sera désormais exigé afin de s'assurer du caractère réellement volontaire et éclairé de la démarche.

Les articles 1er, 3 et 4 s'appliquent aux élections à scrutin de liste – municipales, régionales et européennes –, tandis que l'article 2 concerne les remplaçants aux élections départementales, lors desquelles des cas ont déjà été signalés. Outre quelques amendements rédactionnels ou relatifs à l'application du texte dans les outre-mer, je vous proposerai d'étendre également ces formalités supplémentaires aux suppléants des candidats aux élections législatives ainsi qu'aux candidats aux élections sénatoriales, afin que notre législation offre les mêmes garanties quelle que soit l'élection concernée.

Telle est la proposition de loi que je souhaite nous voir adopter.

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