Intervention de Daniela Schwarzer

Réunion du 18 janvier 2017 à 8h30
Commission des affaires européennes

Daniela Schwarzer, directrice de l'institut de recherche de la DGAP, Société allemande des relations internationales :

Un échange franco-allemand sur les questions que vous venez d'évoquer est très important et j'observe avec satisfaction que des rencontres sont régulièrement organisées, notamment par votre ambassade à Berlin, pour nourrir cet échange. Ce sera d'autant plus important au cours de la présente année, dont je suis convaincue qu'elle sera décisive pour l'avenir de l'Europe. Je commencerai donc par justifier cette analyse, sur la base de trois éléments.

Vous avez, tout d'abord, évoqué le Brexit et le discours prononcé hier par Theresa May. Mme May reproche à l'Union européenne d'être responsable de beaucoup de choses au Royaume-Uni et dit que son pays peut à présent se libérer des contraintes. Elle a évoqué la réforme des écoles, la modernisation du pays, la démocratie : ces sujets n'ont à mon sens rien à voir avec l'intégration européenne. Ce faisant, elle nourrit cependant la position de ceux qui souhaitent affaiblir l'image de l'Union européenne, les partis populistes de droite et de gauche, et cela rendra d'autant plus difficile la position des partis modérés.

Le deuxième élément, c'est l'arrivée au pouvoir, le 20 janvier, d'un président américain qui ne semble pas penser qu'une Union européenne forte soit dans l'intérêt stratégique des États-Unis. Peut-être, dans le meilleur des cas, est-il simplement indifférent, mais sa position vis-à-vis du Royaume-Uni est un premier élément montrant qu'il cherche plutôt à diviser les Européens et à rendre les choses plus difficiles pour ceux qui sont en train de négocier l'avenir. De même, sa position sur la Russie, bien que nous ne la connaissions pas encore parfaitement, pourrait nourrir des tensions au sein de l'Union européenne.

Ayant travaillé pour une organisation américaine pendant quelques années et passé beaucoup de temps aux États-Unis, observant des débats sur l'Europe à Washington, je peux dire que nous avons tendance à sous-estimer l'influence positive que l'administration Obama a eue sur la cohésion de l'Europe. Si cette influence disparaît, la situation va devenir plus difficile au sein de l'Union. Cela rend la responsabilité de l'Allemagne et de la France – et d'autres grands pays mais surtout de ces deux-là – d'autant plus importante pour maintenir la cohésion européenne.

Troisième élément : les élections en France et en Allemagne. On dit souvent que l'on ne peut rien faire avant des élections mais, à partir d'octobre ou novembre, quand l'accord de coalition aura été négocié et le Gouvernement allemand établi, nous entrerons dans une période d'ouverture pour l'action politique, et nos pays ont la responsabilité de préparer des options dès maintenant. J'ai appris avec beaucoup de plaisir, dans votre invitation, que vous étiez en train de préparer un rapport, de même que le Sénat : il est très important de nourrir cette réflexion.

Il existe certes des risques politiques. En Allemagne, pour la première fois un parti populiste de droite a de fortes chances d'entrer au Parlement avec un groupe assez important de députés, les sondages indiquant de 12 à 14 % d'intentions de vote pour ce parti antieuropéen, xénophobe et anti-immigration. Il ne me semble pas envisageable que ce parti fasse partie du Gouvernement mais une entrée en nombre au Parlement changerait le contexte du discours. C'est la même chose en France, où l'impact du Front national sur les discussions européennes est réel.

Le contexte politique mondial est en train de changer. Le changement de pouvoir aux États-Unis impliquera sans doute aussi un changement dans la gouvernance mondiale. Certains propos du président Trump font en effet penser que les États-Unis ne seront plus l'ancrage de l'ordre mondial démocratique. C'est donc la responsabilité de l'Europe de reprendre, au moins en partie, ces fonctions de défense de l'ordre démocratique et de l'ouverture internationale.

J'en viens à vos questions. J'ai commencé d'évoquer le moteur franco-allemand. La coopération entre nos deux pays est très étroite et fonctionne au quotidien. Entre les Parlements comme entre les ministères, des liens ont été créés grâce au traité de l'Élysée et, à l'occasion de son anniversaire en 2003, ces liens administratifs et politiques ont été encore renforcés. Néanmoins, s'il n'y a pas d'accord politique au plus haut niveau, ces liens ne peuvent donner lieu à de grands projets politiques.

Je suis convaincue qu'il faut approfondir la coopération au sein de la zone euro. De nombreux progrès ont été réalisés depuis 2010 et la crise bancaire et de la dette qui a touché la Grèce et d'autres pays, remettant en question l'existence même de la monnaie unique : création du fonds de stabilisation et réforme des procédures de coordination des politiques économiques et fiscales. Nous avons besoin de davantage d'instruments de solidarité et de soutien au sein de l'union monétaire, et notamment d'éléments de politique budgétaire. En Allemagne, cette position n'est pas largement partagée car le point de vue prévaut que les éléments de solidarité représentent un risque s'il n'y a pas de mécanismes de contrôle suffisants. Un compromis franco-allemand sur le sujet doit donc intégrer ces deux éléments.

Pour parvenir à ce compromis, les politiques nationales doivent changer. Pour la France, je pense qu'il est très important que les réformes du système économique et social se poursuivent. C'est quelque chose qui est regardé de très près par le Gouvernement allemand car, pour justifier davantage d'intégrations, une certaine convergence est nécessaire. Du côté allemand, une réflexion au sujet des méfaits de la politique nationale sur l'économie européenne doit se faire jour. La situation budgétaire de l'Allemagne est en ce moment très saine et le pays devrait peut-être en profiter pour favoriser l'investissement et la croissance, tout en gardant son excellente compétitivité.

Si le dialogue sur ces sujets et sur une meilleure coordination entre les initiatives franco-allemandes, notamment en matière d'innovation, de productivité, de flexibilité, avance, nous aurons déjà résolu une bonne partie du problème de la zone euro, car les deux pays représentent 47 % du PIB de cette zone.

Il existe de forts risques dans la zone euro, notamment dans le secteur bancaire, en Italie mais aussi en Allemagne. Nous devons nous préparer politiquement à une nouvelle phase de crise. L'expérience depuis 2010 a montré qu'une étroite coordination franco-allemande était à cet égard très importante.

En ce qui concerne la sécurité, la défense, le renseignement, comme vous le savez, nous avons vécu un attentat à Berlin juste avant Noël, commis par l'État islamique. Une forte réaction politique avait déjà eu lieu en Allemagne à la suite des attentats en France et en Belgique. Le débat en Allemagne a avancé, notamment au sujet de notre structure fédérale de services de renseignement, mais aussi sur la coopération dans ces domaines.

L'Allemagne conduit depuis trois ans une réflexion stratégique sur sa politique étrangère, avec en particulier un Livre blanc sur la défense. Il en ressort une analyse de la nécessité pour l'Allemagne d'investir, mais aussi l'idée que le cadre européen, Union européenne et OTAN, est le cadre important en matière de défense : l'Allemagne continue de réfléchir à sa politique étrangère à travers le prisme de l'Union européenne. Le sujet de la politique de défense et des interventions militaires est, vous le savez, difficile en Allemagne, mais le Gouvernement a fait en sorte que ce débat ne soit pas conduit entre experts à Berlin mais que ce soit un débat national. À mon avis, l'Allemagne se prépare à jouer un rôle plus important. Il convient de trouver une stratégie commune entre nos deux pays.

La zone euro me semble constituer un noyau dur. Je ne pense pas que nous verrons bientôt une zone euro intégrant tous les États de l'Union européenne. La France a d'ailleurs souvent poussé à la création d'institutions exclusives à l'union monétaire, Eurogroupe et sommet de la zone euro, ce à quoi l'Allemagne a longtemps été réticente car elle craignait un découplage entre la zone euro et le marché intérieur, mais il existe aujourd'hui un consensus plus important sur le fait qu'une union monétaire a besoin d'un cadre propre de coordination politique.

L'avenir de l'union des vingt-sept États sera à mon avis plus différencié que ce que nous connaissons aujourd'hui : nous verrons des groupes de pays se mettre d'accord et coopérer sur certaines politiques. Cela se pratique déjà en matière de politique étrangère. Des efforts sont certes déployés pour renforcer une approche commune des vingt-sept États, avec la stratégie globale de Mme Mogherini et la réflexion sur la politique de défense, mais la réalité politique suggère que ce sont des petits groupes de pays qui avanceront sur des initiatives spécifiques. L'important, c'est que le cadre communautaire, les institutions à Bruxelles ne perdent pas davantage d'influence. L'image de ces institutions a souffert, résultat de la crise que nous vivons depuis des années mais aussi de la manière dont les Gouvernements interagissent avec ces institutions et dont les élites politiques en parlent. Il est nécessaire de recrédibiliser le cadre institutionnel à Bruxelles.

Cela me conduit à votre question sur les réformes du cadre institutionnel. Des réformes me semblent en effet nécessaires. Le Parlement européen devrait travailler sur les questions de la zone euro de manière plus visible. Je ne pense pas qu'il faille un Parlement propre pour la zone euro mais peut-être qu'une partie du Parlement européen pourrait travailler sur ces questions. Si l'intégration de la zone euro avance de la manière dont je l'ai décrite, il faudra un contrôle démocratique à l'échelle de la zone euro, surtout si l'on introduit des éléments de politique budgétaire.

Les Parlements nationaux ont un rôle important à jouer. Les mécanismes existants permettent déjà un contrôle mais l'agenda poursuivi est plutôt négatif : il s'agit souvent de s'assurer que l'Europe ne fait rien de mauvais. Il faut selon moi changer d'approche et réfléchir à la manière dont les Parlements pourraient jouer un rôle plus positif de définition des priorités. Beaucoup de travaux ont lieu au niveau national, vos réunions et vos rapports en témoignent, mais les contacts entre parlementaires doivent être renforcés, en partie de manière informelle car il n'y a pas encore de connaissance approfondie des questions qui sont importantes dans les autres pays. Ayant dirigé pendant deux ans un grand projet de rencontre entre parlementaires nationaux, avec un réseau de 120 parlementaires, je vois comment un dialogue moins formel peut nourrir la compréhension mutuelle et la réflexion sur l'avenir de l'Europe.

Le référendum est un instrument très risqué d'un point de vue politique. La plupart des pays ont opté pour des systèmes de démocratie représentative que je trouve adéquats pour des questions aussi complexes que l'avenir de l'Europe. Le contexte de communication politique a par ailleurs beaucoup changé ces dernières années, et, on l'a vu au cours des dernières élections américaines, la question de l'objectivité des médias, et notamment des réseaux sociaux, est posée. Avec un référendum comme celui sur l'Ukraine aux Pays-Bas, le risque est que les gens répondent en fait à une autre question et que l'opinion publique soit fortement manipulée avant le vote.

Je suis donc très prudente vis-à-vis de cet outil. Cependant, si nous décidons – bien que je ne le voie pas dans les trois prochaines années – une grande réforme du traité européen, il est évident que certains pays devront organiser un référendum, et il sera alors très difficile de ne pas en organiser dans les autres pays. Ce qui impliquerait un changement constitutionnel en Allemagne, où cet instrument n'existe pas.

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