Intervention de Daniela Schwarzer

Réunion du 18 janvier 2017 à 8h30
Commission des affaires européennes

Daniela Schwarzer, directrice de l'institut de recherche de la DGAP, Société allemande des relations internationales :

Merci, madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, pour ces réactions extrêmement riches, qui m'incitent à la réflexion, indépendamment même du cadre de notre audition.

Qu'en est-il aujourd'hui de la zone euro ? Faut-il en faire le noyau dur de l'Europe ? Faut-il la réformer ? Selon moi, en l'absence de réforme, le risque d'éclatement de la zone euro est élevé. Il est extrêmement compliqué de trouver un compromis franco-allemand, mais c'est possible. Et si, au contraire, nous attendons, pourrons-nous, simultanément, développer les institutions et gérer une nouvelle crise ? C'est ainsi que les choses se passent depuis 2008. Selon moi, il serait préférable de retravailler tranquillement toutes ces questions extrêmement compliquées. Demandons-nous très sérieusement ce que nous risquerions à ne pas agir ! Une telle réflexion ne peut être publique. Pour ma part, j'entame des travaux lundi prochain avec les Allemands sur les scénarios de crise envisageables et le coût d'une préparation insuffisante.

Au moment de la crise, quand les tensions étaient très vives, l'avenir de la Grèce au sein de la zone euro a été l'objet, en Allemagne, d'importants débats. Nombreux étaient ceux qui estimaient que ce pays ne voulait pas coopérer et que la Grèce, comme l'Italie, ne pouvait vivre avec une monnaie forte et les structures mises en place ; c'est à la fois une question d'architecture et d'instruments et une question de volonté politique et de culture. Cette question du Grexit, à laquelle une réponse a été donnée en 2015, au niveau du Conseil européen, et qui était l'objet d'intenses échanges entre les gouvernements français et allemand, n'était pas seulement économique et financière, c'était aussi une question géopolitique. C'est un changement important, pour l'Allemagne, que celui qui l'a conduite à envisager la question de la cohérence et de l'existence de la zone euro, avec tous ses membres, d'une manière plus géopolitique.

Si nous n'agissons pas sur la zone euro, quel en serait le prix, en termes économiques, en termes de stabilité des pays membres susceptibles de la quitter mais aussi en termes géopolitiques et de crédibilité de l'Union européenne ? Le contexte politique est de plus en plus difficile. La meilleure option n'est-elle pas de retravailler pour que le système fonctionne ? Nous avons plus à perdre en renonçant à la monnaie unique, d'autant que la procédure de divorce serait très compliquée. La question n'en est pas moins légitime car, au bout de dix-sept ans de monnaie unique, les pays du sud de l'Europe ont des problèmes économiques et sociaux.

Cela m'amène à la question de l'Europe sociale. Je suis convaincue, personnellement, que nous devons avancer. Entre le chômage des jeunes et la migration des jeunes qualifiés des pays du Sud, nous ne sommes pas sur la voie d'une Europe plus équilibrée. Il nous faut donc y travailler, avec des instruments européens. Je l'ai dit tout à l'heure : la zone euro doit réfléchir davantage aux mécanismes et instruments de stabilisation – cela inclut un volet social. En Allemagne, les sociaux-démocrates se préoccupent de cette question, mais le débat doit mûrir. Ces considérations seront mieux entendues si nous montrons à quel point l'Allemagne profite de la situation en Europe et dans la zone euro, alors même que les citoyens allemands ont plutôt l'impression d'être tout le temps en train de payer pour les autres. Il y a là un décalage de perception sur lequel il faut travailler.

Effectivement, une initiative en matière de défense, proposée par la France et l'Allemagne, serait souhaitable, mais, dans ce domaine, c'est sans doute la France qui est le pays le plus fort, le plus crédible et le plus ambitieux. L'Allemagne n'en évolue pas moins, avec cette réflexion stratégique engagée par notre gouvernement, qui prépare le public et le parlement allemands à une prise de responsabilités plus importante. Cette évolution est plutôt positive, mais je suis d'accord avec vous : nous sommes toujours dans cette situation où le couple franco-allemand fonctionne parce qu'il y a un leader en matière économique et un leader en matière de politique de défense et de politique étrangère.

En Allemagne, nous ne parlons pas assez de l'Afrique. Il est donc bon que la France l'évoque dans le cadre du dialogue franco-allemand et au niveau européen. Entre le changement climatique, les conflits, l'instabilité politique, les problèmes de sécurité dans plusieurs régions d'Afrique, les migrations vers l'Europe risquent d'être plus nombreuses, et elles peuvent déstabiliser le continent africain lui-même. En Allemagne, cette question est sous-traitée ; la France peut apporter beaucoup de ce point de vue.

Quant à l'accord avec la Turquie, pays dont nous connaissons l'actualité, qu'advient-il si M. Erdoğan décide de s'en servir pour mettre la pression sur l'Union européenne ? Plus généralement, nous avons autour de nous des acteurs qui constatent les faiblesses de l'Union européenne et sont prêts à en jouer. Nous devons donc comprendre que notre cohérence interne et notre coopération politique sont plus importantes que jamais. Préparons-nous et évitons que nos faiblesses soient utilisées contre nous. Dans une situation politique extrêmement fragile, ne disons pas que c'est dans les deux ans ou jamais que l'Europe doit être renforcée, car certains acteurs essaieront de rendre impossible ce progrès politique dans les deux ans. Nos responsabilités sont plus grandes que nous ne le croyons.

Quant à nos cultures respectives, oui, la situation actuelle est perçue très différemment d'un pays à l'autre. Ainsi, en matière économique, la crise est toujours l'objet de deux récits différents, même au sein de la zone euro ; en Allemagne, je n'entends pas le même discours qu'à Paris. Si nos analyses sont différentes, nos réponses politiques le sont aussi, forcément. Cela s'explique par des intérêts économiques différents mais aussi par un contexte idéologique différent, une pensée économique tout à fait différente. Ayant travaillé en France et en Allemagne, ayant également beaucoup travaillé avec Britanniques et Américains, je mesure à quel point le simple fait de se rendre compte de ces différences suppose un énorme travail. J'en tire la conclusion qu'il faut commencer très jeune à développer une compréhension de l'autre. Les programmes d'échanges, entre étudiants mais pas seulement, méritent donc un engagement plus fort. Le modèle des écoles bilingues se développe en Allemagne, même dans le secteur public. Ne pas comprendre la langue de l'autre, c'est déjà un très grand obstacle, notamment sur la voie de l'accès à sa culture. Pour une compréhension profonde de l'autre, pour comprendre, par exemple, la place de l'État dans une société, il faut comprendre la langue, connaître la culture et l'histoire du pays. Nous devons donc investir davantage, construire des éléments de société européenne et former des citoyens européens pour qu'ils puissent participer dans ce système.

Quant au climat, madame la présidente, effectivement, l'Europe doit prendre davantage de responsabilités, surtout à l'heure de certains changements aux États-Unis. Le développement durable reste un sujet clé. Le débat, en Allemagne, est assez avancé, poussé par les Verts qui ont présenté tout un projet très intéressant, qui est à la fois un projet écologiste, une vision économique et un modèle de croissance et influence sensiblement la réflexion des autres partis. Il me paraît très positif que ceux-ci se soient saisis également de la question.

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