Intervention de Pascale Crozon

Réunion du 5 février 2013 à 16h30
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPascale Crozon, rapporteure :

Le projet de loi, dont le Gouvernement indique dans son exposé des motifs qu'il « poursuit l'objectif constitutionnel d'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, en l'étendant aux effectifs des assemblées départementales et aux effectifs des conseils municipaux », comporte trois dispositions sur lesquelles notre délégation est fondée à émettre un avis : l'institution d'un scrutin binominal paritaire majoritaire aux élections départementales, l'abaissement de 3500 à 1000 habitants du seuil de la proportionnelle aux élections municipales, et le fléchage paritaire des candidats aux mandats de délégué communautaire.

Si la représentation des femmes a progressé dans toutes les assemblées depuis la réforme constitutionnelle de 1999, le rythme et l'ampleur de ce progrès varient considérablement selon le mode de scrutin retenu. Elles ne représentent en effet que 13,9 % des conseillers généraux, 26,6 % des députés, et 32,2 % des conseillers municipaux dans les communes de moins de 3500 habitants.

Ces chiffres contredisent l'existence « d'effets induits » découlant de la parité dans les assemblées régionales et municipales (dans les communes de plus de 3 500 habitants). Le seul levier ayant fait ses preuves pour améliorer significativement l'accès équilibré des femmes et des hommes aux mandats électifs est donc bien la contrainte paritaire pesant sur le mode de scrutin. Tel est aujourd'hui le choix du gouvernement, dont votre rapporteure ne peut que se féliciter.

J'évoquerai d'abord les dispositions concernant les élections municipales et communautaires. Il existe de fortes disparités entre les communes de plus de 3 500 habitants, qui élisent 48,5 % de conseillères municipales, et les communes de moins de 3 500 habitants, qui n'en élisent que 32,2 %. Je rappelle qu'il avait été envisagé lors de la précédente réforme territoriale d'abaisser le seuil de la proportionnelle à 500 habitants, solution soutenue par l'Association des maires de France, et qui n'a finalement pas été retenue. Le gouvernement a aujourd'hui retenu le seuil de 1 000 habitants, qui concernera 6 550 communes supplémentaires et permettra l'élection de 16 000 nouvelles conseillères municipales.

En accord avec la Présidente de notre délégation, je souhaite déposer un amendement pour supprimer tout seuil, ce qui permettrait d'établir la parité dans toutes les communes de France. Il s'agit de contester l'idée reçue selon laquelle les communes rurales seraient moins disposées que les autres à élire des femmes. J'attire par ailleurs votre attention sur le dépôt, par le rapporteur de la commission des lois, d'un amendement abaissant le nombre de conseillers municipaux dans les communes de moins de 3 500 habitants, qui lève l'objection de la difficulté de présenter des listes complètes.

Je souhaite par ailleurs que notre délégation prenne position pour le renforcement de l'obligation de parité des exécutifs municipaux, introduite par la loi du 31 janvier 2007. Je souhaite poser le principe selon lequel le maire et son premier adjoint sont de sexe opposé, afin de favoriser l'accès des femmes à la fonction de maire.

La même obligation de parité de l'exécutif doit être selon moi étendue aux établissements publics de coopération intercommunale, pour lesquels on peut regretter l'absence de statistiques, à l'image de l'opacité qui préside à leur organisation. L'élection des délégués communautaires au suffrage universel direct au moyen du fléchage des candidats sur les listes municipales est un progrès démocratique. Nous devons toutefois faire preuve de vigilance quant aux effets réels de ce mode de scrutin sur la parité, compte tenu du nombre de communes représentées et qui ont dans leur immense majorité un homme à leur tête.

Il faut aussi prêter attention à une conséquence paradoxale du fléchage : l'impact du suffrage universel et paritaire pourrait être moindre dans les intercommunalités les plus importantes, et dont les compétences sont les plus intégrées. Je m'interroge sur le projet de métropoles d'intérêt européen (qui concernera les agglomérations de Lille, Lyon et Marseille) qui auront pour conséquence la disparition du conseil départemental. Cette nécessaire modernisation ne doit pas se faire au détriment de la légitimité démocratique des élus ni de la parité.

J'en viens à l'instauration d'un scrutin binominal paritaire aux élections départementales. La réforme du mode de scrutin était rendue nécessaire par l'abrogation du conseiller territorial, création dont notre délégation, y compris sous la précédente majorité, avait souligné le risque au regard de la parité.

Le choix de ce nouveau mode de scrutin a fait débat, et je veux rappeler la contribution de notre Présidente Catherine Coutelle auprès de la commission sur la rénovation et la déontologie de la vie publique conduite par M. Lionel Jospin, contribution qui préconisait le scrutin de liste avec prime majoritaire au niveau de chaque arrondissement.

Le scrutin binominal paritaire est une innovation dont nous ne connaissons aucun précédent dans le monde, mais je souligne qu'il avait été proposé dès 1992 par Mme Françoise Gaspard et défendu en 2009 par la Délégation aux droits des femmes du Sénat. Il prévoit la candidature solidaire d'un binôme de candidats de sexe différent dans chaque canton, l'élection de l'un entraînant automatiquement l'élection de l'autre. La solidarité dure le temps des opérations électorales, étendue à la phase éventuelle de contentieux électoral. Ensuite chaque conseiller départemental exerce son mandat de manière indépendante, afin de ne pas mettre fin automatiquement au mandat de l'un des membres du binôme si l'autre n'est plus à même d'exercer son mandat. Deux suppléants sont élus en même temps que le binôme, de manière également paritaire, afin de garantir la parité en cours de mandat.

La politiste Réjane Sénac, auditionnée dans le cadre de la préparation de ce rapport, nous a alertés sur le risque de perpétuation d'une logique de fief, dans laquelle toute la légitimité politique continuerait d'être portée par le notable local, le plus souvent masculin, tandis que la femme lui apporterait des qualités complémentaires.

Ce risque m'apparaît sérieux pour les élections de 2015, où l'essentiel des sortants seront effectivement des hommes. Je souhaite que notre délégation recommande au Gouvernement de prendre toutes les mesures réglementaires de nature à garantir l'égalité de traitement entre les membres du binôme, notamment en matière de propagande officielle. Quoiqu'il en soit, le nouveau mode de scrutin empêchera dorénavant que 79 % des candidats titulaires soient à nouveau des hommes.

Au-delà, il me semble essentiel que notre délégation accorde sa confiance aux femmes. J'ai confiance dans leur capacité à prendre toute leur place dans l'exercice de leur mandat et à affirmer leur légitimité à l'occasion des élections suivantes. Cela passe aussi par la parité de l'exécutif départemental, prévue par le projet de loi, mais qui devrait être renforcée par l'exclusion de toute dérogation.

Surtout, je ne crois pas que nous puissions nous opposer à un mode de scrutin qui ne se contente plus de « favoriser », mais « garantit l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux », évolution sémantique à laquelle notre délégation est attachée et qu'elle défendra sans doute lors de la prochaine réforme constitutionnelle. Pour ces raisons, je vous demande de voter ce rapport et les recommandations qui vous sont soumises.

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