Intervention de Catherine Coutelle

Réunion du 5 février 2013 à 16h30
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCatherine Coutelle, présidente :

Comme je l'ai effectivement fait connaître par une contribution à la « commission Jospin », je souhaite rappeler ici que je ne peux soutenir l'ensemble des dispositions du projet de loi qui est soumis à notre assemblée.

En total accord avec les objectifs du Président de la République sur le projet de loi relatif à l'élection des conseillers départementaux, je souhaite préserver la proximité des élus départementaux avec leur territoire, et aboutir à l'égalité entre les femmes et les hommes dans les conseils départementaux. Mais le projet de loi, tel qu'il a été déposé à l'Assemblée nationale, ne me paraît pas remplir ces deux conditions.

On ne compte actuellement que 14 % de femmes dans les assemblées départementales. C'est un triste palmarès pour ces « irréductibles bastions masculins ». Il est temps de faire souffler un grand vent de modernisme démocratique et politique, de parité et de renouvellement dans ces enceintes. Dans ce contexte, le projet de binôme « femme-homme » envisagé aujourd'hui me semble être une fausse bonne idée.

Précédemment, l'instauration de suppléants du sexe opposé pour chaque conseiller général n'avait rien changé. Bien peu d'hommes ont laissé la place à leur « remplaçante » lors des dernières élections. Aucune inflexion significative de la masculinité de ces assemblées n'a pu être constatée. Trois conseils généraux ne comptent même aucune femme parmi leurs membres !

Il faudrait aujourd'hui mettre en place un mode de scrutin ambitieux, répondant aux attentes en termes de représentativité et de parité pour les assemblées et leurs exécutifs, mais aussi un mode de scrutin capable de donner du sens au projet départemental.

Le scrutin binominal mixte signifie l'élection dans chaque canton (dont le nombre serait divisé par deux) d'un « binôme » constitué d'une femme et d'un homme. Certes, il y aurait un effet paritaire mécanique, mais l'idée que pour être élue, une femme doive nécessairement être « associée », « accolée », à un homme peut heurter.

Dans la situation actuelle, 86 % des conseillers généraux sont des hommes. Les binômes seront donc en grande majorité constitués d'hommes expérimentés, connus sur leurs cantons, « notabilisés », et de femmes nouvelles, probablement choisies par eux, tout comme leurs suppléantes jusqu'à présent, et qui seront élues pour le même mandat sur le même territoire. Il n'est pas impossible que, dans le cas d'accords entre partis, l'organisation majoritaire désigne un homme bien implanté, et laisse à son partenaire le soin de désigner une femme, immédiatement positionnée à l'arrière-plan.

Il y a donc fort à parier que ces femmes auront des difficultés pour être considérées à égalité avec leur binôme : qui fera les discours d'inauguration : celui qui connaît le maire de la commune depuis trente ans ou la « petite nouvelle » ? À qui les habitants s'adresseront-ils ? À qui les services du conseil départemental s'adresseront-ils ? Qui représentera le (ou la) président(e) dans le canton ?

Évidemment l'on peut toujours imaginer qu'à l'occasion de l'instauration de ce scrutin binominal, les représentations sexuées qui régissent la vie en société depuis des milliers d'années vont disparaître d'un coup, et que par la magie du binôme, les femmes vont devenir à la fois sûres d'elles-mêmes et de leur légitimité, tandis que les hommes auront à coeur de leur laisser une partie de leur pouvoir, par esprit de justice désintéressé… Il est toutefois permis d'en douter.

Selon toute vraisemblance, les femmes nouvellement élues avec ce système auront toutes les peines du monde à se débarrasser de leur « tuteur » encombrant, et à être reconnues pleinement. Pour beaucoup de femmes, l'obligation d'être accompagnée d'un homme pour avoir accès à un lieu, à une profession, à l'ouverture d'un compte en banque, rappelle encore beaucoup de mauvais souvenirs. Avec le binôme, nous voilà replongés cinquante ans en arrière. Ce n'est pas là l'esprit de la parité.

Le Président de la République a redit son souhait que la réforme favorise l'ancrage territorial et la parité. De mon point de vue, l'organisation de listes infra-départementales répondrait pleinement à ces deux exigences.

Le scrutin de liste s'est révélé efficace pour en finir avec certains archaïsmes de la vie politique. C'est le cas pour les assemblées régionales, pour les membres français du Parlement européen ou encore pour les conseils municipaux des communes de plus de 3 500 habitants, qui sont aujourd'hui paritaires. Les Français souhaitent que l'on simplifie les modes de scrutin et que l'on n'augmente pas le nombre des élus. Or, au lieu de simplifier, rendre plus cohérent et donc plus compréhensible notre système politique, nous nous apprêtons à créer un nouveau mode de scrutin. Il n'est pas compréhensible que le scrutin de liste soit satisfaisant au niveau municipal, au niveau régional, mais pas au niveau intermédiaire.

L'exercice citoyen de la démocratie serait ainsi facilité par la lisibilité et la simplicité de scrutins identiques pour les élections départementales et régionales, et davantage encore si l'on généralisait ce scrutin de liste à l'ensemble des communes. Le scrutin de liste est aussi le mode d'élection qui correspond le mieux à la défense d'un projet politique pour un territoire et les décisions des conseillers départementaux valent bien pour le département tout entier.

L'égalité femmes-hommes est bien l'objectif mais le remède doit être le bon, et d'autres solutions auraient pu être choisies.

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