Imaginons qu'en 2015 l'Union européenne adopte une directive relative à la régulation bancaire inspirée par le rapport Liikanen, alors que les propositions contenues dans votre rapport n'ont pas encore force de loi. Recommanderiez-vous que le texte de la directive l'emporte sur le projet de loi à l'étude au Royaume-Uni ?
Aux États-Unis, le rapport Volcker, cherchant à déterminer les activités ayant entraîné un risque systémique particulier, a mis l'accent sur la tenue de marché. Pour votre part, distinguez-vous dans l'utilisation des fonds propres par les banques ce qui relève de l'activité pour compte propre et de l'activité pour le compte des clients ?
Si les dispositions contenues dans le projet de loi que nous examinons en ce moment en France diffèrent quelque peu de celles que vous avez faites à votre gouvernement, c'est que nous avons tenu compte de l'existence de la « zone grise », celle dans laquelle les très grandes entreprises se financent. Quand un groupe comme Vinci cherche à financer, pour plusieurs centaines de millions d'euros, des projets de très vastes infrastructures à quinze ans, il ne traite pas avec une banque de dépôt, qui n'est pas outillée pour cela, mais avec une banque de marché. C'est la raison principale pour laquelle ni le gouvernement français ni M. Liikanen ne jugent pertinente la séparation des banques de dépôt et des banques de marché. Comment avez-vous traité cette question ?
Sir John Vickers. Notre commission a considéré – et nous avons été suivis par le gouvernement de M. Cameron – que la banque de détail devait être sanctuarisée dans une entité juridiquement séparée, d'autres catégories d'activités telles que la négociation pour compte propre, la tenue de marché ou encore les opérations sur dérivés devant avoir lieu hors cette enceinte cloisonnée. Dans ce schéma, le crédit à l'économie « réelle », qu'il s'agisse des entreprises de travaux publics ou des entreprises industrielles peut provenir de l'entité cloisonnée ou du reste de la banque, selon ce que décide librement l'établissement bancaire considéré. L'absence de contraintes à ce sujet est un des avantages de cette architecture, qui forme un cadre de long terme pour le financement de l'économie réelle. Je ne pense pas que cette approche pose de problème particulier.
Dans notre grande famille, on pourrait considérer les rapports Liikanen et Vickers comme des rapports frères, et le rapport Volcker comme leur oncle… Il y a en effet de nombreux points communs entre les propositions de la commission que je présidais et les recommandations du rapport Liikanen, et si ces dernières étaient mises en oeuvre dans une directive européenne, elles seraient parfaitement compatibles avec la législation en préparation au Royaume-Uni. Je préfère cantonner la banque de détail ; pour Erkki Liikanen, ce sont les activités de marché qui doivent l'être. En d'autres termes, je cherche à éloigner la gazelle du lion et, plutôt que confiner la gazelle, Erkki Liikanen préfère confiner le lion – aussi bien, sur le fond, même s'il existe effectivement quelques différences d'approche, les principes à l'oeuvre sont similaires.
M. Liikanen propose notamment que si un régulateur estime que la résolution d'une défaillance bancaire oblige à des mesures plus draconiennes que le cantonnement initial, il puisse les prendre. Étant donné la taille et la nature des établissements bancaires britanniques, cette question doit être approfondie au Royaume-Uni, car une solution réellement sûre est indispensable, pour notre pays et pour l'Europe.
Nous voulions être certains que les contribuables ne seront plus appelés à la rescousse de banques lourdement endettées. Or, outre que la réglementation Volcker ne va pas assez loin pour l'éviter, on voit les difficultés éprouvées pour la mettre en oeuvre aux États-Unis : quand on cherche à séparer les activités pour compte propre des autres, il est extrêmement difficile de déterminer où placer le curseur. Notre proposition à ce sujet comme celle d'Erkki Liikanen suppriment cette difficulté.
Cependant, le scandale de la manipulation du taux interbancaire Libor au Royaume-Uni, l'été dernier, a conduit à la création d'une commission parlementaire chargée d'analyser les normes professionnelles de notre système bancaire et les leçons à tirer de ces événements. Cette commission envisage de compléter les propositions que nous avons faites en les assortissant de mesures équivalentes à la réglementation Volcker. Je ne suis pas absolument sûr que ce serait une bonne chose, mais le débat est ouvert.