Intervention de Alexandra Koulaeva

Réunion du 12 janvier 2017 à 10h00
Mission d'information sur les relations politiques et économiques entre la france et l'azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie au sud caucase

Alexandra Koulaeva, responsable du bureau Europe de l'Est et Asie centrale de la Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH :

Nous avons le statut d'observateur, la dénomination pouvant varier, auprès des Nations unies, du Conseil de l'Europe et de l'OSCE. Nous travaillons de façon très étroite avec ces trois institutions.

Pour ce qui est des Nations unies, nous avons un bureau à Genève et un à New York. Nous soumettons les informations dont nous disposons aux organismes de l'ONU concernés et tâchons de les y sensibiliser, à savoir le comité des droits de l'Homme, le comité des droits économiques, sociaux et culturels ou autres instances à même d'examiner le cas de l'Azerbaïdjan – qui n'est pas une exception – en fonction de leur agenda habituel ou exceptionnel.

Nous n'avons pas de bureau auprès du Conseil de l'Europe mais faisons partie de la conférence des organisations internationales non gouvernementales, ce qui nous permet également de transmettre régulièrement les informations à notre disposition. Parfois nous participons à une session de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) où nous présentons nos travaux. En ce qui concerne l'Azerbaïdjan, nous avons été particulièrement actifs au moment – c'était en 2014 et 2015 – où tous nos collègues s'y trouvaient en détention. Nous avons alors sollicité avec insistance le Conseil de l'Europe pour qu'il agisse avec la plus grande fermeté face à cette situation inacceptable.

Nous n'avons pas non plus de bureau permanent auprès de l'OSCE. En revanche, nous participons chaque année à la conférence annuelle de cette organisation pour y présenter nos rapports et nos projets, et l'Azerbaïdjan y est souvent évoqué.

Vous ne l'avez pas mentionné, mais nous disposons d'un bureau à Bruxelles qui travaille avec toutes les instances de l'Union européenne : Commission, Parlement… Il s'agit de l'un des plus grands bureaux de la FIDH et l'Azerbaïdjan fait, bien sûr, partie de ses préoccupations.

J'en viens à l'ambiguïté que vous avez décelée dans mon exposé, monsieur le rapporteur. Je suis d'accord avec vous pour considérer que des militants des droits de l'Homme ont été libérés, mais je maintiens que la situation s'est dégradée – et, travaillant pour ma part sur toute la région de l'ex-Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), je puis affirmer que l'Azerbaïdjan ne constitue pas un cas exceptionnel. Il faut savoir que les personnes arrêtées n'ont pas vocation à purger l'intégralité de leur peine : il s'agit pour les autorités de mettre un terme à leur libre expression critique, certes, mais aussi de renforcer la peur et, ainsi, le contrôle de la société. Il suffit ainsi d'arrêter les six représentants les plus connus des organisations de défense des droits de l'Homme et de porter atteinte à leur intégrité physique et morale de façon suffisamment importante pour intimider ceux restés en liberté. Aussi, dans ces conditions, ne saurait-on soutenir qu'une libération anticipée serait le signe d'une amélioration du respect des droits de l'Homme – le niveau de la peur ayant atteint un degré sans précédent. Et c'est ce qui s'est passé dans les nombreux pays que j'ai eu la chance – ou le malheur – d'observer.

En somme, depuis 2013, la situation s'est, de mon point de vue, incontestablement détériorée. Les gens ont peur, ont du mal à s'exprimer, du mal à témoigner. Trouver même un interprète pour mener une mission relative aux droits de l'Homme est devenu compliqué par crainte, pour lui, des persécutions.

Évidemment, nous avons applaudi à la libération de nos collègues et avons été soulagés concernant leur destin personnel mais je suis profondément convaincue que cela ne changera rien à la répression en cours. J'y insiste : leurs comptes restent gelés, leurs activités interdites – l'illustre avocat Intiqam Aliev n'a toujours pas le droit d'exercer son métier ni d'occuper la moindre fonction publique –, ils ne peuvent pas quitter le pays pour témoigner à l'étranger et les défenseurs azerbaïdjanais des droits de l'Homme qui se trouvent à l'extérieur ne peuvent pas revenir dans leur pays. Si la répression politique était le but, il est parfaitement atteint et je pense que leur libération ne change pas grand-chose, si ce n'est, bien sûr, je le répète, pour leur destin personnel – et nombreux sont ceux qui ont besoin d'un traitement médical poussé après leur libération, tant les conditions de leur détention ont été déplorables.

A ce jour, j'y insiste, je ne constate pas d'amélioration de la situation générale.

Je pensais que la présente audition porterait davantage sur la société civile et les libertés en Azerbaïdjan mais, pour répondre à votre question sur la situation des réfugiés qui n'est pas de mon ressort, je dirai qu'elle reste des plus complexes. Celle des réfugiés du Haut-Karabagh n'est toujours pas réglée : ils vivent dans des conditions précaires et sont donc vulnérables. Plus qu'un fait, on peut avoir l'impression qu'on manipule parfois leur situation. Loin de résoudre leur problèmes, le pouvoir les désigne toujours comme une blessure ouverte, ce qui lui permet de maintenir un niveau d'alerte patriotique élevé au sein de la société : ainsi, le conflit est toujours présent dans les esprits, dans les mots. Au moment du vif regain de tension des relations avec l'Arménie, en mars-avril 2016, le discours de haine et d'incitation à des actes violents contre les adversaires désignés était très impressionnant – j'ai pu vivre cette situation de près et je dois dire qu'il est difficile de parler de conflit « gelé ».

Vous m'avez également interrogée sur le nombre des défenseurs des droits de l'Homme en Azerbaïdjan et sur leurs possibilités d'action. Il n'est pas facile de répondre à cette question, du fait du niveau de peur et du degré de censure que nous constatons. Certains de nos collègues communiquent chaque jour avec nous et s'ils peuvent sans aucun doute être considérés, selon les critères des Nations unies, comme des défenseurs des droits de l'Homme, il ne faut pas les imaginer comme ceux qui militent en France : ils ne disposent pas de locaux, des mêmes possibilités d'action, de la même capacité à être entendus…

En outre, la répression subie en 2014-2015 par les défenseurs des droits de l'Homme en Azerbaïdjan a sensiblement détérioré leur image auprès de la population. Comment peuvent-ils prétendre défendre les droits des autres s'ils n'ont pas pu se défendre eux-mêmes de sanctions arbitraires, de mauvais traitements ? On n'a pas le réflexe, on a même peur de s'adresser à eux pour sa défense puisqu'ils ont eux-mêmes été arrêtés, battus ou sont susceptibles de l'être. Aussi la possibilité d'action de certains de ces défenseurs des droits de l'Homme se limite-t-elle à une liberté très relative d'expression : celle de dénoncer les violations des droits. Les avocats qui défendent les victimes de ces violations savent très bien qu'ils risquent de perdre la possibilité d'exercer leur métier et donc de gagner leur vie. Les défenseurs des droits de l'Homme eux-mêmes savent tout aussi bien qu'ils peuvent se retrouver en prison facilement ou perdre la possibilité de voyager ; certains ont peur pour leurs proches.

Bref, je renouvelle mon constat : la situation est bien plus dramatique fin 2016 qu'au cours des années précédentes, les capacités d'action des défenseurs des droits de l'Homme se trouvant désormais très limitées.

Je peux vous fournir l'analyse approfondie que la FIDH a faite des nouvelles lois. Les financements ne peuvent arriver qu'avec l'accord du Président de la République ; par le jeu d'institutions prévues à cet effet, le contrôle sur le financement étranger est extrêmement strict. Les possibilités de financement d'activités en faveur des droits humains à l'intérieur du pays sont limitées. Les comptes des individus sont bloqués, certaines organisations ont été fermées tandis que d'autres ont vu leurs activités suspendues, ce qui est une autre forme de fermeture.

Toutes ces mesures empêchent de mener librement les activités de défense des droits humains, d'autant que la population a de plus en plus peur de faire appel aux organisations ou aux personnes susceptibles de les défendre. L'activité des blogueurs et de ceux qui dénoncent les violations existantes est passée au premier plan, devenant le principal motif de répression, parce que c'est le dernier champ d'activité des défenseurs des droits humains et de la liberté d'expression.

Parmi les réformes nécessaires dans cette société, la première, qui n'implique pas de changement de la législation, est de réexaminer les condamnations jugées politiquement motivées par le communauté internationale. La FIDH, Amnesty international, Reporters sans frontières ou les institutions telles que le Rapporteur spécial de l'ONU sur la situation des défenseurs des droits de l'Homme ou le Commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe ont des listes de personnes emprisonnées sur le fondement de charges fabriquées de toutes pièces. La composition de ces listes peut varier selon les organisations, mais de manière marginale. Selon les cas, il doit y avoir soit réexamen, soit abandon pur et simple des charges, et ces personnes doivent d'urgence retrouver la liberté.

Mais, pour restaurer un environnement permettant aux sociétés civiles d'agir, ce ne sera pas suffisant. Toutes les restrictions arbitraires qui entravent le travail des organisations de défense des droits humains doivent être abandonnées, notamment le gel des comptes bancaires. Après l'arrestation des défenseurs des droits humains en 2014 et en 2015, leurs comptes personnels et professionnels ont été gelés, bloquant les fonds qui y étaient déposés, et les organisations ont été fermées, ou leur activité a été suspendue, tandis que la liberté de mouvement était restreinte. Comme l'ont indiqué les instances internationales à de multiples reprises, ces mesures doivent être levées. La liberté d'exercice des droits doit être restaurée de façon convaincante pour faire baisser le niveau de peur, actuellement très haut dans la société.

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