Intervention de André Chassaigne

Réunion du 25 janvier 2017 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndré Chassaigne, rapporteur :

Je remercie la commission des affaires sociales de m'accueillir pour la défense de cette proposition de loi, qui touche à l'un des enjeux préoccupants de notre système de protection sociale, trop fréquemment occulté : l'extrême faiblesse des retraites agricoles.

Le régime d'assurance vieillesse des exploitants agricoles s'accompagne de difficultés structurelles depuis sa création par la loi du 10 juillet 1952. Certes, des réformes ont permis d'étendre progressivement ce régime – je pense à la reconnaissance d'un statut de conjoint collaborateur en 1999, à la création d'un régime de retraite complémentaire obligatoire en 2002 et à son extension à l'ensemble des non-salariés agricoles en 2011, autant d'avancées dans lesquelles l'implication de notre collègue Germinal Peiro a été déterminante.

Ces avancées, que je ne sous-estime pas, n'ont toutefois jamais permis de garantir un niveau de vie décent au million et demi d'exploitants à la retraite. C'est la raison pour laquelle le groupe de la Gauche démocrate et républicaine se saisit aujourd'hui du problème.

Pour aborder ce débat, je citerai trois chiffres que chacun de nous doit garder à l'esprit : la retraite moyenne d'un non-salarié agricole s'élève à 766 euros par mois, c'est-à-dire un montant inférieur au seuil de pauvreté et à l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) ; un non-salarié sur trois a une retraite inférieure à 350 euros par mois ; dans les départements d'outre-mer, enfin, un non-salarié sur deux a une retraite inférieure à 330 euros par mois.

Ce constat alarmant justifie la réponse forte et urgente qui est inscrite dans cette proposition de loi. Il ne s'agit en aucun cas de méconnaître les avancées effectuées sous cette législature, qui témoignent d'une politique volontariste dans ce domaine : 900 millions d'euros ont ainsi été consacrés à la revalorisation des retraites agricoles depuis 2012, dans un cadre budgétaire pourtant contraint. Ces mesures ont bénéficié à près de la moitié des retraités de droit direct et vous trouverez tous les chiffres dans le rapport définitif. Je tiens à citer en particulier la mise en oeuvre d'un complément différentiel de points de retraite complémentaire pour les chefs d'exploitation, permettant d'atteindre le seuil de 75 % du SMIC net en 2017, et l'attribution de droits gratuits aux conjoints et aux aides familiaux pour les années antérieures à leur affiliation au régime complémentaire en 2011.

Ces réponses ne constituent toutefois qu'une étape intermédiaire, en aucun cas un aboutissement. Elles doivent s'accompagner de mesures complémentaires qui permettent de garantir un niveau de vie décent aux agriculteurs lors de leur passage à la retraite et de corriger enfin les véritables inégalités de droit et de fait.

Le premier volet de la proposition de loi vise à élever le niveau minimum de pension agricole et à rétablir l'équilibre financier du régime de retraite complémentaire obligatoire (RCO). L'article 1er pose le principe d'une garantie de retraite à 85 % du SMIC net, allant ainsi au-delà du seuil de 75 % prévu par le droit actuel. Cette mesure constitue une attente centrale des exploitants à la retraite et une revendication forte de tous les syndicats agricoles. Cette mesure, dont le coût est évalué à 266 millions d'euros par la Mutualité sociale agricole (MSA), bénéficierait à 85 000 exploitants supplémentaires, portant ainsi le nombre total de bénéficiaires à 334 000. Dans le rapport définitif, vous trouverez un tableau retraçant cette évolution.

Cette mesure est financée par une nouvelle recette prévue à l'article 2. La rédaction initiale de la proposition de loi prévoyait la taxation des revenus financiers des banques et des industries liées aux secteurs agricole et agroalimentaire. Cette rédaction avait l'avantage d'impliquer directement un secteur dans la mesure qu'il finance – ici, le secteur agricole dans la revalorisation des retraites agricoles. Elle pose toutefois deux difficultés dont nous devons tenir compte : d'une part, nous ne pouvons pas identifier clairement la matière imposable du seul fait de son lien avec le secteur agricole ; d'autre part, une inégalité de traitement, difficile à justifier, pourrait résulter de la taxation des seuls revenus financiers liés à un secteur d'activité en particulier.

Nous avons eu différents échanges au cours des auditions, et je profite de mon intervention pour remercier les parlementaires de cette commission qui y ont participé en nombre – c'est assez rare. Aux termes de ces échanges, je vais vous soumettre une rédaction alternative par voie d'amendement, afin de surmonter ces deux difficultés en laissant de côté le lien à un secteur d'activité. La mesure serait financée grâce à une taxe additionnelle à la taxe sur les transactions financières.

Cette nouvelle recette permettra également d'assurer le retour à l'équilibre du régime RCO. Le déficit de ce régime, qui a atteint 90 millions d'euros en 2015, ne cessera de se creuser dans les quatre prochaines années selon les prévisions de la MSA. Or, contrairement au régime de base de la MSA, le RCO ne peut recourir à l'emprunt ; il est donc contraint de puiser dans ses réserves, qui fondent comme neige au soleil. La nouvelle recette sera donc décisive pour le redressement financier du régime.

J'en arrive au second volet de la proposition de loi, consacré à la revalorisation des pensions de retraites dans les outre-mer. Je tiens à souligner la très forte implication de notre collègue Huguette Bello, députée de La Réunion, dans ce volet particulièrement important et attendu compte tenu de l'extrême faiblesse des pensions ultramarines.

L'article 3, tout d'abord, concerne les non-salariés agricoles d'outre-mer. La situation alarmante, constatée actuellement dans ces territoires, résulte à la fois de la mise en place tardive des régimes d'assurance vieillesse outre-mer, des profils de carrières spécifiques et des paramètres de cotisations particuliers. Les justifications historiques ou sociales ne suffisent toutefois pas à légitimer une telle faiblesse des retraites agricoles. En s'appuyant sur le cadre ouvert par l'article 73 de la Constitution, il est proposé de faciliter l'accès des chefs d'exploitation agricole à la garantie de 75 % du SMIC, en faisant tomber la condition de durée d'assurance en tant que chef d'exploitation.

L'article 4, quant à lui, vise à corriger une inégalité fondamentale entre salariés agricoles dans l'accès à la retraite complémentaire selon les territoires. En 1972, la généralisation des régimes de l'Association générale des institutions de retraite des cadres (AGIRC) et de l'Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (ARRCO) aux territoires d'outre-mer a laissé de côté les seules professions agricoles, en renvoyant l'extension des accords à une négociation entre partenaires sociaux. Ces négociations n'ont jamais abouti en dehors de la Guyane et de la Martinique, respectivement en 1999 et en 2014.

L'inégalité initiale entre les salariés agricoles de l'Hexagone et ceux des outre-mer se double donc désormais d'une inégalité entre salariés ultramarins selon leur lieu de résidence. La dernière réforme des retraites a renvoyé cet enjeu central à la remise d'un rapport du Gouvernement au Parlement. Trois ans plus tard, nous attendons toujours ce rapport !

Ces inégalités ne sont plus acceptables aujourd'hui. Nous proposons donc de poser explicitement cet enjeu dans la loi, en rappelant la responsabilité des partenaires sociaux dans l'extension du régime. À défaut d'accord au-delà d'un certain délai, il reviendrait à l'État d'engager cette extension par voie d'arrêté.

Tels sont, mes chers collègues, les termes de notre débat d'aujourd'hui. Bien sûr, d'autres enjeux fondamentaux resteraient à aborder, je pense en particulier à l'exigence de parité qui demeure encore une fiction en matière de retraite agricole. Quand on sait ce que représente le travail de la femme dans les exploitations agricoles… Les femmes effectuent un travail colossal et épuisant – à la maison et aussi en dehors, aux côtés de leur conjoint – qui n'a jamais été reconnu. Cette question de la parité n'est pas abordée directement dans le texte et il faudra bien un jour la traiter plus au fond.

Mes auditions ont également permis de faire émerger les conséquences négatives du déclassement des terres agricoles sur l'assiette de cotisation. L'artificialisation des terres se traduit par une perte de cotisations pour les terres agricoles, ce qui n'est pas sans conséquence sur le financement du régime agricole. J'ai engagé une réflexion sur ce sujet et je souhaiterais la faire aboutir d'ici la séance.

J'ai néanmoins la certitude que les avancées contenues dans cette proposition de loi sont à la fois décisives, urgentes et attendues. Nous ne pouvons plus en rester aux logiques du laisser-aller et du report à une éventuelle concertation ultérieure. Il nous reste uniquement le temps d'agir avec détermination, en rappelant notre solidarité la plus totale avec les travailleurs agricoles, en ouvrant aujourd'hui un chemin nouveau.

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