Intervention de Claire Mouradian

Réunion du 15 décembre 2016 à 13h45
Mission d'information sur les relations politiques et économiques entre la france et l'azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie au sud caucase

Claire Mouradian, directrice de recherche au CNRS, et de M. Stéphane de Tapia, directeur du département d'études turques de l'université de Strasbourg :

Entre 150 000 et 180 000, mais l'émigration vers la Turquie est très importante. En outre, les traces de la présence arménienne ont été effacées en 2005 avec la destruction du cimetière de Djoulfa.

Ces déplacements et ces massacres, puis le génocide de 1915, ont contribué à la dispersion des Arméniens, dont plus des deux tiers vivent actuellement en dehors de l'actuelle République d'Arménie. Pour celle-ci, le premier enjeu est donc la survie dans un environnement « hostile ». C'est également vrai pour la diaspora, du reste, comme en témoigne le sort des Arméniens de Syrie et d'Irak, aujourd'hui forcés à l'exil. Le second enjeu, bien sûr lié au premier, est la sanctuarisation d'un territoire résiduel. Il s'agit, pour les Arméniens, de conserver l'Arménie actuelle, qui représente 10 % du territoire considéré comme historique et un quart de l'Arménie du traité de Sèvres.

Pour les Azéris – et j'utilise ce terme à dessein, plutôt que celui d'Azerbaïdjanais, qui désigne aussi des citoyens d'autres nationalités : Russes, Lezguines, Talyshs, Kurdes, Juifs –, l'enjeu est différent. Il faut rappeler que le nom du pays lui-même n'est pas un ethnonyme, à la différence de celui des autres États de la région. Il est en effet dérivé du nom d'Adropâtes, un satrape mède de l'empire achéménide qui, en se ralliant à Alexandre le Grand lors de la bataille de Gaugamélès, en l'an 331 avant Jésus-Christ, gagna le droit de fonder un royaume indépendant et une dynastie qui durera deux siècles. Ainsi, l'enjeu, pour les Azéris, est d'abord identitaire.

De fait, l'identité azérie est écartelée entre plusieurs mondes dont elle se revendique. Le monde iranien, d'abord. Il ne faut pas oublier que l'Iran, puissance hégémonique pendant vingt-cinq siècles, a déterminé la religion – du zoroastrisme antique, peut-être né à Bakou, au christianisme nestorien ou albanien du Caucase, puis à l'islam chiite – et la culture des élites, qui, jusqu'à l'aube du xxe siècle, se revendiquaient du monde persan plutôt que du monde turc, considéré comme moins prestigieux. Ainsi, la question s'est posée, lors de l'émergence du mouvement national au xixe siècle, du choix de la langue : fallait-il choisir le persan ou le turc?

Le monde turc, ensuite : la turquisation linguistique est allée croissant à partir des invasions seldjoukides au xi siècle.

Le monde caucasien, dont les Azéris partagent nombre de coutumes et de valeurs.

Le monde russo-soviétique, depuis l'annexion du Nord de la province de l'Azerbaïdjan iranien au début du xixe siècle

De ce fait, l'identité des Azéris s'est construite, comme celle des Turcs, de façon négative et exclusive principalement contre leurs voisins les plus proches, les Arméniens. Ceux-ci sont enviés pour leur succès économique – à Bakou, les pétroliers Mantachev, Ghougassiantz, Mirzoyan, ont contribué à la fortune de la ville – et pour leur proximité supposée avec le pouvoir tsariste chrétien, ce qui est très discutable.

Le second enjeu, pour les Azéris, est la construction d'un État souverain. Le territoire de l'actuelle République d'Azerbaïdjan n'a longtemps existé que comme une province du Nord de l'Iran – dotée d'un statut d'autonomie variable et dont l'essentiel du territoire et de la population sont restés en Iran –, sans réelle revendication séparatiste. De fait, les Azéris d'Iran dominent le pouvoir politique et la vie économique du Bazar. Khomeyni et d'autres grands mollahs sont d'origine azérie.

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