Intervention de Claire Mouradian

Réunion du 15 décembre 2016 à 13h45
Mission d'information sur les relations politiques et économiques entre la france et l'azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie au sud caucase

Claire Mouradian, directrice de recherche au CNRS, et de M. Stéphane de Tapia, directeur du département d'études turques de l'université de Strasbourg :

L'autre point important est la hiérarchie des « ennemis », qui détermine aussi les antagonismes. Si l'on peut dire que les trois nations du Caucase du Sud ont les mêmes ennemis, à savoir les grandes puissances impériales voisines – Turquie, Russie, Iran –, l'ennemi n° 1 reste, pour l'Arménie, la Turquie, pour des raisons que l'on peut comprendre, alors que, pour l'Azerbaïdjan, il s'agit de la Russie. L'Iran occupe sans doute la deuxième position pour l'un et pour l'autre. Chassé par les Ottomans, puis par la Russie tsariste, qui en a fait une sorte de protectorat, l'Iran essaie de revenir dans le jeu régional. La conquête russe a réuni l'essentiel des territoires « géorgiens » – l'enjeu, pour la Géorgie, est donc de sortir de l'empire en conservant tout – alors qu'elle a divisé la province d'Azerbaïdjan en deux et l'Arménie en trois. Quant aux éventuels soutiens extérieurs, ils sont plus ou moins les mêmes qu'en 1918-1920 : les Anglais, aujourd'hui remplacés par les Américains, pour l'Azerbaïdjan ; les Français pour l'Arménie ; les Allemands ou les Américains pour la Géorgie.

Pour comprendre le rôle de la Russie, il faut remonter au début du xixe siècle, époque à laquelle elle a annexé ces régions. Toutefois, l'Empire russe apparaît pour la première fois au Caucase dès le milieu du xvie siècle, sous Ivan IV – le fameux « Ivan le Terrible ». En effet, en 1556, au lendemain de la conquête du khanat d'Astrakhan, situé à l'embouchure de la Volga, sur la Caspienne, la flotte russe traverse la mer et construit un premier fortin sur les rives du Terek. Ivan IV épouse une princesse kabarde, c'est-à-dire tcherkesse, et commence à s'immiscer dans les affaires régionales, en protecteur des anciens clients du khanat d'Astrakhan, sous la tutelle de la Perse, contre ceux du khanat de Crimée, sous la tutelle ottomane. Il est évident que la Russie n'entend pas « lâcher » en cinq ans ou même quinze ans ce qu'elle a mis cinq siècles à conquérir – un ancien empire ou un ancien État n'oublie jamais qu'il a été empire ou État. La Russie continuera donc probablement de jouer l'équilibre entre les nations ou un nationalisme contre l'autre.

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