Intervention de Cécile Untermaier

Séance en hémicycle du 1er février 2017 à 15h00
Obligations déontologiques applicables aux membres du conseil constitutionnel — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCécile Untermaier, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, ministre de la justice, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, mes chers collègues, en droit interne et dans les traités internationaux, l’impartialité est une exigence commune à tous les organes juridictionnels. L’article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne imposent aux États d’organiser des tribunaux indépendants et impartiaux.

La jurisprudence constitutionnelle française fait écho à cette préoccupation : depuis 1992, le Conseil constitutionnel rappelle que les principes d’indépendance et d’impartialité sont indissociables de la fonction de juger, quelle que soit la nature juridique de l’organe juridictionnel.

Cette exigence d’impartialité se matérialise dans des dispositions législatives et réglementaires, complétées par des bonnes pratiques. Je n’en évoquerai que quelques-unes : le serment de se « conduire en tout comme un digne et loyal magistrat » et les incompatibilités professionnelles, prévues par exemple, pour les magistrats judiciaires, par l’ordonnance statutaire de 1958 ; les mécanismes de récusation ou d’abstention, qui existent aussi bien devant les juridictions civiles, criminelles qu’administratives ; les chartes de déontologie, publiées par le Conseil supérieur de la magistrature en 2010 et par le Conseil d’État en 2012, qui déclinent l’obligation de probité, sous la forme de recommandations concrètes.

À compter de 2013, le législateur a complété ces dispositifs en élargissant l’objet des instruments de prévention des conflits d’intérêts – déclarations d’intérêts et de situation patrimoniale –, initialement conçus pour les ministres, les parlementaires, les élus des exécutifs locaux, les membres d’une autorité indépendante et certains titulaires d’emploi public. La loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires inclut ainsi dans son champ d’application les membres des juridictions administratives et financières. La loi organique du 8 août 2016 relative aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu’au Conseil supérieur de la magistrature, dont j’ai eu l’honneur d’être la rapporteure devant notre assemblée, vise quant à elle les magistrats des juridictions judiciaires ainsi que les membres du Conseil supérieur de la magistrature. Enfin, plus récente, la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle modifie le régime applicable aux juges des tribunaux de commerce.

Néanmoins, aussi surprenant que cela puisse paraître, le Conseil constitutionnel est demeuré à l’écart de ces évolutions, qui correspondent pourtant à un souhait fort des Français et concernent l’ensemble de la sphère publique.

À vrai dire, notre assemblée a déjà approuvé un dispositif comparable à celui que je vous propose aujourd’hui, à l’occasion de la discussion du projet de loi organique relatif au statut des magistrats. À notre grande surprise, ce dispositif a été censuré par le Conseil constitutionnel, en raison de sa procédure d’adoption : infléchissant sa jurisprudence, le Conseil a considéré que des dispositions ne pouvaient être introduites dans une loi organique dès lors qu’elles relèvent d’autres habilitations constitutionnelles que celles sur le fondement desquelles le projet de loi a été initialement déposé. Bien évidemment, dans un véhicule ad hoc, le législateur organique conserve toute latitude de modifier les obligations qui s’imposent aux membres du Conseil constitutionnel, comme ce dernier l’a rappelé dans cette décision du 28 juillet 2016.

En l’état du droit, le Conseil constitutionnel est à peu près dépourvu de mécanismes permettant de prévenir efficacement les conflits d’intérêts parmi ses membres et d’y mettre fin. L’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique impose des obligations très limitées aux membres du Conseil. Son article 3 se borne à énoncer que les membres nommés jurent d’exercer leurs fonctions « en toute impartialité » ; les obligations qu’emporte un tel serment mériteraient, selon moi, d’être précisées dans une charte. Cette ordonnance n’envisage la protection de l’indépendance et de la dignité des fonctions des membres du Conseil constitutionnel que sous l’angle des incompatibilités professionnelles ; son article 4 interdit, à cet égard, aux membres de détenir « tout mandat électif » ou d’exercer « toute fonction publique » ou « toute autre activité professionnelle ou salariée ».

L’introduction d’une procédure de contrôle de constitutionnalité a posteriori, en 2009, a certes conduit le Conseil constitutionnel à ajouter, dans son règlement intérieur, des mécanismes de récusation et d’abstention volontaire. Encore ne concernent-ils que cette matière très spécifique et non, par exemple, le contentieux électoral. Ces lacunes justifient, à mon sens, une refonte globale du régime déontologique des membres du Conseil constitutionnel, sur la base des règles applicables aux autres organes juridictionnels.

Par la présente proposition de loi organique, je vous propose d’appliquer aux membres du Conseil constitutionnel – président, membres de droit, membres nommés – les mêmes standards de transparence qu’au reste de la justice.

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