La seconde raison de notre perplexité – d’autres l’ont dit et vous ne pouvez le nier, d’autant que cela ne servirait à rien –, c’est que vous ne serez pas en mesure de parachever, d’ici la fin de la législature, par un vote conforme du Sénat, l’adoption de ce texte. Puisqu’il n’aboutira pas, comment ne pas penser qu’il arrive bien tard ?
Notre pays est encore submergé par un chômage de masse. Contrairement à ce que vous prétendez, la Sécurité sociale est encore en déficit – de 7 milliards d’euros. On dénombre 69 000 personnes incarcérées, alors que les établissements pénitentiaires ne peuvent accueillir que 58 000 détenus – ce problème vous concerne directement, monsieur le garde des sceaux, mais il est vrai que vous y êtes attentif, je vous en donne acte. D’après ce qu’indiquent toutes les études, 10 % des jeunes Français âgés de dix-sept à vingt-cinq ans ne savent ni lire ni écrire correctement. Près de 4 millions de nos concitoyens sont sans-abri ou mal-logés – l’anniversaire d’Emmaüs nous l’a rappelé, au cas où nous l’aurions oublié. Dans ce contexte, le signal que vous choisissez d’envoyer nous paraît au minimum décalé, voire discutable : s’il vous reste, ce qui est peu probable, une chance de faire aboutir un texte, vous avez choisi en priorité celui-là, qui exige des membres du Conseil constitutionnel l’apparence de la vertu ; or celle-ci me semble être constitutive de chacune des trois autorités qui les nomment.
Pour le reste, comment ne pas vous concéder, puisque cela correspond à la réalité, que vous restez totalement cohérents avec les textes que vous avez précédemment fait adopter en la matière ? C’est pourquoi leur genèse, c’est-à-dire celle de l’exemplarité affirmée de votre politique, méritait très certainement d’être rappelée.
Avec cette proposition de loi organique, vous prévoyez, en plus des incompatibilités professionnelles auxquelles les membres du Conseil constitutionnel sont déjà soumis, des déclarations d’intérêts et de patrimoine. Cela donnera de la lecture en plus à tous ceux qui se sont abonnés à ce genre de littérature, laquelle est totalement disponible, dans des conditions prévues par les lois et n’appelant pas de commentaires particuliers.
Ainsi, les membre du Conseil constitutionnel seront désormais tenus d’établir une déclaration d’intérêts, selon un régime – notamment en ce qui concerne le contenu et les sanctions pénales – défini de manière identique à celui appliqué aux magistrats conformément à la loi organique du 8 août 2016 relative aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu’au Conseil supérieur de la magistrature.
Cette déclaration d’intérêts ne sera pas rendue publique mais mise à la disposition des autres membres du Conseil. Aux termes de l’article 1er de votre proposition de loi organique, en effet : « Les déclarations d’intérêts sont tenues à la disposition de l’ensemble des membres du Conseil constitutionnel. » Nos concitoyens approuveront.
En commission des lois, deux mesures sont venues compléter le dispositif initial, adoptées à l’initiative de notre rapporteure – je salue d’ailleurs la qualité de son travail, à la mesure du sérieux qui la caractérise.
La première d’entre elles concerne l’ordonnance no 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : il est y inséré une définition du conflit d’intérêts, identique à celle précédemment retenue par le législateur pour les membres des juridictions administratives et financières, les magistrats de l’ordre judiciaire ainsi que les membres du Conseil supérieur de la magistrature. Je fais observer au passage que, par ce parallélisme, vous venez, de manière intéressante – même si ce n’est pas l’objectif de cette proposition de loi organique –, de confirmer que le Conseil constitutionnel est de plus en plus une juridiction ; à son origine, il ne l’était nullement, mais il l’est devenu de plus en plus, au fur et à mesure de l’évolution de notre société, ce qui est fort heureux.