J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt, monsieur le garde des sceaux, vos réflexions relatives à l’évolution de la pensée politique depuis Platon jusqu’à Aristote. Ayant enseigné les idées politiques au cours d’une carrière antérieure, j’y ai retrouvé l’évolution de la pensée en la matière. Il ne faut cependant pas s’arrêter à Platon ou à Aristote, mais remonter à Caton d’Utique et à Caton l’Ancien, puis opérer naturellement un saut vers Rousseau, qui a repris, d’ailleurs sous l’influence de Cicéron, une pensée philosophique et politique forte. Celle-ci a amené Robespierre, dans ses grands discours comme dans ses discussions avec Saint-Just, à définir la vertu – la virtu – et la République.
Nous sommes en effet passés de la virtu à la vertu républicaine. Au fond, cette virtu correspondait finalement à ce que Robespierre avait toujours voulu, à savoir la pureté appuyée sur un État de violence caractérisée, violence intérieure devant selon lui permettre de retrouver les fondements de la République. Que voulait Robespierre ? La vertu républicaine. Il donnait de la République la définition suivante : la terreur du droit s’appuyant sur la pureté des citoyens. Terreur du droit ? Bien sûr, car le droit est terrible, chacun doit s’y soumettre. Pureté des citoyens ? Bien évidemment car le citoyen en lui-même est l’objet de la République : il doit s’appuyer sur cette charte de déontologie qu’est la loi suprême.
Fallait-il donc légiférer sur les obligations des membres de notre cour suprême ? C’était une question a priori peu évidente. Bien évidemment, la pyramide juridique sur laquelle nous nous appuyons n’aurait eu aucun sens si elle ne s’appliquait pas à la cour suprême, d’autant moins que, pour reprendre les indications de nos anciens de la République romaine, les magistrats qui y siégeaient alors étaient des hommes politiques. Or, au sein de notre cour suprême siègent non seulement des hommes politiques nommés mais également des hommes politiques membres de droit : dès lors, le doute ne pouvait que naître.
Le doute existant, il fallait exiger l’impartialité, qui doit être commune à tous les organes juridictionnels : elle s’impose évidemment à la Cour de cassation et au Conseil d’État, mais surtout à la cour suprême. Or, qu’on le veuille ou non, le Conseil constitutionnel revendique d’être une telle cour : l’exigence d’impartialité qui s’impose à son égard devait donc être de plus en plus forte.
Madame la rapporteure, vous avez introduit cette impartialité à travers trois définitions : celles du conflit d’intérêts, de la déclaration d’intérêts et de la situation patrimoniale. Du simple fait qu’un contrôle de la situation des magistrats du Conseil constitutionnel peut être effectué, une République plus forte s’établit.
Fallait-il simplement les soumettre à ces obligations ? Non, il fallait aller au-delà, parce que le Conseil constitutionnel est, pour l’essentiel, composé d’hommes et de femmes politiques, le plus souvent d’anciens ministres, notamment de l’intérieur : souvenons-nous de M. Roger Frey, qui fût l’un de ses premiers présidents ; souvenons-nous également que pléthore d’anciens ministres y ont siégé, mais aussi qu’il lui est arrivé d’être présidé par des hommes politiques condamnés par la justice. Compte tenu de cet héritage, la notion républicaine de vertu devait s’appliquer plus fortement aux membres du Conseil.
En plus des déclarations d’intérêts et de situation patrimoniale, la proposition de loi organique introduit la notion de déport. De quoi s’agit-il ? Il est fait obligation à chacun des membres du Conseil constitutionnel de se départir, c’est-à-dire de se retirer, lorsque la moindre suspicion peut peser sur l’impartialité de la décision rendue. Car que peut-on exiger de nos magistrats ? Qu’ils soient impartiaux. Nous n’avons en effet jamais exigé d’eux qu’ils soient justes, mais bien qu’ils soient impartiaux. Or, pour qu’ils le soient, il faut que leur vertu soit insoupçonnable.
Voilà pourquoi j’estime que vous avez contribué, madame la rapporteure, à établir un peu plus l’État de droit. Finalement, que voulions-nous, les uns et les autres ? Renforcer l’État de droit déjà établi, car c’est le seul qui peut, dans la République, être respecté.